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hommes mais un jugement folide & effectif de la nature des chofes, par la confideration des idées. qu'il en a dans l'efprti, lefquelles il a plû aux homines de marquer par de certains noms.

Nous voyons donc affez ce que nous entendons par le mot d'idée, il ne reste plus qu'à dire un mot de leur origine.

Toute la queftion eft de favoir fi toutes nos idées viennent de nos fens, & fi on doit paffer pour vrai cette maxime commune: Nihil eft in intellectu quod non priùs fuerit in fenfu.

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C'eft le fentiment d'un Philofophe qui eft eftimé dans le monde & qui commence fa Logique par cette propofition: Omnis idea or fum ducit à fenfibus. Toute idée tive fon origine des fens. Il avoue neanmoins que toutes nos idées n'ont pas été dans nos fens telles qu'el les font dans notre efprit: mais il prétend qu'elles ont au-moins été formées de celles qui ont paffé par nos fens, ou par compofition, comme lorfque des images féparées de l'or & d'une montagne, on s'en fait une montagne d'or; ou par ampliation & diminution, (comme lorfque de l'image d'un homme d'une grandeur ordinaire on s'en forme un géant ou un pigmée ; ou par accommodation & proportion, comme lorfque de F'idée d'une maison qu'on a vue, on s'en forme l'image d'nne maison qu'on n'a pas vûe. Et ainfi, dit-il, nous concevons Dieu qui ne peut tomber fous le fens, fous l'image d'un venerable vieillard.

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Selon cette penfée quoique toutes nos idées; ne fuffent pas femblables à quelque corps particulier que nous ayons vu, ou qui ait frappé nos fens, elles feroient néanmoins toutes corporelles, & ne nous reprefenteroient rien qui ne fût entré dans nos fens au-moins par parties. Et ainfi

nous ne concevons rien

que par des images fem blables à celles qui fe forment dans le cerveau quand nous voyons, ou nous nous imaginons des corps.

Mais quoique cette opinion lui foit commune avec plufieurs des Philofophes de Fécole, je ne craindrai point de dire qu'elle est très-abfurde, & auffi contraire à la Rehgion qu'à la veritable Philofophie. Car pour ne rien dire que de clair, il n'y a rien que nous concevions plus diftinctement que notre penfée même, ni de propofition qui nous puiffe être plus claire que celle-là: Je penfe, Donc je fuis. Or nous ne -pourrions avoir aucune certitude de cette propofition, fi nous ne concevions diftinctement ce que c'eft qu'être, & ce que c'eft que penfer, & il ne nous faut point demander que nous expliquions ces termes, parcequ'ils font du nombre de ceux qui font fi bien entendus par tout le monde, qu'on les obfcurciroit en les voulant expliquer. Si donc on ne peut nier que nous n'ayons en nous les idées de l'être & de la penfée, je demande par quels fens elles font enrées Sont-elles humineufes ou colorées, poar être entrées par la vue d'un fon grave ou ai gu, pour être entrées par l'ouie d'une bonne ou mauvaise odeur, pour être entrées par l'odorat de bon ou de mauvais goût, pour entrer par le goût froides ou chaudes, dures ou molles, pour être entrées par Pattouchement ? Que fi l'on dit qu'elles ont été formées d'autres images fenfibles, qu'on nous dife quelles font ces autres images fenfibles dont on prétend que les idées de l'être & de la penfée ont été formées, & comment elles en ont pû être formées ou par compofition, ou par ampliation, ou par diminution ou par proportion, Que fi on n

?

peut rien répondre à tout cela qui ne foit dérai
fonnable, il faut avouer que les idées de l'être
& de la penfée ne tirent en aucune forte leur
origine des fens, mais que notre ame a la fa-
culté de les former de foi-même
, quoiqu'il
arrive fouvent qu'elle eft excitée à le faire par
quelque chofe qui frape les fens; comme un
Peintre peut être porté à faire un tableau par
Pargent qu'on lui promet, fans qu'on puiffe dire
pour cela que le tableau a tiré fon origine de
Pargent.

Mais ce qu'ajoutent ces mêmes Auteurs, que
Pidée que nous avons de Dieu tire fon origine des
fens, parceque nous le concevons fous l'idée d'un
vieillard venerable, eft une penfée qui n'eft digne
que des Antropomorphites; our qui confond les
veritables idées que nous avons des chofes fpiri-
tuelles, avec les fauffes imaginations que nous
nous en formons par une mauvaise accoûtumance
de le vouloir tout imaginer; au-lieu qu'il eft auf-
fi abfurde de fe vouloir imaginer ce qui n'eft point
corporel, que
de vouloir quir des couleurs, & voir.

des fons.

Pour refuter cette penfée, il ne faut que com fiderer que nous n'avions point d'autre idée de Dieu, que celle d'un vieillard venerable, tous kes jugemens que nous ferions de Dieu nous de→ vroient paroître faux, lorfqu'ils feroient contraires à cette idée. Car nous fommes portés naturellement à croire que nos jugemens font faux, quand nous voyons clairement qu'ils font contraires aux idées que nous avons des chofes: & ainfi nous ne pourrions juger avec certitude que Dieu n'a point de parties, qu'il n'eft point corporet, qu'il eft par-tout, qu'il eft invifible: puifque tout cela n'eft point conforme à l'idée d'un venerable vieillard. Que fi Dieu s'eft quelquefois

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repréfenté fous cette forme, cela ne fait pas que ce foit là l'idée que nous en devions avoir; puisqu'il faudroit auffi que nous n'euffions point d'autre idée du Saint-Esprit que celle d'une colombe, parce qu'il s'eft repréfenté fous la forme d'une colombe ou que nous conçûffions Dieu comme un fon parceque le fon du nom de Dieu nous fert à nous en réveiller l'idée.

, que

Il eft donc faux que toutes nos idées viennent de nos fens; mais on peut dire au-contraire nulle idée qui eft dans notre efprit ne tire fon origine des fens, finon par occafion, en ce que les mouvemens qui fe font dans notre cerveau, qui eft tout ce que peuvent faire nos fens, donnent occafion à l'ame de fe former diverfes idées qu'elle ne fe formeroit pas fans cela, quoique prefque toûjours ces idées n'ayent rien de fembable à ce qui fe fait dans les fens & dans le cerveau, & qu'il y ait de plus un très-grand nombre d'idées, qui ne tenant rien du tout d'aucune image corporelle, ne peuvent fans une abfurdité vifible être rapportées à nos fens.

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Que fi l'on objecte qu'en même-temps que nous avons l'idée des chofes fpirituelles comme de la pensée, nous ne laiffons pas de former quelque image corporelle, au-moins du fon qui la fignifie, on ne dira rien de contraire à ce que nous avons prouvé. Car cette image du fon de pensée que nous imaginons n'eft point l'image de la penfée même; mais feulement d'un fon, & elle ne peut fervir à nous la faire concevoir qu'entant que l'ame s'étant accoûtumée quand elle conçoit ce fon, de concevoir auffi la penfée, fe forme en même-temps une idée toute fpirituelle de la penfée qui n'a aucun rapport avec celle du fon, mais qui y eft feulement liée par l'accoûtumance. Ce qui fe voit en ce que

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fes fourds qui n'ont point d'images des fons, ne laiffent par d'avoir des idées de leurs penfées, au-moins lorsqu'ils font réflexion fur ce qu'ils penfent.

CHAPITRE II.

Des idées confiderées felon leurs objets

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Out ce que nous concevons eft representé à notre efprit ou comme chofe, ou comme maniere de chofe, ou comme chose modifiée.

J'appelle chofe ce que l'on conçoit comme fubfiftant par foi-même, & comme le fujet de tout ce que l'on y conçoit. C'est ce qu'on appelle autrement fubftance..

J'appelle maniere de chofes, oumode, ou attribut, ou qualité, ce qui étant conçu dans la chose, & comme ne pouvant fubfifter fans elle, la détermine à être d'une certaine façon, & la fait nom mer telle.

J'appelle chofe modifiée, lorsqu'on confidere la fubftance comme déterminée par une certaine ma◄ niere ou mode.

C'eft ce qui fe comprendra mieux par des exemples.

Quand je confidere un corps, l'idée que j'en ai me reprefente une chofe ou une fubftance, parceque je de confidere comme une chofe qui fubfifte par foi-même, & qui n'a point befoin d'aucun fujet pour exifter.

Mais quand je confidere que ce corps eft rond, l'idée que j'ai de la rondeur ne me reprefente qu'une maniere d'être, ou un mode que je conçois ne pouvoir subsister naturellement fans le corps dont il eft rondeur,

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