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MORON.

Morbleu! que n'ai-je de la voix! Ah! nature marâtre, pourquoi ne m'as-tu pas donné de quoi chanter comme à un autre?

PHILIS.

En vérité, Tircis, il ne se peut rien de plus agréable, et tu l'emportes sur tous les rivaux que

tu as.

MORON.

Mais pourquoi est-ce que je ne puis pas chanter? N'ai-je pas un estomac, un gosier, une langue, comme un autre? Oui, oui, allons; je veux chanter aussi, et te montrer que l'amour fait faire toutes choses. Voici une chanson que j'ai faite pour toi.

PHILIS.

Oui! Dis : je veux Bien t'écouter pour la rareté du fait.

MORON.

Courage, Moron! Il n'y a qu'à avoir de la hardiesse. (Il chante.)

Ton extrême rigueur

S'acharne sur mon cœur.
Ah! Philis, je trépasse :
Daigne me secourir !

En seras-tu plus grasse
De m'avoir fait mourir?

Vivat Moron!

PHILIS.

Voilà qui est le mieux du monde. Mais, Moron, je souhaiterois bien d'avoir la gloire que quelque amant fût mort pour moi. C'est un avantage dont je n'ai pas encore joui; et je trouve que j'aimerois de tout mon cœur une personne qui m'aimeroit assez pour se donner la mort.

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Voilà qui est fait. Je veux te montrer que je me sais tuer quand je veux.

TIRCIS chante.

Ah! quelle douceur extrême

De mourir pour ce qu'on aime!
MORON, à Tircis.

C'est un plaisir que vous aurez quand vous

voudrez.

TIRCIS chante.

Courage, Moron! meurs promptement
En généreux amant.

MORON, à Tircis.

Je vous prie de vous mêler de vos affaires, et de me laisser tuer à ma fantaisie. Allons, je vais faire honte à tous les amants.

(à Philis. )

Tiens, je ne suis pas homme à faire tant de façons. Vois ce poignard; prends bien garde comme je vais me percer le cœur.... Je suis votre serviteur. Quelque niais...

PHILIS.

Allons, Tircis, viens-t'en me redire à l'écho ce que tu m'as chanté.

FIN DU TROISIÈME INTERMEDE.

SCÈNE I.

LA PRINCESSE, EURYALE, MORON.

LA PRINCESSE.

Prince, comme jusqu'ici nous avons fait pa

roître une conformité de sentiments, et

que

le

ciel a semblé mettre en nous mêmes attachements
pour notre liberté et même aversion pour l'amour,
je suis bien aise de vous ouvrir mon cœur,
et de
vous faire confidence d'un changement dont
vous serez surpris. J'ai toujours regardé l'hymen
comme une chose affreuse ; et j'avois fait serment
d'abandonner plutôt la vie que de me résoudre
jamais à perdre cette liberté pour qui j'avois des
tendresses si grandes: mais enfin un moment a
dissipé toutes ces résolutions. Le mérite d'un
prince m'a frappé aujourd'hui les yeux; et mon
ame tout d'un coup, comme par un miracle, est
devenue sensible aux traits de cette passion que
j'avois toujours méprisée. J'ai trouvé d'abord des
raisons pour autoriser ce changement, et je puis

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l'appuyer de ma volonté de répondre aux ardentes sollicitations d'un père et aux vœux de tout un état: mais, à vous dire vrai, je suis en peine du jugement que vous ferez de moi, et je voudrois savoir si vous condamnerez ou non le dessein que j'ai de me donner un époux.

EURYALE.

Vous pourriez faire un tel choix, madame, que je l'approuverois sans doute.

LA PRINCESSE.

Qui croyez-vous, à votre avis, que je veuille choisir?

EURYALE.

Si j'étois dans votre cœur, je pourrois vous le dire; mais comme je n'y suis pas, je n'ai garde de vous répondre.

LA PRINCESSE.

Devinez, pour voir, et nommez quelqu'un.

EURYALE.

J'aurois trop peur de me tromper.

LA PRINCESSE.

Mais encore, pour qui souhaiteriez-vous que je me déclarasse ?

EURYALE.

Je sais bien, à vous dire vrai, pour qui je le souhaiterois : mais, avant que de m'expliquer, je dois savoir votre pensée.

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