VOLAGE Muse, aimable enchanteresse, Qui, m'égarant dans de douces erreurs, Viens tour-à-tour parsemer ma jeunesse De jeux, d'ennuis, d'épines, et de fleurs; Si dans ce jour de loisible mollesse Tu peux quitter les paisibles douceurs, Vole en ces lieux; la voix de la Sagesse M'appelle ici loin du bruyant Permesse, Loin du vulgaire et des folles rumeurs; Parois sans crainte aux yeux d'une déesse Qui regle seule et ma lyre et mes mœurs: Car ce n'est point cette pédante altiere Dont la vertu n'est qu'une morgue fiere, Un faux honneur guindé sur de vieux mots, L'horreur du sage et l'idole des sots; C'est cette nymphe au tendre caractere, Née au portique, et formée à Cythere, Qui, dédaignant l'orgueil des vains discours, Brille sans fard, et rassemble près d'elle La Vérité, la Franchise fidele,
Et la Vertu dans le char des Amours. C'est à ses yeux, au poids de sa balance, Muse, qu'ici, dans le sein du silence, De l'art des vers estimant la valeur, Je veux sur lui te dévoiler mon cœur. Mais en ce jour quelle pompe s'apprête?
Le front paré des myrtes de Vénus, Où voles-tu? quelle brillante fête Peut t'inspirer ces transports inconnus? Sur mes destins tu t'applaudis sans doute. Mais instruis-moi: pourquoi triomphes-tu? Comptes-tu donc qu'à moi-même rendu, Au Pinde seul je vais tourner ma route, Ou qu'affranchi des liens rigoureux Qui captivoient ton enjoûment folâtre, Je vais enfin, de toi seule idolâtre, Donner l'essor aux fougues de tes jeux? Si ce projet fait l'espoir qui t'enchante, C'est t'endormir dans une vaine attenté: Sous d'autres lois mon sort se voit rangé; Avec mon sort mon cœur n'a point changé. Je veux pourtant que la métamorphose Ait transformé ma raison et mes sens;
un temps avec toi je suppose Que, consacrant ma voix à tes accents, J'aille t'offrir un éternel encens. Adorateur d'un fantôme frivole, A tes autels que pourrois-je obtenir? Que ferois-tu, capricieuse idole? Par le passé décidons l'avenir:
Comme tes sœurs, tu paierois mes hommages
Du doux espoir des dons les plus chéris. Tes sœurs! que dis-je? hélas! quels avantages En ont reçu leurs plus chers favoris?
Vaines beautés, sirenes homicides,
Dans tous les temps, par leurs accords perfides, N'ont-elles point égaré les vaisseaux
De leurs amants endormis sur les eaux? Ouvre à mes yeux les fastes de mémoire, Ces monuments de disgrace et de gloire: Je lis le nom des poëtes fameux; Où sont les noms des poëtes heureux? Enfants des dieux, pourquoi leur destinée Est-elle en proie aux tyrans infernaux ? Pour eux la Parque est-elle condamnée A ne filer que sur de noirs fuseaux? Quoi! je les vois, victimes du génie, Au foible prix d'un éclat passager Vivre isolés, sans jouir de la vie, Fuir l'univers, et mourir sans patrie, Non moins errants que ce peuple léger Semé par-tout, et par-tout étranger!
De ces malheurs les cygnes de la Seine N'ont-ils point eu des gages trop certains? Et pour trouver ces lugubres destins Faut-il errer dans les tombeaux d'Athene, Ou réveiller la cendre des Latins?
Faut-il d'Orphée, ou d'Ovide, ou du Tasse, Interroger les mànes radieux,
Et reprocher leur bizarre disgrace Au fier caprice et des rois et des dieux Non, n'ouvrons point d'étrangeres archives;
Notre Hélicon, trop long-temps désolé, Ne voit-il pas ses graces fugitives?
Oui, chaque jour la Muse de nos rives, Pleurant encor son Horace exilé, Demande aux dieux que ce phénix lyrique, Dont la jeunesse illustra ces climats, Revienne enfin de la rive belgique Se reproduire et renaître en ses bras.
Voilà pourtant, Muse, voilà l'histoire Des dons fameux qu'ont procurés tes sœurs, Vingt ans d'ennuis pour quelques jours de gloire. Et j'envierois tes trompeuses faveurs!
J'en conviendrai, de ces dieux du Permesse N'atteignant point les talents enchanteurs, Et défendu par ma propre foiblesse, Je n'aurois pas à craindre leurs malheurs. Eh! que sait-on? un simple badinage Mal entendu d'une prude ou d'un sot, Peut vous jeter sur un autre rivage: Pour perdre un sage il ne faut qu'un bigot. Cependant, Muse, à quelle folle ivresse Veux-tu livrer mon tranquille enjoûment? Toujours fidele à l'aimable paresse, Et ne voulant qu'un travail d'agrément, Jusqu'à ce jour tu chérissois la rime Moins par fureur que par amusement; Quel feu subit te transporte, t'anime, Et d'un plaisir va te faire un tourment?
Hélas! je vois par quel charme séduite Tu veux franchir la carriere des airs: De mille objets la nouveauté t'invite; Et leur image, autrefois interdite A ton pinceau dans les jours de tes fers, Vient aujourd'hui te demander des vers: Rendue enfin à la scene du monde, Tu crois sortir d'une éclipse profonde, Et voir éclore un nouvel univers; Autour de toi mille sources nouvelles A chaque instant jaillissent jusqu'aux cieux; Pour t'enlever sur leurs brillantes ailes Tous les plaisirs voltigent à tes yeux; Pour t'égarer, le dieu du docte empire T'ouvre des bois nouveaux à tes regards, Et fait pour toi briller de toutes parts Le brodequin, le cothurne, la lyre, Le luth d'Euterpe, et le clairon de Mars. Un autre dieu, plus charmant et plus tendre, Jusqu'à ce jour absent de tes chansons, Sous mille attraits caché pour te surprendre, Prétend mêler des soupirs à tes sons. De tant d'objets la pompe réunie A chaque instant redouble ta manie;
Et tu voudrois, dans tes nouveaux transports, Sur vingt sujets essayer tes accords? Tel dans nos champs, au lever de l'aurore, Prenant son vol pour la premiere fois,
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