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Il s'enfuit de là qu'il n'y a aucune difficulté dans cette propofition; Ceci est mon corps, prife. au fens des Catholiques; puifqu'elle n'eft que bregé de cette autre propofition parfaitement claire: Ceci qui eft pain dans ce moment-ci, eft mon Corps dans cet autre moment; & que l'efprit fupplée tout ce qui n'eft pas exprimé. Car, comme nous avons remarqué à la fin du premier livre, quand on fe fert du pronom démonftratif hoc, pourmarquer quelque chofe expofée aux fens, l'idée formée précisément par le pronom demeurant confufe, l'efprit y ajoûte des idées claires & diftinctes tirées des fens par forme de propofition incidente. Ainfi Jefus-Chrift prononçant le mot de cec, l'efprit des Apôtres y ajoûtoit, qui eft pain: & comme il concevoit qu'il étoit pain dans. ce moment là, il y faifoit auffi cette addition du temps. Et ainfi le mot de ceci formoit cette idée, ceci qui eft pain dans ce moment ci. De même quand il dit que c'étoit fon corps, ils conçurent que ceci étoit for cors dans ce moment à. Ainfi l'expreffion; ceci eft mon corts, forma en eux cette propofition totale; Ceci qui eft pain dans ce moment. ci eft mon corps dans cet autre moment; & cette expreffion étant claire, l'abregé de la propofition,, qui ne diminue rien de l'idée, l'est aussi.

Et quant à la difficulté propofée par les Miniftres, qu'une même chofe ne peut être pain & corps de Jefus-Chrift, comme elle regarde également la propofition étendue; Ceci qui est pain dans ce moment-ci, eft mon corps dans cet autremoment, que la propofition abregée, Ceci est mon corts; il eft clair que ce ne peut être qu'une chi-canerie frivole pareille à celle qu'on pourroit alle guer contre ces propofitions: Cette Eglife fut brû Jée en un tel temps, & elle a été rétablie dans cer autre temps; & qu'elles fe doivent toutes dêmêlen

par cette maniere de concevoir plufieurs fujets diftincts fous une même idée, qui fait que le même terme eft tantôt pris pour un fujet, & tantôt pour un autre, fans que l'efprit s'apperçoive de ce paffage du'n fujet à un autre.

Au refte on ne prétend pas décider ici cette importante queftion, de quelle forte on doit entendre ces paroles: Ceci est mon corps; fi c'est dans un fens de figure, ou dans un fens de realité. Car if

ne fuffit pas de prouver qu'une propofition fe peut

prendre dans un certain fens: il faut de plus prouver qu'elle s'y doit prendre.. Mais comme il y a des Miniftres qui par les principes d'une très fauffe Logique foutiennent opiniâtrement que les paroles de Jefus-Chrift ne peuvent recevoir le fens Catholique, il n'eft point hots de propos d'avoir montré ici en abregé, que le fens Catholique n'a rien que de clair, de raifonnable, & de conforma au langage commun de tous les hommes.

CHAPITRE VIII.

Autres obfervations pour reconnoire fi les propofi tions font univerfelles ou particulieres.

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N peut faire quelques obfervations femblables & non moins neceffaires, touchant l'unis verfalité & la particularité.

I. OBSERVATION. Il faut diftinguer deux fortes d'univerfalité, l'une qu'on peut appeller Métaphyfique, & l'autre Morale..

J'appelle univerfalité métaphyfique, lorsqu'une; univerfalité eft parfaite & fans exception, comme, tout homme eft vivant, cela ne reçoit point d'exception.

Et j'appelle univerfalité morale, celle qui reçois

quelque exception, parceque dans les chofes mo rales on fe contente que les chofes foient telles or→ dinairement, ut plurimùm, comme ce que faint Paul raporte & approuve;

Cretenfes femper mendaces, mala beftia, ventres pigri.

Ou ce que

dit le même Apôtre : Omnes que fua

funt querunt, non qua sefu Chrifti.

Ou ce que

dit Horace.

Omnibus hoc vitium eft cantoribus,inter amicos

ut nunquam inducant animum cantare rogati, injuffi nunquam defistant:

Ou ce qu'on dit d'ordinaire:

Que toutes les femmes aiment à parler: Que tous les jeunes-gen's font inconftans; Que tous les vieillards louent le temps passé. Il fuffit dans toutes ces fortes de propofi tions, qu'ordinairement cela foit ainfi, & on ne doit pas auffi en conclure rien à la rigueur.

Car comme ces propofitions ne font pas tellement generales, qu'elles ne fouffrent des exce-ptions, il fe pourroit faire que la conclufion feroit fauffe. Comme on n'auroit pas pû conclure de chaque Crétois en particulier, qu'il auroit été menteur, & une méchante bête, quoique l'Apôtre approuve en general ce Vers d'un de leurs Poëtes: Les Crétois font toûjours menteurs, méchantes bêtes, grans mangeurs; parceque quelques-uns de cette ifle pouvoient n'avoir pas les vices qui étoient communs aux autres.

Ainfi la moderation qu'on doit garder dans ces propofitions qui ne font que moralement univerfelles, c'eft d'une part de n'en tirer qu'avec grand jugement des conclufions particulieres, & de l'autre de ne les pas contredire, ni ne les pas rejetter comme fauffes, quoiqu'on puiffe oppofer des inftans où elles n'ont pas de lieu, mais de

fe contenter fi on les étendoit trop loin de montier, qu'elles ne fe doivent pas prendre fi à la rigueur.

II. OBSERVATION. Il y a des propofitions qui doivent paffer pour métaphyfiquement univerfelles, quoiqu'elles puiffent recevoir des exceptions, lorfque dans l'usage ordinaire ces exceptions extrarodinaires ne paffent point pour devoir être comprifes dans ces termes univerfels, comme fi je dis: Tous les hommes n'ont que deux bras, cette propofition doit paffer pour vraie dans l'ufage ordinaire. Et ce feroit chicanner que d'oppofer qu'il y a eu des monftres qui n'ont pas laiffé d'être hommes, quoiqu'ils euffent quatre bras, parcequ'on voit affez qu'on ne parle pas des monftres dans ces propofitions generales, & qu'on veut dire feulement, que dans l'ordre de la nature les hommes n'ont que deux bras. On peut dire de même que tous les hommes fe fervent des fons pour exprimer leurs penfées, mais que tous ne fe fervent pas de l'écriture. Et ce ne feroit pas une objection raifonnable, que d'oppofer les muets pour trouver de la fauffeté dans cette propofition; parcequ'on voit affez, fans qu'on l'exprime, que cela ne fe doit entendre que de ceux qui n'ont point d'empêchement naturel à fe fervir des fons, ou pour n'avoir pû les apprendre, comme ceux qui font nés fourds; ou pour ne les pouvoir former, comme les muets..

III. OBSERVATION. Il y a des propofitions qui ne font univerfelles que parcequ'elles fe doivent entendre de generibus fingulorum, & non pas de fingulis generum, comme parlent les Philofophes. C'eft-à-dire, de toutes les efpeces de quelque genre, & non pas de tous les particuliers de ces efpeces. Ainfi l'on dit, que tous les animaux furent fauvés dans l'arche de Noé, par

ce qu'il en fut fauvé quelques-uns de toutes les ef peces. Jefus-Chrift dit aufli des Pharifiens, qu'ils payoient la dixme de toutes les herbes, decimatis omne olus, non qu'ils payaffent la dixime de tou-tes les herbes qui étoient dans le monde; mais parcequ'il n'y avoit point de fortes d'herbes dont ils ne payaffent la dixme. Ainfi faint Paul dit: Sicut ego; omnibus per omnia placeo ; c'est-àdire, qu'il s'accommodoit à toutes fortes de perfonnes, Juifs, Gentils, Chrétiens, quoiqu'il neplût pas à fes perfecuteurs qui étoient en fi grand nombre. Ainfi l'on dit d'un homme, qu'il a paffé par toutes les charges, c'eft-à-dire, par toute forte de charges.

IV. OBSERVATION. Il y a des propofitions qui ne font univerfelles, que parceque lefujet doit être pris comme reftreint par une partie de l'attribut, je dis par une partie, car il feroit ridicule qu'il fût reftreint par tout l'attribut, comme qui prétendroit que cette propofition eft vraie: Tous les hommes font juftes, parcequ'il l'entendroit en ce fens, que tous les hommes juftes font jutes: ce qui feroit impertinent. Mais quand l'attribut eft complexe, & a deux parties, comme dans cette propofition: Tous les hommes font juftès par la grace de Jefus Chrift, c'eft avec raifon qu'on peut prétendre que le terme de juftes eft fous-entendu dans le fujet quoiqu'il n'y foit pas exprimé; parcequ'il eft affez clair que l'on veut dire feulement que tous les hommes qui font juftes, ne font juftes quepar la grace de Jesus-Chrift. Et ainfi cette propofrion eft vraie en toute rigueur, quoiqu'elle paroiffe fauffe à ne confiderer que ce qui eft exprimé dans le fujet, y ayant tant d'hommes qui font méchans & pecheurs; & qui par confequent ment point été juftifiés par la grace de Jefus

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