Images de page
PDF
ePub

vouloit pas qu'on fe mêlât des affaires publiques, le dilenme dont il fe fervoit pour le prouver: Car on lui dit :

Si on s'y gouverne filon les regles corrompues des hommes, on contentera les hommes;

Si on garde la vraie juftice, on contentera les dieux.

Donc on s'en doit mêler.

Néanmoins ce retour n'étoit pas raisonnable Car il n'eft pas avangeux de contenter les hommes en offenfant Dieu.

[blocks in formation]

Des Lieux, où la methode de trouver des argu mens. Combien cette methode eft de peu d'usage.

E que les Rhétoriciens & les Logiciens appellent Lieux, loci argumentorum, font certains chefs generaux, aufquels on peut rapporter toutes les preuves dont on fe fert dans les diverfes matieres que l'on traite: & la partie de la Logique qu'ils appellent invention, n'eft autre chofe que ce qu'ils enfeignent de ces Lieux.

Ramus fait une querelie fur ce fujet à Ariftote & aux Pholofophes de l'Ecole, parcequ'ils traitent des lieux après avoir donné les regles des argumens, & il prétend contr'eux, qu'il faut expliquer les lieux & ce qui regarde l'invention avant que de traiter de ces iegles.

La raifon de Ramus, eft que l'on doit avoir trouvé la matiere avant que de penser à la difpofer.

Or l'explication des Lieux enfeigne à trouver gette matiere, au-lieu que les regles des argumen

n'en peuvent apprendre que la difpofition.

Mais cette raifon eft très-foible, parcequ'encore qu'il foit neceffaire que la matiere foit trou vée pour la difpofer, il n'eft pas neceffaire néanmoins d'apprendre à trouver la matiere avant que d'avoir appris à la difpofer. Car, pour apprendre à difpofer la matiere, il fuffit d'avoir certaines matieres generales pour fervir d'exemples; or l'efBrit & le fens commun en fournit toûjours affez, Tans qu'il foit befoin d'en emprunter d'aucun art ni d'aucune methode. Il eft donc vrai qu'il faut avoir une matiere pour y appliquer les regles des argumens; mais il eft faux qu'il foit neceffaire de trouver cette matiere par la methode des

Lieux.

On pourroit dire au-contraire, que comme on prétend enfeigner dans les Lieux l'art de tirer des argumens & des fyllogifines, il eft neceffaire de favoir auparavant ce que c'eft qu'argument & fyllogifme. Mais on pourroit peut-être auffi répondre que la nature feule nous fournit une connoiffance generale de ce que c'eft que raisonne ment, qui fuffit pour entendre ce qu'on en dit en parlant des Lieux.

Il eft donc affez inutile de fe mettre en peine en quel ordre on doit traiter des Lieux, puifque c'eft une chofe à peu près indifferente. Mais il feroit peut-être plus utile d'examiner, s'il ne feroit point plus à propos de n'en point traiter du-tout.

On fait que les Anciens ont fait un grand myftere de cette methode, & que Ciceron la préfere même à toute la dialectique, telle qu'elle étoit enfeignée par les Stoiciens, parcequ'ils ne parloient point des Lieux. Laiffons, dit-il, toute cette fcience qui ne nous dit rien de l'art de trouver des argumens, & qui ne nous fait que trop de difcours pour nous instruire à en

juger. Iftam artem totam r.linquamus que in excogitandis argumentis muta nimium eft, in judicandis nimium loquax. Quintilien & tous les autres Rhétoriciens, Ariftote & tous les Philofophes en parlent de même; de forte que l'on auroit peine à n'être pas de leur fentiment, fi l'experience generale n'y paroiffoit entierement oppofée.

On en peut prendre à témoin prefque autant de perfonnes qu'il y en a qui ont paffé par le cours ordinaire des études, & qui ont appris de cette methode artificielle de trouver des preuves, ce qu'on en apprend dans les Colleges. Car y en at-il un feul qui puiffe dire veritablement, que lorfqu'il a été obligé de traiter quelque fujet, il ait fait refléxion fur ces Lieux, & y ait cherché les raifons qui lui étoienr neceffaires : Qu'on confalte tant d'Avocats & de Predicateurs qui font au monde, tant de gens qui parlent & qui écrivent, & qui ont toujours de la matiere de refte, & je ne fai fi on en pourra trouver quelqu'un qui ait jamais pensé à faire un argument à caufa, ab effectu, ab adjunctis, pour prouver ce qu'il defiroit perfuader.

Auffi, quoique Quintilien faffe paroître de l'eftime pour cet art, il eft obligé néanmoins de reconnoître qu'il ne faut pas, lorfqu'on traite une matiere, aller fraper à la porte de tous ces Lieux pour en tirer des argumens & des preuves. Illud quoque, dit-il, ftudiofi eloquentia cogitent non effe cum propofita fuerit materia dicendi fcrutanda fingula & velut eftiatim pul'anda, ut fciant an ad id probandum quod intendimus, fortè refpondeant.

Il eft vrai que tous les argumens qu'on fait fur chaque fujet, fe peuvent rapporter à ces chefs & à ces termes generaux qu'on appelle Lieux;

peut

mais ce n'eft point par cette methode qu'on les trouve. La nature, la consideration attentive du fujet, la connoiffance de diverfes verités les fait produire, & enfuite l'art les rapporte à certains l'on que genres. De forte dire veritablement des Lieux ce que faint Auguftin dit en general des préceptes de la Rhétorique. On trouve, dit-il, que les regles de l'éloquence font obfervées dans les difcours des perfonnes éloquentes, quoiqu'ils n'y penfent pas en les faifant, foit qu'ils les fachent, foit qu'ils les ignorent. Ils pratiquent ces regles parcequ'ils font éloquens ; mais ils ne s'en fervent pas pour être éloquens. Implent quippe illa quia funt eloquentes, non adhibent ut fint eloquentes.

L'on marche naturellement, comme ce même Pere le remarque en un autre endroit, & en marchant on fait certains mouvemens reglés du corps. Mais il ne ferviroit de rien pour apprendre à marcher, de dire, par exemple, qu'il faut envoyer des efprits en certains nerfs, remuer certains muscles, faire certains mouvemens dans les jointures, mettre un pied devant l'autre, & fe repofer fur l'un pendant que l'autre avance. On peut bien former des regles en obfervant ce que la nature nous fait faire; mais on ne fait jamais ces actions par le fecours de ces regles. Ainfi l'on traite tous les lieux dans les difcours les plus ordinaires, & l'on ne fauroit rien dire qui ne s'y rapporte; mais ce n'eft point en faifant une refléxion expreffe que l'on produit ces penfées; cette refléxion ne pouvant fervir qu'à ralentir la chaleur de l'efprit, & à l'empêcher de trouver les raifons vives & naturelles qui font les vrais ornemens de toute forte de difcours.

Virgile dans le 9. livre de l'Eneïde, après avoir reprefenté Euriale furpris & environné de fes en

nemis,

nemis qui étoient prêts de vanger fur lui la mort de leurs compagnons, que Nifus ami d'Euriale avoit tués, met ces paroles pleines de mouvement & de paffion dans la bouche de Nifus :

Me me adfum, qui feci; in me convertite fer

[ocr errors]

O Rutuli! mea fraus omnis; nihil ifte nec aufus,

Nec potuit. Calum hoc,&fidera confcia teftor: Tantum infelicem nimium dilexit amicum.

C'eft un argument, dit Ramus, à causa effic ciente; mais on pourroit bien jurer avec affûrance que jamais Virgile ne penfa, lorfqu'il fit des Vers au Lien dela caufe efficiente. Il ne les auroit jamais faits, s'il s'étoit arrêté à y chercher cette pensée; & il faut neceffairement que pour produire des vers fi nobles & fi animés, il ait non feulement oublié ces regles, s'il les favoit, mais qu'il fe foir en quelque forte oublié lui-même pour prendre la paffion qu'il reprefentoit.

Le peu d'ufage que le monde a fait de cette methode des Lieux depuis tant de temps qu'elle eft trouvée & qu'on l'enfeigne dans les Ecoles, eft une preuve évidente qu'elle n'eft pas de grand ufage. Mais quand on fe feroit appliqué à en tirer tout le fruit qu'on en peat tirer, on ne voit pas qu'on puiffe arriver par là à quelque chofe qui foit veritablement utile & eftimable. Car tout ce qu'on peut prétendre par cette methode eft de trouver fur chaque fujet diverfes pensées generales, ordinaires, éloignées, comme les Lulliftes en trouvent par le moyen de leurs tables. Or tant s'en faut qu'il foit utile de fe procurer cette forte d'abondance, qu'il n'y a rien qui gâte davanta→ ge le jugement.

Rien n'étouffe plus les bonnes femences que l'abondance des mauvaifes herbes rien ne rend

M

1

« PrécédentContinuer »