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veut dire plus que fi je difois, que quelques Ro mains ont vaincu les Carthaginois; mais elles font fingulieres, parcequ'on confidere chaque peuple comme une perfonne morale dont la durée eft de plufieurs fiecles, qui fubfifte tant qu'il compofe un état, & qui agit en tous ces temps par ceux qui les compofent, comme un homme agit par les membres. D'où vient que l'on dit, que les Romains qui ont été vaincus par les Gaulois qui prirent Rome, ont vaincu les Gaulois au temps de Cefar, attribuant ainfi à ce même terme de Romains, d'avoir été vaincus en un tems, & d'avoir été victorieux en l'autre, quoiqu'en l'un de ces temps il n'y ait eu aucun de ceux qui étoient en l'autre. Et c'eft ce qui fait voir fur quoi eft fondée la vanité que chaque particulier prend des belles actions de fa nation, aufquelles il n'a point eu de part, & qui eft auffi fotte que celle d'une oreille, qui étant fourde, fe glorifieroit de la vivacité de l'œil, ou de l'adreffe de la main.

CHAPITRE XIV.

Des propofitions où l'on donne aux fignes le nom des choses.

Nous avons dit dans la premiere partie, que des idées les unes avoient pour objet des chofes, les autres des fignes. Or ces idées de fignes attachées à des mots venant à composer des propofitions, il arrive une chofe qu'il eft important d'examiner en ce lieu, & qui appartient proprement à la Logique; c'eft qu'on en affirme quelquefois les chofes fignifiées. Et il s'agit de favoir quand on a droit de le faire, principalement à l'égard des fignes d'inftitution; car à

l'égard des fignes naturels, il n'y pas de difficulté, parceque le rapport vifible qu'il y a entre ces fortes de fignes & les chofes, marque clairement que quand on affirme du figne la chofe fignifiée, on veut dire, non que ce figne foit réellement cette chofe, mais qu'il l'eft en fignification & en figure. Et ainfi l'on dira fans préparation & fans façon d'un portrait de Cefar, que c'eft Celar; & d'une carte d'Italie, que c'est P'Italie.

Il n'eft donc befoin d'examiner cette regle qui permet d'affirmer les chofes fignifiées de leurs fignes, qu'à l'égard des fignes d'inftitution qui n'avertiffent pas par un rapport visible du fens auquel on entend ces propofitions : & c'eft ce qui a donné lieu à bien des difputes.

Car il femble à quelques-uns que cela fe puiffe faire indifferemment, qu'il fuffife pour montrer qu'une propofition eft raisonnable en la prenant en un fens de figure & de figne, de dire qu'il eft or dinaire de donner aux fignes le nom de la chose fignifiée. Et cependant cela n'est pas vrai : car il y a une infinité de propofitions qui feroient extravagantes, fi l'on donnoit aux fignes le nom de chofes fignifiées; ce que l'on ne fait jamais, parcequ'elles font extravagantes. Ainfi un homme qui auroit établi dans fon efprit que certaines choles en fignifieroient d'autres, feroit ridicule; fi fans en avoir averti perfonne, il prenoit la liberté de donner à ces fignes de fantaifie le nom de ces chofes, & difoit, par exemple, qu'une pierre eft un cheval; & un âne un Roi de Perfe, parcequ'il auroit établi ces fignes dans fon efprit. Ainfi la premiere regle qu'on doit fuivre fur ce fujet, eft qu'il n'eft pas permis indifferemment de donner aux fignes le nom des choses.

La feconde qui eft une fuite de la premiere,

eft

que la feule incompatibilité évidente des termes n'eft pas une raifon fuffifante pour conduire l'esprit au fens du figne,& pour conclure qu'une propofition ne fe pouvant prendre proprement, fe doit donc expliquer en un fens de figne. Autrement il n'y auroit point de ces propofitions qui fuffent extravagantes; & plus elles feroient impoffibles dans leur fens propre, plus on retomberoit facilement dans le fens de figne, ce qui n'eft pas néanmoins. Car qui fouffriroit que fans autre préparation, & en vertu feulement d'une deftination fecrette, on dît que la mer eft le ciel, que la terre eft la lune, qu'un arbre eft un Roi : Qui ne voit qu'il n'y auroit point de voie plus courte pour s'acquerir la réputation de folie, que de prétendre introduire ce langage dans le monde ? Il faut donc que celui à qui on parle foit préparé d'une certaine maniere, afin qu'on ait droit de se fervir de ces fortes de propofitions; & il faut remarquer fur ces préparations qu'il y en a de certainement infuffifantes, & d'autres qui font certainement fuffifantes.

1. Les rapports éloignés qui ne paroiffent point aux fens, ni à la premiere vûe de l'efprit, & qui ne fe découvrent que par meditation, ne fuffifent nullement pour donner d'abord aux fignes le nom des chofes fignifiées. Car il n'y a prefque point de chofe entre lefquelles on ne puiffe trouver de ces fortes de rapports: & il eft clair que des rapports qu'on ne voit pas d'abord, ne fuffifent point pour conduire au fens de figure.

2. Il ne fuffit pas pour donner à un figne le nom de la chofe fignifiée dans le premier établissement qu'on en fait, de favoir que ceux à qui on parle le confiderent déja comme un figne d'une autre chofe toute differente. On fait, par exemple, que le laurier eft figne de la victoire, & l'olivier de

la

ta paix. Mais cette connoiffance ne prépare nullement l'efprit à trouver bon qu'un homme à qui il plaira de rendre le laurier figne du roi de la Chine, & l'olivier du Grand-Seigneur, dife fans façon en fe promenant dans un jardin: Voyez ce laurier, c'eft le Roi de la Chine, & cet olivier, c'eft le Grand-Turc.

3. Toute préparation qui applique feulement l'efprit à entendre quelque chofe de grand, fans le préparer à regarder en particulier une chofe comme figne, ne fuffit nullement pour donner droit d'attribuer à ce figne le nom de la chose signifiée dans la premiere inftitution. La raifon en eft claire, parcequ'il n'y a nulle confequence directe & prochaine entre l'idée de grandeur, & l'idée de figne; & ainfi l'une ne conduit point à l'autre.

Mais c'eft certainement une préparation fuffi fante pour donner aux fignes le nom des chofes quand on voit dans l'efprit de ceux à qui on parle, que confiderant certaines chofes comme fignes, ils font en peine feulement de favoir ce qu'elles fignifient.

Ainfi Joseph a pû répondre à Pharaon, que les fept vaches graffes & les fept épics pleins qu'il avoit vûs en fonge, étoient fept années d'abondance; & les fept vaches maigres & les fept épics maigres, fept années de fterilité; parcequ'il voyoit que Pharaon n'étoit en peine que de cela, & qu'il lui faifoit interieurement cette queftion: Qu'est-ce que ces vaches graffes & maigres, ces épics pleins & vuides font en fignification?

Ainfi Daniel répondit fort raifonnablement à Nabuchodonofor, qu'il étoit la tête d'or: parce qu'il lui avoit propofé le fonge qu'il avoit eu d'une ftatue qui avoit la tête d'or, & qu'il lui en avoit demandé la fignification.

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Ainfi quand on a propofé une parabole, & qu'on vient à l'expliquer, ceux à qui on parle confiderant déja tout ce qui la compofe comme des fignes, on a droit dans l'explication de chaque partie, de donner au figne le nom de la chofe fignifiée.

Ainfi Dieu ayant fait voir au Prophete Ezechiel en vision, in spiritu, un champ plein de morts; & les Prophetes diftinguant les vifions des réalités, & étant accoûtumés à les prendre pour des fignes, Dieu lui parla fort intelligiblement en lui difant 3 Que ces os étoient la Maison d'Ifrael: c'est-àdire, qu'ils la fignifioient.

Voilà les préparations certaines; & comme on ne voit pas d'autres exemples où l'on convienne que l'on ait donné au figne le nom de la chose fignifiée, que ceux où elles fe trouvent, on en peut tirer cette maxime de fens commun; Que l'on ne donne au figne le nom des chofes que lorfque l'on a droit de fuppofer qu'ils font déja regardés comme fignes, & que l'on voit dans l'efprit des autres qu'ils font en peine de favoir, non ce qu'ils font, mais ce qu'ils fignifient.

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Mais comme la plupart des regles morales ont des exceptions, on pourroit douter s'il n'en faudroit point faire une à celle-ci en un feul cas. C'eft quand la chofe fignifiée eft telle qu'elle exige en quelque forte d'être marquée par un figne: de forte que fi-tôt que le nom de cette chofe eft prononcé, l'efprit conçoit incontinent que le fujet auquel on l'a joint eft deftiné pour la défigner. Ainfi comme les alliances font ordinairement marquées par des fignes exterieurs, fi l'on affirmoit le mot d'alliance de quelque chofe exterieure, l'efprit pourroit être porté à concevoir que l'on l'en affirmeroit comme de fon figne; de forte que quand il y auroit dans l'E

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