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Cette diversité d'origine explique comment un certain nombre de mots ont gardé deux formes toutes différentes: ainsi, du mot werra, nous avons fait les mots guerre, guerrier, guerroyer, tandis que le latin bellum a donné belliqueux, belligérant, etc.

Mais les changements apportés au latin vulgaire alors parlé dans les Gaules, ne se bornent point à des modifications de détail et à l'introduction d'un certain nombre de mots dans le langage usuel. Le caractère même de cette langue se transforma, car ses procédés étaient trop subtils et trop délicats pour l'esprit grossier et inculte des barhares. Ainsi, en latin, les noms avaient six cas, c'est-à-dire six formes différentes pour exprimer les rôles qu'ils jouent dans le discours; ces six cas furent d'abord réduits à deux, l'un pour le sujet, l'autre pour les compléments; et plus tard les deux se confondirent en un seul. De même, les formes savantes et complexes de la conjugaison se décomposèrent; le latin disait en un seul mot amavi; le français sépara nettement et la désignation de la personne et le temps et le verbe, et dit: J'ai aimé. Bref, de synthétique qu'elle était, la langue devint analytique.

Pour être complet et ne rien omettre de ce qui a pu contribuer à la formation de notre idiome national, il faut ajouter qu'aux deux éléments constitutifs du français, le latin vulgaire et la langue germanique, s'en adjoignit un troisième qu'on pourrait appeler l'importation étrangère : ce sont les termes qu'à des époques ultérieures nous avons empruntés aux Italiens, aux Espagnols et aux Anglais.

Le long séjour que firent nos armées en Italie sous Charles VIII, Louis XII et François Ier, eut pour résultat d'introduire dans notre langue un certain nombre de mots nouveaux dont les gens de cour affectaient de se servir, et que l'usage a maintenus en grande partie. En voici quelques-uns où se révèlent tout entiers la nature et le goût italiens: ballo, bal; maschera, masque; cavalcata, cavalcade; spadaccio, spadassin; bandito, bandit; maccharoni, macaroni; vermicelle, vermicelle; arlecchino, arlequin; pulcinello, polichinelle, etc., etc. De même, les luttes interminables entre la France et l'Espagne, pendant la Ligue et sous Henri IV, mirent longtemps en contact les deux peuples. Il s'ensuivit forcément un nombreux échange de termes qui sont restés dans notre langue: tels sont balcon, balcon; guitara, guitare; duena, duègne; serenad, sérénade; siesta, sieste; sopa, soupe; caslanetar, castagnette; hablar, hâbler, etc., etc., expressions qui toutes rappellent des habitudes espagnoles.

Enfin, depuis ces dernières années, nous avons emprunté au génie industriel et commercial de l'Angleterre une

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foule d'usages que la mode a vite popularisés; et non seulement nous avons adopté la chose, mais le plus souvent nous avons pris le mot sans y rien changer: rail, tender, steamer, sport, jockey, stock, tilbury, dock, plum-pudding, etc.. etc.; plus rarement, nous en avons modifié l'orthographe : beefsteak, bifteck; roastbeef, rosbif; check, chèque. Et ce qu'il y a d'assez singulier, c'est qu'un certain nombre de ces expressions ne sont qu'une restitution: elles nous reviennent quelque peu altérées dans leur forme, mais, par le fait, la plupart appartiennent au français que les Normands introduisirent en Angleterre, quand, sous la conduite de Guillaume le Conquérant, ils s'emparèrent de ce pays, et lui imposèrent et leur langue et leurs lois tels sont fashion, tunnel, comfort, vieux mots français, que l'anglais s'est appropriés, et que nous n'avons pas su garder.

Une comparaison fera bien comprendre la formation de notre langue. Figurons-nous un arbre : le tronc représente le latin, c'est la souche de notre idiome; de ce tronc s'échappe une grosse branche: c'est l'élément germanique implanté par les Franks; enfin, sur cette branche sont greffés trois rameaux, sorte de superfétation qui reproduit assez fidèlement les trois importations d'origine italienne, espagnole et anglaise.

Terminons cet exposé par un rapide aperçu des différentes phases qu'a traversées le français, avant d'arriver jusqu'à

nous.

Sous les Carlovingiens, la nouvelle langue, qu'on désigna sous le nom de langue romane, se divisa en deux idiomes distincts: la langue d'oc, qui se parlait dans le midi, et la langue d'oil, qui régnait dans le centre et le nord. La première, plus poétique et plus musicale, céda le pas à la seconde, plus concise et plus mâle, et la langue des Trouvères prévalut sur celle des Troubadours. Dès lors la lutte s'engagea entre quatre dialectes : le picard, le normand, le bourguignon et le français de l'Ilede-France. Si la suprématie resta à ce dernier, c'est que la langue suivit le mouvement politique. L'unité française, commencée avec les Capétiens, part sans cesse du centre à la circonférence; la langue fait de même, elle s'étend, se propage et l'emporte peu à peu ; elle fut en quelque sorte l'image de la transformation nationale. L'adoption d'un idiome à peu près uniforme date du quinzième siècle.

A partir du quinzième siècle, la langue française, livrée à son propre génie, révèle déjà les qualités qui la caractériseront : la clarté, la grâce et la précision. Les poésies charmantes de

Charles d'Orléans et de Villon sont les avant-coureurs des œuvres plus sérieuses et plus complètes qu'enfantera le seizième siècle, qui sut se retremper aux sources fécondes de la littérature grecque et de la littérature latine, sans rien perdre de sa saveur native. Nommer, pour la prose, Rabelais, Amyot, Montaigne, d'Aubigné; pour les vers, Marot, Baïf, Ronsard, Desportes, Régnier, c'est dire que notre langue s'appartient désormais, qu'elle a sa physionomie à elle, son allure vive et originale.

Dès le dix-septième siècle, elle se régularise et se perfectionne sous la forte discipline de Malherbe, puis de Boileau, qui tous deux rehaussent le précepte par le mérite de l'exemple; elle atteint enfin sa plus grande pureté de formes avec les esprits supérieurs qui s'appellent Corneille, Pascal, Bossuet, Molière, La Fontaine, Racine: elle possède à la fois la netteté, l'ampleur et la richesse.

Au dix-huitième siècle, elle se modifie sensiblement sous la plume de Voltaire, de J.-J. Rousseau, de Montesquieu, de Buffon, de Beaumarchais. Cette époque de luttes et de controverses demande un style moins majestueux; la phrase se coupe; elle devient plus courte et plus alerte; mais, sous cette forme nouvelle, notre langue paraît gagner encore en précision et en clarté. Le dix-neuvième siècle rivalise avec ses illustres devanciers; Chateaubriand, Lamartine, Victor Hugo, Lamennais, Musset, sans parler de tant d'autres, ont largement accru ce glorieux héritage.

En résumé, la langue française n'est qu'une transformation du latin populaire.

Outre le fonds originel, qui se compose d'environ huit mille mots, dont trois mille huit cents seulement sont des mots simples, elle renferme environ quatorze cents mots étrangers, dont quatre cents ont été importés par les Germains à la suite de l'invasion barbare. Environ six cents mots ont une origine inconnue. Quatorze mille environ ont été forgés par les savants, et sont faciles à reconnaître à leur physionomie grecque ou latine.

§ 1.

(COURS SUPÉRIEUR)

PREMIÈRE PARTIE

CHAPITRE PRÉLIMINAIRE 1

LES LETTRES ET LES MOTS

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La Grammaire est la science du langage3. § 2. Le langage se compose de mots; les mots sont formés de sons, et les sons peuvent se représenter par des signes que l'on appelle lettres".

§ 3.

6

Il y a deux sortes de lettres; les voyelles et les consonnes.

§ 4. Les voyelles s'appellent ainsi parce qu'elles représentent les intonations de la voix. Ce sont : a, e, i, o, u, y.

§ 5. Quelquefois des voyelles s'unissent pour représenter une intonation simple, comme ai, ei, au, eu, œu, ou, eau... On les appelle voyelles composées.

1. Préliminaire est formé de deux mots latins (præ, devant, liminaris, qui commence, qui est au seuil de...) : les notions préliminaires sont donc en quelque sorte l'introduction.

2. Grammaire (du grec gramma, lettre), la science des lettres, de leur emploi, et par extension des mots, de la manière de les écrire et de les combiner entre eux. Ne confondez pas LA GRAMMAIRE, qui est la science du langage, avec une grammaire, qui est, comme nous l'avons dit aux petits élèves de la classe préparatoire, un livre où les règles d'une langue sont

réunies.

3. Langage, dérivé de langue, (du latin lingua), est ainsi nommé parce que la langue joue un rôle capital dans la prononciation.

4. Mot (du latin muttum, grognement). Un mot est une syllabe ou une réunion de syllabes qu'il suffit de prononcer pour désigner quelque chose à l'esprit de ceux qui parlent la même langue. Ex.: pain, arbre, habitation.

5. Lettre (du latin littera) désigne étymologiquement un dessin tracé aveo an enduit quelconque. Les lettres en effet étaient primitivement des dessins. 6. Voyelles (du latin vocalis, dérivé de vox, la voix): ce sont les lettres que l'on peut prononcer avec la voix seule, sans le secours des dents ni des lèvres...

7. Consonne vient de deux mots latins: cum, avec; sonare, sonner.

§ 6. L'e se prononce de trois manières, et cette diversité de prononciation lui a fait donner trois noms différents : e muet, é fermé, è ouvert.

L'e muet se fait à peine entendre, comme dans ces mots : homme, monde, mandement.

L'é fermé se prononce la bouche presque fermée, comme dans ces mots: bonté, café.

L'è ouvert se prononce en ouvrant la bouche, comme dans ces mots: succès, progrès.

§ 7.-L'y grec' se prononce comme un i après une consonne, ou bien au commencement et à la fin des mots lyre, yeux, dey; il se prononce comme deux i après une voyelle : pays, moyen, joyeux (qui se prononcent pai-is, moi-ien, joi-ieux).

§8.-1° Les consonnes se nomment ainsi, parce qu'elles représentent des articulations qui ne sonnent et ne se font entendre qu'avec une voyelle.

2o Il y a dix-neuf consonnes. Ce sont : b, c, d, f, g, h, j, k, l, m, n, p, q, r, s, t, v, (w), x, z.

Les consonnes se divisent, d'après l'organe qui sert à les prononcer, en labiales (labia, lèvres), gutturales (guttur, gosier) et dentales (dentes, dents).

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3o A ces treize consonnes il faut ajouter :

Les deux liquides, 1, r, ainsi nommées parce qu'elles se combinent et coulent aisément avec les autres consonnes, telles que b, p, c, g: blanc, bras; plage, prairie; clameur, cri; gland, graine.

1. L'Y est tiré d'une lettre de l'alphabet grec qui a aujourd'hui le son d'un i, et que nous prononçons cependant comme un u dans nos collèges.

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