Images de page
PDF
ePub

Et enfin, quand joignant le mode avec la chofe, je confidere un corps rond, cette idéo me repréfente une chofe modifiée.

Les noms qui fervent à exprimer les chofes s'appellent fubftantifs ou abfolus, comme terte foleil, efprit, Dieu.

Ceux auffi qui fignifient premierement & dire Etement les modes, parcequ'en cela ils ont quelque rapport avec les fubftances, font auf appellés fubftantifs & abfolus, comme dureté, chaleur justice, prudence.

Les noms qui fignifient les chofes comme modifiées , marquen premierement & directement la chofe, quoique plus confufément, & indirectement le mode, quoique plus diftinctement, font appellés adjectifs, ou connotatifs, comme rond, dur, jufte, prudent.

2

Mais il faut remarquer que notre efprit étant accoûtumé de connoître la plupart des chofes comme modifiées, parcequ'il ne les connoît prefque que par les accidens ou qualités qui nous frapent les fens, il divife fouvent la fubftance même dans fon effence en deux idées dont it regarde l'une comme fijet, & l'autre comme mode. Ainfi quoique tout ce qui eft en Dieu fot Dieu même on ne laiffe pas de le concevoir comme un être infini, & de regarder l'infinité comme un attribut de Dieu, & l'être comme fujet de cet attribut. Ainfi l'on confidere fouvent l'homme comme le fujet de l'humanité, habens humanitatem, & par confequent comme une chofe modifiée.

Et alors on prend pour mode l'attribut effenciel qui eft la chofe même, parcequ'on le conçoir comme dans un fujet. C'eft proprement ce qu'on appelle abftrait des fubftances, comme humanité, corporcité, maifon. •

Il eft neanmoins très- important de favoir ce qui eft veritablement mode, & qui ne l'eft qu'en apparence; parcequ'une des principales caufes de nos erreurs, eft de confondre les modes avec les substances, & les substances avec les modes. Il eft donc de la nature du veritable mode, qu'on puiffe concevoir fans lui clairement & diftinctement la fubftance dont il eft mode; & que neanmoins on ne puiffe pas reciproquement concevoir clairement ce mode, fans concevoir en même-temps le rapport qu'il y a à la fubftance dont il eft mode, & Tans laquelle il ne peut naturellement exifter.

Ce n'eft pas qu'on ne puiffe concevoir le mode fans faire une attention diftincte & expreffe à fon fujet; mais ce qui montre que la notion du rapport à la fubftance eft enfermée au moins confufément dans celle du mode, c'eft qu'on ne fauroit nier ce rapport de mode, qu'on ne détruife l'idée qu'onen avoit au-lieu que quand on conçoit deux chofes & deux fubftances, l'on peut nier l'une de l'autre fans détruire les idées qu'on avoit de chacune.

Par exemple; je puis bien concevoir la prudence fans faire attention diftincte d'un homme qui foit prudent, mais je ne puis concevoir la prudence, en niant le rapport qu'elle a à un homme ou tre nature intelligente qui ait cette vertu.

Et au

[ocr errors]

une au

contraire lorfque j'ai confideré tout ce convient à une fubftance étendue qu'on appelle corps, comme l'extension, la figure, la mobilité, Ia divisibilité; & que d'autre part je confidere tout ce qui convient à l'efprit & à la fubftance qui penfe, comme de penfer, de douter, de fe fouvenir de vouloir, de raifonner; je ne puis nier de la fubftance étendue tout ce que je conçois de la fubftance qui penfe, fans ceffer pour cela de concevoir très-diftinctement la fubftance étendue, & tous les autres attributs qui y font joints; & je puis re

ciproquement nier de la fubftance qui penfe tout ce que j'ai conçu de la fubftance étendue, fans ceffer pour cela de concevoir très-diftin&tement tout ce que je conçois dans la fubftance qui penfe..

Et o'eft ce qui fait voir auffi que la penfée n'eft point un mode de la fubftance étendue, parceque l'étendue & toutes les proprietés qui la suivent, se peuvent nier de la penfée, fans qu'on ceffe pour cela de bien concevoir la pensée.

On peut remarquer fur le fujet des modes, qu'il y en a qu'on peut appeller interieurs, parcequ'on les conçoit dans la fubftance, comme rond, quarré & d'autres qu'on peut nommer exterieurs parcequ'ils font pris de quelque chofe qui n'ch pas dans la fubftance, comme aimé, vú, defiré, qui font des noms pris des actions d'autrui: Er c'est ce qu'on appelle dans l'école dénomination externe. Que fi ces mots font tirés de quelque ma niere dont on conçoit les chofes, on les appelle fe condes intentions. Ainfi être fujet, être attribut font des fecondes intentions, parceque ce font des manieres fous lefquelles on conçoit les chofes qui font prifes de l'action de l'efprit, qui a lïé ensem+ ble deux idées en affirmant l'une de l'autre..

On peut remarquer encore qu'il y a des modes qu'on peut appeller fubftanciels, parcequ'ils nous reprefentent de veritables fubftances appliquées à d'autres fubftances, comme des modes & des manieres; habillé, armé, font des modes de cette forte. Il y en a d'autres qu'on peut appeller fimplement réels, & ce font les veritables modes qui ne font pas des fubftances, mais des manieres de la fubftance.

Il y en a enfin qu'on peut appeller negatifs, parcequ'ils nous reprefentent la fubftance avec une negation de quelque mode réel ou fubftantiel.

Que fi les objets reprefentés par ces idées, foit de fubftances, foit de mode, font en effet tels qu'ils

nous font reprefentés, on les appelle veritables : que fi ils ne font pas tels, elles font fauffes en la maniere qu'elles le peuvent être : & c'eft ce qu'on appelle dans les écoles êtres de raifon, qui confiftent ordinairement dans l'affemblage que l'efprit fait de deux idées réelles en foi, mais qui ne font pas jointes dans la verité pour en former une même idée, comme celle qu'on fe peut former d'une montagne d'or, eft un être de raifon, parcequ' elle eft compofée des deux idées, de montagne, & d'or, qu'elles reprefentent comme unie, quoiqu elles ne le foient point veritablement.

CHAPITRE III.

Des dix Categories d'Ariftote.

N peut rapporter à cette confideration des idées felon leurs objets, les dix Categories. d'Ariftote puifque ce ne font que diverses claffes aufquelles ce Philofophe a voulu reduire tous les objets de nos pensées, en comprenant toutes les fubftances fous la premiere, & tous les accidens fous les neuf autres. Les voici,

I. LA SUBSTANCE, qui eft ou fpirituelle, ou corporelle, &c.

II. LA QUANTITE, qui s'appelle difcrete quand les parties ne font point liées, comine le nombre. Continue quand elles font liées, & alors elle eft ou fucceffive, comme le tems, le mouvement.

Ou permanente, qui eft ce qu'on appelle autrement l'efpace ou l'étendue, en longueur, largeur, profondeur; la longueur feule faifant les lignes, la longueur & la largeur, les furfaces & les trois enfemble les folides.

III. LA QUALITE', dont Ariftote fait quatre ef peces.

[ocr errors]

La 1. comprend les habitudes, c'eft-à-dire, les difpofitions d'efprit ou de corps, qui s'acquierent par des actes reiterés, comme les fciences, les vertus, les vices, l'adreffe de peindre, d'écrire, de danfer.

La 2. Les puiffances naturelles, telles que font du corps, l'entendement

les facultés de l'ame ou

la volonté, la memoire, les cinq fens, la puiffance de marcher.

[ocr errors]

La 3. Les qualités fenfibles, comme la dureté, la molleffe, la pefanteur, le froid, le chaud, les couleurs, les fons, les odeurs, les divers goûts.

La 4. La forme & la figure qui eft la détermi nation exterieure de la quantité, comme être rond, quarré, fpherique, cubique.

IV. LA RELATION, où le rapport d'une chose à une autre, comme de pere, de fils, de maître, de valet, de roi, de fujet; de la puiffance à fon objet, de la vûe à ce qui eft vifible; à tout ce qui marque comparaison, comme semblable, égal, plus grand, plus petit.

[ocr errors]

V. L'AGIR, ou en foi-même, comme marcher danfer, connoître, aimer; ou hors de foi, comme battre, couper, éclairer, rompre, échauffer. VI. PATIR, être battu, être rompu, être éclairé, être échauffé.

VII. Ou, c'est-à-dire, ce qu'on répond aux queftions qui regardent le lieu, comme être à Rome, à Paris, dans fon cabinet, dans fon lit, dans La chaife.

VIII. QUAND, c'est-à-dire, ce qu'on répond aux queftions qui regardent le temps, comme quand a-t-il vêcu? il y a cent ans: quand cela s'eft-il fait hier.

?

IX. LA SITUATION, être affis, debout, couché, devant, derriere, à droit, à gauche.

X. AVOIR, c'est-à-dire, avoir quelque chofe

2

« PrécédentContinuer »