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Cette lumière est partie de l'Orient; et déjà Thalės, d'origine phénicienne, et Pythagore, le père de la philosophie merveilleuse, avaient éclairé de la lumière de l'Orient quelques nations occidentales. Socrate fut d'abord le disciple de la secte Ionique, formée par Thalès, et qui s'appliquait surtout aux sciences naturelles; mais il s'éleva ensuite bien plus haut, puisqu'il s'occupa de l'homme même. Platon apprit de Socrate cette philosophie morale, et les principes d'une théologie pure et su blime. Ce n'était pas assez pour lui. Socrate n'était jamais sorti de la Grèce : Platon voulait savoir s'il ne trouverait pas ailleurs les leçons de quelque autre instituteur des hommes, quelques vérités secrètes, inspirées par un autre Génie. Son séjour en Italie, auprès des Pythagoriciens Euryte, Philolaüs, Archytas, lui fit connaître les dogmes du philosophe de Samos; il recueillit les ouvrages des disciples, Timée, Ocellus; à Tarente, à Crotone, il trouva la mémoire encore récente des entretiens du maître avec les prophètes de l'Egypte, les mages de la Chaldée et les gymnosophistes de l'Inde. Bientôt, comme Pythagore, aux connaissances géométriques des sages de Babylone, aux traditions religieuses des brachmanes, il joignit, dans son voyage d'Egypte, les enseignemens et les archives des prêtres de Saïs. Il leur dut son Atlantide et une partie de ses Lois. Nous distinguons moins les traces des récits asiatiques; mais il n'est guère possible de méconnaître Zoroastre dans cet Arménien qui ressuseite après douze jours, et la métempsycose, dans la description des récompenses et des peines de l'autre vie. On doit regretter qu'il n'ait pu traverser la Perse, agitée alors par la guerre, et s'entretenir avec ces brachmanes qui instruisirent tour à tour Pythagore, Démocrite, Anaxarque, Pyrrhon, Apollonius; mais s'il ne pénétra

pas jusqu'à l'Inde, il en connut du moins la cosmogonie et les principales croyances, comme le prouvent les nombreux rappports de ses livres avec le Védam et le Shastah. ✔ L'Orient, cette source mystérieuse, qui est encore si féconde aujourd'hui, nourrit et charma son imagination toujours jeune et puissante; il crut y voir le berceau du monde; il crut entendre dans les fables de l'Assyrien, dans ces traditions qu'il appelle les anciens discours, un bruit lointain, un souvenir confus des premières vérités; il remonta par la pensée jusqu'à la naissance de l'homme et des peuples, et ce que les sages ne pouvaient lui apprendre lui fut révélé par son âme pieuse, toute remplie de la grandeur de Dieu, par sa raison et sa conscience, par ce Verbe éternel qui parle au cœur de tous les hommes.

Connut-il les livres hébreux? D. Calmet, dans la dissertation qui précède son commentaire sur les Proverbes, décide que les philosophes grecs n'ont jamais connu ces livres. Le P. Mourgues, fier d'avoir pour lui les plus respectables témoignages de l'Eglise grecque et de l'Eglise latine, avait soutenu le contraire dans son Plan théologique du Pythagorisme. L'opinion de D. Calmet a prévalu (1).

Les Pères, dont l'autorité unanime n'a pas été respectée sur ce point par ceux même qu'elle pouvait enchaîner, devaient au moins être crus et suivis dans leur admiration sincère pour le Platonisme: ici, la plus sévère critique' permettait de penser comme eux. Il semble, au contraire, que les historiens des opinions philosophiques, et Brucker à leur tête, aient pris à tâche de ne voir, dans les anciens

pu,

(1) J'aurais sur cette question comme sur tout le reste, coùvrir les pages d'autorités anciennes et modernes ; mais je n'en citerai que sur les choses peu discutées ou peu connues. J'aime mieux qu'on ne s'aperçoive pas du travail que cet ouvrage m'a coûté.

sages, que des spinosistes, des matérialistes, des hommes qui ne concevaient ni l'unité de Dieu, ni la création du monde, ni la spiritualité de l'âme, ni les récompenses et les peines, ni la moindre croyance vraiment religieuse; et cela, pour ne leur laisser aucune ressemblance avec les premiers chrétiens. Ce préjugé opiniâtre a nui jusqu'à présent à la vérité historique, qu'il fallait chercher dans le texte seul des philosophes. Ainsi, les prétentions des Néo-Platoniciens, que les juges du chef de l'école n'ont pas assez oubliées, les ont rendus injustes; ils se sont vengés sur Platon de l'ambition d'Ammonius. Une si petite précaution est indigne du christianisme. Prenons de meilleurs guides, des guides plus hardis et plus sûrs, et ne craignons pas de voir dans Platon ce que Saint Justin, Saint Clément, Origène, Eusèbe y ont trouvé.

Nous ne pouvons donner une analyse complète : il est difficile de réunir en corps de doctrine toutes ces idées éparses, toutes ces opinions soit publiques, soit secrètes (1), suivant l'ancienne division des écrits philosophiques, et dont quelques-unes sont soutenues et attaquées dans le même ouvrage. La forme dramatique, le ton de poëte et d'inspiré, les apologues, l'ironie, l'usage de réfuter les définitions des autres sans définir soi-même, le nombre et la discorde des interprètes, augmentent la difficulté. Enfin, nous l'avouerons, le mélange des systèmes ou le syncrétisme, dont Platon a donné l'exemple aux Alexandrins, répand quelques nuages sur ses véritables pensées. Il était beau, sans doute, d'élever le premier tout l'édifice de la philosophie, et de présenter dans

(1) Numénius, cité par Eusèbe, Prépar. Evang. XIII, 5, avait fait un livre, Περὶ τῶν παρὰ Πλάτωνι ἀποῤῥήτων. Voy. aussi l'Introduction d'Alcinoüs, et Brucker, Hist. Philos. t. I, p. 659, édit. de 1742.

le même ensemble la métaphysique de Pythagore et de Parménide; la physique de Thalès, d'Héraclite, de Philolaüs, la dialectique d'Euclide, la morale de Socrate; mais cette alliance est quelquefois confuse, et des termes vagues, des contradictions nous arrêtent. C'est peut-être à cette incertitude, qui naît presque toujours des dialogues du maître, qu'il faut attribuer le doute universel de la seconde Académie. Cependant, si j'ose soustraire quelque chose au redoutable que sais-je ? de Socrate ét de ses disciples, il me semble que plusieurs dogmes sortent triomphans du combat des opinions théologiques, morales, politiques.

Le Platonisme enseigne un seul Dieu, esprit pur, éternel, immuable, immense, tout-puissant; Dieu de bonté et de justice, qui voit et prévoit tout, qui gouverne en Père ce monde vivant, Fils de Dieu, créé, par une pensée de son Intelligence (1), d'après un monde idéal, seul vrai, seul incorruptible; les causes secondes, anges, démons, génies; la spiritualité et l'immortalité de l'âme, ouvrage du moteur suprême, et qui apporte avec elle sur la terre les idées innées des premiers principes; les récompenses et les peines d'une autre vie, représentées allégoriquement dans le Phèdre, le dixième livre de la République, le Phédon et le Timée, par des fables orientales et quelques idées de Pythagore et des brachmanes sur la métempsycose, ou les différentes mi

(1) Cette trinité Platonique est développée avec beaucoup de sagacité par le P. Mourgues, Plan théologique du Pythagorisme, t. I, p. 113. « Platon, dit-il, est inintelligible d'un bout à l'autre pour quiconque ne comprend rien à cela : ce sont les fondemens de sa morale, et les principes d'une philosophie plus théologique que celle de notre temps; c'est là sa religion, et la vraie clef de ses ouvrages. » V. Cudworth, System. Intellect. IV, 36, et les auteurs cités par Fabricius, Biblioth. Gr. t. II, p. 39.

grations de celles des âmes qui, pendant leur exil terrestre, ont oublié leur céleste origine. Il commande la charité (1) ou l'amour de Dieu, souverain bien de l'homme, la foi (2), l'espérance, le culte et la prière.

En morale, il enseigne la loi naturelle sur le juste et l'injuste; la prudence, la tempérance, la force; l'amour du prochain (3); le libre arbitre; le bonheur dans la vertu, sans laquelle tout le reste n'est rien; la soumission du corps à l'âme, et du plaisir au devoir; l'oubli des injures; l'humilité.

La politique de Socrate paraît, en général, fondée sur la haine de la démocratie. La République, ou plutôt le Traité du juste et de l'injuste, n'a pour but que l'aristocratie dans l'homme comme dans l'état, c'est-à-dire, dans l'homme, l'empire de la raison; dans l'état, le gouvernement des meilleurs citoyens. Socrate, pour arriver à ce but, examine tour à tour les divers caractères, ou timocratique, ou oligarchique, ou démocratique, ou tyrannique, de l'homme et de la cité. Celle qu'il imagine pour établir ce parallèle, dont j'écarte les digressions et les pa radoxes, est formée des ministres de la loi, des guerriers et du peuple, ou, suivant ses propres termes, des bergers, des chiens et du troupeau : ainsi, dans l'homme, il trouve la raison, qui seule doit régner, et les deux autres parties

(1) L'amour de Dieu, reconnu dans Platon (Banquet, disc. de Diotime) par St. Augustin, De Civit. Dei, VIII, 8, se trouve aussi dans Sénèque, Epître 47: « Quod Deo satis est, qui colitur et amatur. » Passage qu'on peut opposer à Barthélemy, not. 2 sur le chap. 79 d'Anacharsis.

(2) La foi, Tieròs d'vnp, De Legib. V, 3; L'espérance, De Legib. V, 4; De Republ. VI, 10, etc.

(3) L'amour du prochain, De Republ. III, 1; Le libre arbitre, De Republ. X, 14; De Leg. X, 12, etc.; L'humilité, De Leg.

IV, 7.

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