Je veux qu'on soit sincère, et qu'en homme d'honneur On ne lâche aucun mot qui ne parte du cœur.
Lorsqu'un homme vous vient embrasser avec joie, Il faut bien le payer de la même monnoie, Répondre comme on peut à ses empressements, Et rendre offre pour offre, et serments pour serments.
Non, je ne puis souffrir cette lâche méthode Qu'affectent la plupart de vos gens à la mode; Et je ne hais rien tant que les contorsions De tous ces grands faiseurs de protestations, Ces affables donneurs d'embrassades frivoles, Ces obligeants diseurs d'inutiles paroles, Qui de civilités avec tous font combat,
Et traitent du même air l'honnête homme et le fat. Quel avantage a-t-on qu'un homme vous caresse, Vous jure amitié, foi, zèle, estime, tendresse, Et vous fasse de vous un éloge éclatant, Lorsqu'au premier faquin il court en faire autant? Non, non, il n'est point d'ame un peu bien située Qui veuille d'une estime ainsi prostituée; Et la plus glorieuse a des régals peu chers, Dès qu'on voit qu'on nous mêle avec tout l'univers. Sur quelque préférence une estime se fonde, Et c'est n'estimer rien qu'estimer tout le monde. Puisque vous y donnez, dans ces vices du temps, Morbleu! vous n'êtes pas pour être de mes gens; Je refuse d'un cœur la vaste complaisance
Qui ne fait de mérite aucune différence :
Je veux qu'on me distingue ; et, pour le trancher net, L'ami du genre humain n'est point du tout mon fait.
Mais quand on est du monde il faut bien que l'on rende Quelques dehors civils que l'usage demande.
Non, vous dis-je: on devroit châtier sans pitié Ce commerce honteux de semblant d'amitié.
Je veux que l'on soit homme, et qu'en toute rencontre Le fond de notre cœur dans nos discours se montre, Que ce soit lui qui parle, et que nos sentiments Ne se masquent jamais sous de vains compliments.
Il est bien des endroits où la pleine franchise Deviendroit ridicule, et seroit peu permise ; Et, parfois, n'en déplaise à votre austère honneur, Il est bon de cacher ce qu'on a dans le cœur. Seroit-il à propos et de la bienséance
De dire à mille gens tout ce que d'eux on pense? Et quand on a quelqu'un qu'on hait ou qui déplaît, Lui doit-on déclarer la chose comme elle est?
Quoi! vous iriez dire à la vieille Émilie Qu'à son âge il sied mal de faire la jolie, Et que le blanc qu'elle a scandalise chacun ?
A Dorillas, qu'il est trop importun,
Et qu'il n'est à la cour oreille qu'il ne lasse A conter sa bravoure et l'éclat de sa race?
Vous vous moquez.
ALCESTE.
Et je vais n'épargner personne sur ce point: Mes yeux sont trop blessés; et la cour et la ville Ne m'offrent rien qu'objets à m'échauffer la bile. J'entre en une humeur noire, en un chagrin profond, Quand je vois vivre entre eux les hommes comme ils font. Je ne trouve par-tout que lâche flatterie, Qu'injustice, intérêt, trahison, fourberie:
Je n'y puis plus tenir, j'enrage; et mon dessein Est de rompre en visière à tout le genre humain.
Ce chagrin philosophe est un peu trop sauvage. Je ris des noirs accès où je vous envisage,
Et crois voir en nous deux, sous nièmes soins nourris, Ces deux frères que peint l'École des Maris;
Mon dieu! laissons là vos comparaisons fades.
Non: tout de bon, quittez toutes ces incartades ; Le monde par vos soins ne se changera pas.
Et puisque la franchise a pour vous tant d'appas, Je vous dirai tout franc que cette maladie Par-tout où vous allez donne la comédie;
Et qu'un si grand courroux contre les mœurs du temps Vous tourne en ridicule auprès de bien des gens.
Tant mieux, morbleu! tant mieux; c'est ce que je demande: Ce m'est un fort bon signe, et ma joie en est grande. Tous les hommes me sont à tel point odieux, Que je serois fâché d'être sage à leurs yeux.
Vous voulez un grand mal à la nature humaine !
Oui, j'ai conçu pour elle une effroyable haine.
Tous les pauvres mortels, sans nulle exception,
Seront enveloppés dans cette aversion?
Encore en est-il bien dans le siècle où nous sommes...
Non: elle est générale, et je hais tous les hommes ; Les uns, parcequ'ils sont méchants et malfaisants; Et les autres, pour être aux méchants complaisants, Et n'avoir pas pour eux ces haines vigoureuses Que doit donner le vice aux ames vertueuses. De cette complaisance on voit l'injuste excès Pour le franc scélérat avec qui j'ai procès.
Au travers de son masque on voit à plein le traître ; Par-tout il est connu pour tout ce qu'il peut être ; Et ses roulements d'yeux et son ton radouci N'imposent qu'à des gens qui ne sont point d'ici.
On sait que ce pied-plat, digne qu'on le confonde, Par de sales emplois s'est poussé dans le monde, Et que par eux son sort, de splendeur revêtu, Fait gronder le mérite et rougir la vertu.
Quelques titres honteux qu'en tous lieux on lui donne, Son misérable honneur ne voit pour lui personne : Nommez-le fourbe, infame, et scélérat maudit, Tout le monde en convient, et nul n'y contredit. Cependant sa grimace est par-tout bien venue. On l'accueille, on lui rit, par-tout il s'insinue; Et s'il est par la brigue un rang à disputer, Sur le plus honnête homme on le voit l'emporter. Têtebleu! ce me sont de mortelles blessures De voir qu'avec le vice on garde des mesures; Et parfois il me prend des mouvements soudains De fuir dans un désert l'approche des humains.
Mon dieu! des mœurs du temps mettons-nous moins en peine, Et faisons un peu grace à la nature humaine; Ne l'examinons point dans la grande rigueur, Et voyons ses défauts avec quelque douceur. Il faut parmi le monde une vertu traitable; A force de sagesse on peut être blâmable: La parfaite raison fuit toute extrémité, Et veut que l'on soit sage avec sobriété. Cette grande roideur des vertus des vieux âges Heurte trop notre siècle et les communs usages; Elle veut aux mortels trop de perfection : Il faut fléchir au temps sans obstination; Et c'est une folie, à nulle autre seconde,
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