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un efprit plus fterile en pensées juftes & folides, que cette mauvaife- fertilité de penfées communes. L'efprit s'accoutume à cette facilité, & ne fait plus d'effort pour trouver les raifons propres, particulieres, & naturelles, qui ne se découvrent que dans la confideration attentive de fon fujet.

On devroit confiderer que cette abondance. qu'on recherche par le moyen de ces Lieux, eft un très-petit avantage. Ce n'eft pas ce qui manque à la plupart du monde. On peche beaucoup plus par excès que par défaut ; & les difcours que l'on fait ne font que trop remplis de matiere. Ainsi pour former les hommes dans une éloquence judicieufe & folide, il feroit bien plus utile de feur apprendre à fe taire qu'à parler, c'eft-à-dire, à fupprimer & à retrancher les penfées baffes, communes & fauffes, qu'à produire comme ils font un amas confus de raifonnemens bons & mauvais, dont on remplit les livres & les difcours.

Et comme l'ufage des Lieux ne peut gueres fervir qu'à trouver de ces fortes de pensées, on peut dire que s'il eft bon de favoir ce qu'on en dit, parceque tant de perfonnes celebres en ont parlé, qu'ils ont formé une efpece de neceffité de ne pas ignorer une chose fi commune; il eft encore beaucoup plus important d'être très-perfuadé qu'il n'y a rien de plus ridicule que de les employer pour difcourir de tout à perte de vue, comme les Lulliftes font par le moyen de lears attributs generaux qui font des efpeces de Lieux; & que cette mauvaise facilité de parler de tout, & de trouver raifon par-tout, dont quelques perfonnes font vanité, est un fi mauvais caractere d'efprit, qu'il eft beaucoup au-deffous de la bêtife.

C'eftpourquoi tout l'avantage qu'on peut tirer

de ces Lieux, fe reduit au plus à en avoir une teinture generale, qui fert peut-être un peu, fans qu'on y penfe, à envifager la matiere que l'on traite, par plus de faces & de parties.

CHAPITRE XVIII.

Divifion des Lieux en Lieux de Crammaire, de Logique, &d Methaphyfique.

C'Eu

Eux qui ont traité des Lieux les ont divifés en differente maniere. Celle qui a été fuivie par Ciceron dans fes livres de l'Invention, & dans le 2. livre de l'Orateur, & par Quintilien an s. livre de fes Inftitutions eft moins methodique; mais elle eft auffi plus propre pour l'usage des difcours du barreau, auquel ils la rapportent particulierement; celle de Ramus eft trop embarraffée de fubdivifions.

En voici une qui paroît affez commode d'un Philofophe Allemand fort judicieux & fort folide, nommé Clauberge, dont la Logique n'eft tombée entre les mains, lorfqu'on avoit déja come mencé à imprimer celle-ci.

Les Lieux font tirés, ou de la Grammaire, ou de la Logique, ou de la Metaphyfique.

Lieux de Grammaire

Les Lieux de Grammaire font, l'éthimologie, & les mots dérivés de même racine, qui s'appellent en Latin conjugata, & en Grec @agórμa.

On argumente par l'éthimologie quand on dit, par exemple, que plufieurs perfonnes du monde ne fe divertiffent jamais à proprement parler; parce que fe divertir, c'eft fe defappliquer des occupa tions ferieufes, & qu'ils ne s'occupent jamais le rieufement

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Les mots dérivés de même racine servent aussi â faire trouver des pensées.

Homo fum humani, nil à me alienum puto.
Mortali urgemur ab hofte, mortales.

Quid tam dignum mifericordiâ quàm miser ? Quid tam indignum mifericordiâ quàm fuperbus mifer? Qu'y a-t-il de plus digne de mifericorde qn'un miferable: Et qu'y a-t-il de plus indigne de mifericorde qu'un miferable qui eft orgueilleux ?. Lieux de Logique.

Les Lieux de Logique font les termes univerfels, genre, efpece, difference propre, accident; la définition, la divifion ; & comme tous ces points ont été expliqués auparavant, il n'eft pas neceffaire d'en traiter ici davantage.

Il faut feulement remarquer, que l'on joint d'or. dinaire à ces Lieux certaines maximes communes, qu'il eft bon de favoir, non pas qu'elles foient fort utiles, mais parcequ'elles font communes. On en a déja rapporté quelques-unes fous d'autres termes: mais il eft bon de les favoir fous les termes ordinaires.

1. Ce qui s'affirme ou fe nie du genre, s'affirme ou fe nie de l'efpece. Ce qui convient à tous les hommes, convient aux Grands. Mais ils ne peuvent pas prétendre aux avantages qui font audeffus des hommes.

2. En détruifant le genre, on détruit aussi l'efpece. Celui qui ne juge point du-tout ne juge point mal; celui qui ne parle point du-tout, ne parle jamais indiferetement.

3. En détruifant toutes les efpeces, on détruit le genre: Les formes qu'on appelle fubftantielles (excepté l'ame raisonnable) ne font ni corps ni efprit, Donc ce ne font point des fubftances.

4. Si l'on peut affirmer ou nier de quelque chofé la difference totale, on en peut affirmer ou nier

Pefpece. L'étendue ne convient pas à la pensée : donc elle n'eft pas matiere.

5. Si l'on peut affirmer ou nier de quelque chofe la proprieté, on en peut affirmer ou nier l'efpece. Etant impoffible de fe figurer la moitié d'une penJée, ni une pensée ronde quarrée, il est impoffible que ce foit un corps.

6. On affirme, ou on nie le défini de ce dont on affirme, ou nie la définition: Il y a peu de perfonnes juftes, parcequ'il y en a peu qui ayent une ferme & conftante volonté de rendre à chacun ce qui lui appartient.

Lieux de Metaphyfique.

Les Lieux de Metaphyfique font certains termes generaux convenans à tous les êtres, aufquels on' rapporte plufieurs argumens, comme les caufes, les effets, le tout, les parties, les termes oppofés. Ce qu'il y a de plus utile eft, d'en favoir quelques divifions generales, & principalement des caufes.

Les définitions qu'on donne dans l'Ecole aux caufes en general, en difant qu'une caufe eft ce qui produit un effet, ou ce par quoi une chose est, sont si peu nettes, & il'eft fr difficile de voir comment elles conviennent à tous les genres de caufe, qu'on: auroit auffi-bien fait de laiffer ce mot entre ceux qu'on ne définit point; l'idée que nous en avons é~rant auffi claire que les définitions qu'on en donne. Mais la divifion des caufes en 4. efpeces, qui font la caufe finale, efficiente, materielle, & førmelle, eft fi celebre,qu'il eft neceffaire de la favoir. On appelle CAUSE FINALE la fin pour laquelle une chofe eft.

Il y a des fins principales, qui font celles que l'on regarde principalement, & des fins acceffoi res, qu'on ne confidere que par furcroît.

Ce que l'on prétend faire ou obtenir eft appellé Anis cujus gratia. Ainfi la fanté eft la fin de la

medecine, parcequ'elle prétend la procurer.

Celui pour qui Pon travaille eft appellé finis cui, Phomme eft la fin de la medecine en cette maniere, parceque c'eft à lui qu'elle a deffein d'apporter la guerifon.

Il n'y a rien de plus ordinaire que de tirer des argumens de la fin, ou pour montrer qu'une chole eft imparfaite, comme qu'un difcours eft mal fait, lorfqu'il n'eft pas propre à perfuader; ou pour faire voir qu'il eft vrai-femblable qu'un homme a fait ou fera quelque action, parcequ'elle eft conforme à la fin qu'il a accoûtumé de fe propofer; d'où vient ceste parole celebre d'un Juge de Rome, qu'il falloit examiner avant toutes chofes, cui bono, c'est-à-dire, quel interêt un homme auroit eu à faire une chofe, parceque les hommes. agiffent ordinairement felon leur interêt, ou pour montrer au contraire qu'on ne doit pas foupçonner un homme d'une action, parcequ'elle auroit été contraire à fa fin.

Il y a encore plufieurs autres manieres de raifonner par la fin, que le bon fens découvrira mieux que tous les préceptes; ce qui foit dit auflè pour les autres Lieux

LA CAUSE EFFICIENTE eft celle qui produit une autre chofe. On en tire des argumens en montrant qu'un effet n'eft pas, parcequ'il n'a pas eu de caufe fuffifante, ou qu'il eft ou fera, en faifant voir que toutes ces causes. font. Si ces caufes font neceffaires, l'argument eft neceffaire; fi elles font libres & contingentes, il n'eft que probable.

Il y a diverfes efpeces de caufe efficiente, dont il eft utile de favoir les noms.

Dieu creant Adam, étoit fa caufe total, parce que rien ne concouroit avec lui; mais le pere & la mere ne font chacun que caufes partielles de leur

E

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