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Grava les louanges champêtres
Des divinités de vos bois;

Parmi la foule trop habile

Des beaux diseurs du nouveau style,
Qui, par de bizarres détours,
Quittant le ton de la nature,
Répandent sur tous leurs discours
L'académique enluminure

Et le vernis des nouveaux tours,
Je regrette la bonhomie,

L'air loyal, l'esprit non pointu,
Et le patois tout ingénu
Du curé de la seigneurie,
Qui, n'usant point sa belle vie
Sur des écrits laborieux,
Parle comme nos bons aïeux,
Et donneroit, je le parie,
L'histoire, les héros, les dieux
Et toute la mythologie,
Pour un quartaut de Condrieux.
Ainsi de mes plaisirs d'automne
Je me remets l'enchantement;
Et, de la tardive Pomone
Rappelant le regne charmant,
Je me redis incessamment:
Dans ces solitudes riantes
Quand me verrai-je de retour?
Courez, volez, heures trop lentes

Qui retardez cet heureux jour!
Claire fontaine, aimable Isore,
Rive où les Graces font éclore
Des fleurs et des jeux éternels,
Près de ta source, avant l'aurore,
Quand reviendrai-je boire encore
L'oubli des soins et des mortels?
Dans cette gracieuse attente,
Aminte, l'amitié constante
Entretenant mon souvenir,
Elle endort ma peine présente
Dans les songes de l'avenir.
Lorsque le dieu de la lumiere,
Echappé des feux du lion,
Du dieu

que couronne le lierre

Ouvrira l'aimable saison,
J'en jure le pélerinage:
Envolé de mon hermitage,
Je vous apparoîtrai soudain
Dans ce parc d'éternel ombrage,
Où souvent vous rêvez en sage,
Les lettres d'Usbeck à la main;
Ou bien dans ce vallon fertile
Où, cherchant un secret asile,
Et trouvant des périls nouveaux,
La perdrix, en vain fugitive,
Rappelle sa troupe craintive
Que nous chassons sur les coteaux.

Vous me verrez toujours le même,
Mortel sans soin, ami sans fard,
Pensant par goût, rimant sans art,
Et vivant dans un calme extrême
Au gré du temps et du hasard.
Là, dans de charmantes parties,
D'humeurs liantes assorties,
Portant des esprits dégagés
De soucis et de préjugés,
Et retranchant de notre vie
Les façons, la cérémonie,
Et tout populaire fardeau,
Loin de l'humaine comédie,
Et comme en un monde nouveau,
Dans une charmante pratique
Nous réaliserons enfin
Cette petite république
Si long-temps projetée en vain.
Une divinité commode,
L'Amitié, sans bruit, sans éclat,
Fon dera ce nouvel état;
La Franchise en fera le code;
Les Jeux en seront le sénat;
Et sur un tribunal de roses,

Siege de notre consulat,
L'Enjoûment jugera les causes.

On exclura de ce climat
Tout ce qui porte l'air d'étude:

La Raison, quittant son ton rude,
Prendra le ton du sentiment;
La Vertu n'y sera point prude;
L'Esprit n'y sera point pédant;
Le Savoir n'y sera mettable
Que sous les traits de l'Agrément:
Pourvu que l'on sache être aimable,
On y saura suffisamment :
On y proscrira l'étalage

Des phrasiers, des rhéteurs bouffis:
Rien n'y prendra le nom d'ouvrage;
Mais, sous le nom de badinage,
Il sera quelquefois permis

De rimer quelques chansonnettes,
Et d'embellir quelques sornettes
Du poétique coloris,

En répandant avec finesse
Une nuance de sagesse
Jusque sur Bacchus et les Ris.
Par un arrêt en vaudevilles
On bannira les faux plaisants,
Les cagots fades et rampants,
Les complimenteurs imbécilles,
Et le peuple de froids savants.
Enfin cet heureux coin du monde
N'aura pour but dans ses statuts
Que de nous soustraire aux abus
Dont ce bon univers abonde.

Toujours sur ces lieux enchanteurs
Le soleil, levé sans nuages,

Fournira son cours sans orages,
Et se couchera dans les fleurs.
Pour prévenir la décadence
Du nouvel établissement,
Nul indiscret, nul inconstant,
N'entrera dans la confidence:
Ce canton veut être inconnu.
Ses charmes, sa béatitude,
Pour base ayant la solitude,
S'il devient peuple, il est perdu.
Les états de la république
Chaque automne s'assembleront;
Et là notre regret unique,
Nos uniques peines seront
De ne pouvoir toute l'année
Suivre cette loi fortunée
De philosophiques loisirs,
Jusqu'à ce moment où la Parque
Emporte dans la même barque

Nos jeux, nos cœurs, et nos plaisirs.

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