Images de page
PDF
ePub

nements qui les ont fait triompher. Il faut respecter ces révolutions dans leur principe, il ne faut pas se tenir à l'écart des souvenirs qu'elles consacrent, du drapeau qu'elles honorent, de la royauté qu'elles ont créée. Il faut aimer ces révolutions dans leur ensemble en détestant leurs erreurs, leurs crimes, leurs excès; mais il ne faut pas craindre de présenter au monde le drapeau d'une révolution comme la nôtre. »>

Jusque-là, la discussion s'était maintenue entre les ambitions triomphantes et les ambitions déçues. M. Berryer, faisant justice des misérables questions personnelles, vint agrandir le terrain et donner de hautes leçons de morale et de politique et au cabinet et à l'opposition dynastique. Ses premières paroles étaient une vive critique du parlement qui depuis dix ans négligeait les grands intérêts du pays pour discuter sans cesse sur la sympathie ou sur l'antipathie qu'ont inspirées tels, ou tels ministères, qu'on ne peut pas même venir à bout de définir par les principes qu'ils auraient essayé de mettre en œuvre, et pour lesquels il faut recourir aux chiffres du calendrier, parlant tour à tour du 22 février, du 6 septembre, du 15 avril, du 12 mai!

Puis il ajoute :

« Je déclare, Messieurs, que j'ai cru que la formation du cabinet qui est aujourd'hui assis devant vous était un événement; j'ai cru que la formation d'un cabinet qui depuis vingt-cinq ans est le premier qui soit sorti des rangs de l'opposition, allait nettement ouvrir une carrière nouvelle, et qu'il allait nous dire comme Richelieu aux ambassadeurs de l'Europe: « La politique est changée. » Je crains, Messieurs, qu'il n'en soit pas ainsi.

« Je ne vois pas dans la position qu'on indique, dans le plan qu'on trace, quelque chose qui signale l'avénement

d'un cabinet triomphant, d'un système ministériel maintenu pendant longues années, et venant, au nom de l'opposition, s'asseoir au banc des ministres.

« J'ajouterai, et l'honorable M. Barrot me le pardonnera mes incertitudes sont devenues plus grandes, quand je l'ai entendu, lui toujours si clair, parce qu'il est si probe. Il ne m'a pas été possible de comprendre suffisamment, dans ce qu'il nous a dit hier, les motifs de son adhésion; et si la situation d'un ministère nouveau ne permettait pas au chef du cabinet d'entrer dans des développements trop explicites, je comprends mal pourquoi le chef de l'opposition n'a pas senti qu'il lui était nécessaire de faire entendre clairement et profondément l'adhésion qu'il donne au cabinet; j'avoue que ce mot de progrès, qui a été prononcé sans être bien défini, m'a paru une espérance plus qu'une satisfaction de l'esprit...

« Le chef du cabinet disait hier: La transaction est faite dans les choses; il ne faut plus songer qu'à la transaction entre les personnes.

N'y aurait-il donc en effet, Messieurs, au témoignage des ministres, au témoignage d'hommes si importants dans la chambre, n'y aurait-il donc dans notre pays que des questions de personnes? Serions-nous, en France, tombés dans cette détestable et affligeante condition des États en pleine décadence? Non, cela n'est pas. Mais il y a de la faiblesse au fond de la discussion; mais toutes ces questions de personnes, parce qu'on jette des noms qui ont défendu quelques idées, paraissent un voile suffisant pour couvrir les questions de choses, les questions de principes sur lesquelles on ne s'explique pas clairement. Il faut donc parler clai

rement.

« Pour quiconque observe attentivement la situation des

chambres depuis dix années, il y a une division de principes profonde au sein de la chambre des députés. Cette division existe depuis longtemps, elle existe depuis le commencement de la révolution; elle partage la chambre en deux fractions bien distinctes, indépendantes des subdivisions dont elles ont pu être surchargées. L'une veut, sur la conduite et la marche des affaires du pays, la prééminence du pouvoir parlementaire; l'autre veut la prééminence du pouvoir de la couronne. Soyons sincères, Messieurs, c'est là toute la différence.

«Dans une telle situation, Messieurs, n'est-il pas évident, quand de si grandes questions de principes sont celles qui établissent réellement une division profonde au sein de l'assemblée; n'est-il pas évident que pour avoir une majorité qui puisse être forte, permanente, logique, qui fasse des progrès et des conquêtes, il faut être nettement, ouvertement, franchement, explicitement dans l'un ou l'autre de ces deux partis, dans l'une ou l'autre de ces deux théories, dans l'un ou l'autre de ces deux systèmes? Eh bien! le ministère de l'opposition, le ministère nouveau, s'est-il ainsi placé? Je ne le pense pas, et, sous ce rapport, je ne trouve pas sa condition meilleure que celle du ministère récemment renversé.

<< Ce ministère, se plaçant sur tout ce qu'il appelle un terrain intermédiaire, faisant appel à ce qui l'avoisine le plus, fait évidemment appel aux hommes les moins énergiquement convaincus, les moins attachés à leurs pensées, les moins attachés à leur système. Au lieu d'appeler à lui les hommes par la force de ses principes, par la confiance que ses doctrines politiques pourront inspirer, le ministère se sent dans la nécessité de modifier ses principes suivant le

nombre et la qualité des hommes qui accourent à son appui, soit de droite, soit de gauche.

<< Messieurs, la situation du ministère ne peut être forte que s'il se déclare attaché à des principes nets, précis, l'un de ceux qui partagent la chambre, appelant à lui, par la participation des principes, ces hommes qui voudront les défendre avec lui. C'est, Messieurs, ce qu'a voulu la coalition.

<< La barrière du gouvernement parlementaire franchement posée, n'en doutez pas, c'est le seul moyen d'arrêter les progrès effrayants de l'individualisme qui ôte à la France l'esprit de sacrifice dont tout grand corps politique doit être animé, et qui finirait par lui arracher toutes les conditions morales de toute société.

<< Cette situation ainsi faite, je dis qu'elle est nécessaire; car elle seule, nettement avouée, peut donner au cabinet la force dont il a besoin. Plus il signale la gravité des circonstances, et plus je lui dirai : Remplissez-vous votre devoir quand vous attendez des situations incertaines, quand vous gâtez votre position dans cette assemblée, quand vous criez sans discerner à quel côté s'adressent vos paroles, à quel système vous faites appel; quand vous criez à tous: Venez à moi! Vous ne savez donc pas avec qui vous allez vous engager, avec quelle majorité vous pourrez marcher? Évidemment, ou vous serez sans système, sans principes, sans politique, ou vous tomberez, parce qu'on ne voudra pas donner des voix à qui se présente sur un terrain aussi vague et aussi incertain. >>

Après cette appréciation vive et précise de la situation intérieure, l'orateur fit l'examen de la situation extérieure et s'éleva avec énergie contre l'alliance anglaise. Il termina par

ces mots, qui produisirent dans la chambre une profonde émotion :

«Ministres sortis des bancs de l'opposition, vous pouvez vous proclamer les enfants de la révolution, vous pouvez en avoir orgueil, vous pouvez ne pas douter de sa force; mais il faut payer sa dette.

<< La révolution a promis au pays, dans le développement de ses principes, dans la force de ses principes, une puissance nouvelle pour accroître son influence, sa dignité, son ascendant, son industrie, ses relations, sa domination au moins intellectuelle dans le monde. La révolution doit payer sa dette, et c'est vous qui en êtes chargés.

« Les principes qui ont triomphé, après quinze années d'une opposition soutenue, ces principes sont des engagements envers le pays. Pour les choses promises, aurez-vous hardiment, courageusement des forces qui sont propres à la révolution que vous avez faite? Vous nous devez pour la France l'emploi de ces forces, énergiquement, ouvertement, sans déguisement; vous nous devez toute la force promise, au lieu de la force qui a été ôtée. »>

Le ministère semblait accablée sous la puissante parole de M. Berryer. L'orateur légitimiste, invoquant les principes de la révolution, appelant l'accomplissement de ses plus nobles promesses, donnait une leçon cruelle à M. Thiers et aux doctrinaires ses collègues. Vainement le président du conseil tenta, par quelques paroles embarrassées, d'atténuer l'effet immense de cet éloquent réquisitoire. Il était battu sur le terrain même de la révolution où il s'était engagé d'une manière équivoque, où on le ramenait avec franchise. Tout le monde, ce jour-là, croyait à la défaite du ministère.

Un nouvel assaut lui était réservé le lendemain. Le repré

« PrécédentContinuer »