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PRÉFACE

OICI un livre qui demande à être présenté au public. I paraîtra au moment même où son auteur terminera très allègrement sa quatrevingt-deuxième année.

Je ne saurais laisser à personne le soin de dire ici ce que fut cette œuvre de prédilection, qui, commencée depuis plus d'un demi-siècle, vers 1840, a rempli une existence et donné à celui qui l'a menée à bonne fin à travers les années, une somme de jouissances que seuls les travailleurs et les chercheurs peuvent apprécier. C'est donc à la fois un devoir filial que j'accomplis, en même temps qu'un intime plaisir que je me donne en parlant de ce livre, qui a été pour mon père une douce et agréable passion.

Le jour même où il succédait à une longue suite de typographes, dont certainement personne n'avait jamais eu la pensée de rechercher même les noms, mon père. se mit patiemment à collectionner les livres sortis des presses montalbanaises; puis, élargissant son horizon, il colligea avec un zèle et une persévérance qui ne se sont jamais démentis et continuent encore tout ce

qui, de près ou de loin, intéressait le Tarn-et-Garonne : Biographie, bibliographie, histoire, archéologie, littérature; tout ce qui émanait de Tarn-et-Garonnais ou traitait de choses locales a été recueilli et méthodiquement classé par lui.

On ne fait jamais appel à sa mémoire, à ses souvenirs sans qu'aussitôt, avec une précision absolue, étonnante, il ne trouve la réponse, ou le document désiré s'il a pu le placer dans sa bibliothèque.

C'est, en un mot, un répertoire vivant d'histoire locale. Et ceci n'est point un éloge dicté par l'affection, c'est une constatation.

Posséder des livres, les classer après les avoir parcourus, ne suffisait pas à mon père il voulut ayant encore en main le vieux matériel de ses prédécesseurs

connaître les vicissitudes subies par ces vieilles presses, par ces vignettes aux dessins caractéristiques, ces caractères aux formes surannées, qu'il remplaçait par des types plus nouveaux.

Alors commença cette recherche à travers les archives, les minutes des notaires, les actes de l'état-civil, cette chasse aux documents qui devaient, pendant plus d'un demi-siècle, être analysés, rapprochés, mis en œuvre et former le tout qui se présente aujourd'hui devant le public, avec une physionomie fort avenante d'ailleurs, malgré l'aridité forcée du sujet.

Il faut avoir, comme moi, assisté à la genèse de certains chapitres, tels que ceux des débuts, où tout était à trouver, où chaque page représente une somme considérable de lettres, d'investigations, de surprises, pour comprendre qu'une pareille étude était aussi curieuse qu'intéressante.

Songez que l'unique exemplaire du premier livre imprimé à Montauban en 1518, est enfoui, sous la garde d'un conservateur vigilant, dans la bibliothèque de Séville, et qu'un hasard l'y a fait découvrir; que le second, non moins rare, fut poursuivi à travers plusieurs mains pour arriver, après de nombreuses pérégrinations, à trouver sa place dans la série, Quelle cour assidue et patiente, ingénieuse et subtile fut faite à une petite plaquette, qui, rebelle longtemps à des avances intéressées, ne se rendit qu'après une louable résistance. On ferait un livre amusant avec l'histoire de trouvailles inespérées dans les déballages des chiffonniers : il y aurait les éléments d'un musée dans les estampes, les portraits, les vues pittoresques recueillis ; et tel événement de notre histoire locale a formé la matière d'une brochure curieuse, cataloguant plus de deux cents pamphlets ou mémoires sur cette page d'histoire locale.

L'Histoire de l'Imprimerie et de la Librairie à Montauban n'est donc qu'un épisode dans cette vie de chercheur et de fouilleur du passé, mais un épisode capital, traité avec le soin, la conscience, l'exactitude qui se retrouvent dans les autres œuvres de l'auteur.

A ceux qui pourraient se demander quel est l'intérêt d'avoir fait revivre ces modestes typographes ou libraires d'autrefois, qui n'ont certes aucune prétention à l'immortalité, nous répondrons que c'étaient des érudits et des lettrés; que dans leur sphère locale, en vulgarisant les œuvres des classiques latins, en mettant à la portée du public les documents de l'autorité, en publiant les livres de leurs contemporains, les controverses, les récits historiques, les mémoires, ils contribuaient à cette marche incessante des sociétés vers le progrès.

Mais il y a plus dans ce livre, et c'est sur cette réflexion que je termine ces quelques lignes :

On y verra, par des reproductions fidèles, que, dans les siècles passés, l'individualité provinciale se maintenait avec plus d'intensité qu'aujourd'hui. L'imprimeur était le plus souvent son propre fondeur, et c'est en province que, bien des fois aussi, les cuivres et les bois ornant les livres étaient gravés et imprimés. Tel ouvrage publié par Haultin ou Samuel Dubois rivalise de pureté, d'élégance et de correction, avec ceux des Elzevirs et des Plantin.

La Bibliographie qui accompagne chaque notice, et qui certainement à elle seule serait déjà une œuvre aussi considérable qu'avantageuse, montre combien elle a coûté de recherches patientes et minutieuses.

Ce n'est certes pas un livre de chevet, mais il sera sûrement consulté souvent par tous ceux qui s'intéressent aux choses locales.

Éd. FORESTIE.

29 septembre 1898.

Lauréat de l'Institut.

INTRODUCTION.

Débuts et établissement de l'Imprimerie à Montauban.

Nous avons toujours apprécié le désir, généralement manifesté par les familles et par les peuples, de rechercher pieusement tout ce qui se rattache à leur histoire. Il devrait en être de même pour les corporations, qui sont aussi des familles.

Bien des esprits libéraux regrettent que la suppression. complète des maîtrises ait laissé s'éteindre la solidarité, dont le but principal était de maintenir dans le devoir tous les membres d'un même corps, isolés aujourd'hui aussi les patrons sont-ils forcément entraînés à un déplorable antagonisme par les nécessités de la concurrence à outrance, et rarement ils ont les moyens ou le courage de s'imposer des sacrifices pour faire progresser leur industrie, tandis que souvent les ouvriers, par des tarifs trop élevés, favorisent l'importation étrangère.

La corporation des Imprimeurs, qui occupait le premier rang dans les arts et métiers, et que l'Université traitait comme sa fille, avait besoin, plus que toute autre, de n'admettre dans ses rangs que des hommes instruits.

1 D'après l'article 45 du règlement de 1723, l'aspirant à la maîtrise de libraire payait 1,000 livres et pour la maîtrise d'imprimeur-libraire 1,500 au profit de la communauté; ces sommes étaient réduites à 600 et 900 livres pour les veuves, les fils ou les gendres des titulaires, qui devaient aussi avoir les qualités exigées.

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