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doute les qualités les plus eftimables qui foient au monde, & elles doivent donner beaucoup d'autorité aux perfonnes qui les poffedent, dans les chofes qui dépendent de la pieré, de la fincerité, & même d'une lumiere de Dieu, qu'il eft plus probable que Dieu communique davantage à ceux સે qui le fervent plus purement. Mais il y a une infinité de chofes qui ne dépendent que d'une lumiere humaine, d'une experience humaine, d'une penetration humaine, & dans ces chofes ceux qui ont l'avantage de l'efprit & de l'étude meritent plus de créance que les autres. Cependant il arrive fouvent le contraire, & plufieurs eftiment qu'il' eft plus fûr de fuivre dans ces chofes même le fentiment des plus gens-de-bien.

Cela vient en partie de ce que ces avantages d'efprit ne font pas fi fenfibles que le reglement exterieur qui paroît dans les perfonnes de pieté, & en partie auffi de ce que les hommes n'aiment. point à faire des diftinctions: le difcernement fes embarraffe, ils veulent tout ou rien. S'ils ont créance à une perfonne pour quelque chofe, ils le croient en tout; s'ils n'en ont pas pour une autre, ils ne le croient en rien : ils aiment les voies courtes, décifives & abregées. Mais cette humeur quoiqu'ordinaire, ne laiffe pas d'être contraire à la raifon, qui nous fait voir que les mêmes perfonnes ne font pas croyables en tout, parcequ'elles ne font pas éminentes en tout & que c'eft mal raisonnerde conclure: C'eft un homme grave, donc il eft intelligent & habile en toutes chofes.

que

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VII.

Il eft vrai, que s'il y a des erreurs pardonnables, ce font celles où l'on s'engage en déferant plus qu'il ne faut au fentiment de ceux qu'on eftime gens-de-bien. Mais il y a une illufion beaucoup plus abfurden foi, & qui eft neaumoins très-or-

dinaire, qui eft de croire qu'un homme dit vrai, parcequ'il eft de condition, qu'il eft riche ou éle vé en dignité.

Ce n'eft pas que perfonne faffe expreffément ces fortes de raifonnemens: Il a cent mille livres de rente, donc il a raison: il eft de grande naissance, donc on doit croire ce qu'il avance, comme veritable: c'est un homme qui n'a point de bien, il 2 donc tort: neanmoins il fe paffe quelque chofe de femblable dans l'efprit de la plupart du monde, & qui emporte leur jugement sans qu'ils y penfent.

Qu'une même chofe foit propofée par une perfonne de qualité, ou par un homme de néant, on l'approuvera fouvent dans la bouche de cette perfonne de qualité, lorfqu'on ne daignera pas même l'écouter dans celle d'un homme de baffe condition. L'Ecriture nous a voulu inftruire de cette humeur des hommes, en la reprefentant parfaitement dans le Livre de l'Ecclefiaftique *: Si le riche parle, dit-elle, tout le monde fe taît, & on éleve fes paroles jufqu'aux nues: fi le pauvre parle, on demande qui eft celui-là? Dives cutus eft, & omnes tacuerunt, & verbum illius ufque ad nubes perducent: pauper locutus eft, & dicunt: Quis eft hic?

Il eft certain que la complaifance & la flaterie ont beaucoup de part dans l'approbation que l'on donne aux actions & aux paroles des perfonnes de condition, & qu'ils l'attirent fouvent auffi par une certaine grace exterieure, & par une maniere d'agir noble, libre & naturelle, qui leur eft quelquefois fi particuliere, qu'elle eft prefque iu mitable à ceux qui font de baffe naiffance: mais il eft certain auffi qu'il y en a plufieurs qui approuvent tout ce que font & difent les Grands par un abaif* ch. 13. v. 28. 299

Lement interieur de leur efprit qui plie fous le faix de la grandeur, & qui n'a pas la vûe affez ferme pour en foûtenir l'éclat, & que cette pompe exterieure qui les environne en impofe toujours un peu, & fait quelque impreffion fur les ames les plus fortes.

La raison de cette tromperie vient de la corruption du cœur des hommes, qui ayant une paffion ardente pour l'honneur & les plaifirs, conçoivent neceffairement beaucoup d'amour pour les richeffes, & les autres qualités, par le moyen defquelles on obtient ces honneurs & ces plaifirs. Or l'amour que l'on a pour toutes ces chofes que le monde eftime, fait que l'on juge heureux ceux qui les poffedent, & en les jugeant heureux, on les place au-deffus de foi, & on les regarde comme des perfonnes éminentes & élevées. Cette accoutumance de les regarder avec eftime paffe infenfiblement de leur fortune à leur efprit. Les hommes ne font d'ordinaire les chofes à demi. On leur pas donne donc une ame auffi élevée que leur rang, on fe foumet à leurs opinions: & c'est la raison de la creance qu'ils trouvent ordinairement dans les affaires qu'ils traitent.

Mais cette illufion eft encore bien plus forte dans les Grands même, qui n'ont pas eu foin de corriger l'impreffion que leur fortune fait naturellement dans leur efprit, qu'elle n'eft dans ceux qui leur font inferieurs. Il y en a peu qui ne faf. fent une raifon de leur condition & de leurs richeffes, & qui ne prétendent que leurs fentimens doivent prévaloir fur celui de ceux qui font audeffous d'eux. Ils ne peuvent fouffrir que ces gens qu'ils regardent avec mépris, prétendent avoir autant de jugement & de raifon qu'eux: & c'eft ce qui les rend fi impatiens à la moindre contradic tion qu'on leur fait,

Tout cela vient encore de la même fource; c'eft-à-dire, des fauffes idées qu'ils ont de leur grandeur, de leur nobleffe & de leurs richelles. Au-lieu de les confiderer comme des chofes entierement étrangeres à leur être, qui n'empêchent pas qu'ils ne foient parfaitement égaux à tout le refte des hommes felon l'ame & felon le corps, & qui n'empêchent pas qu'ils n'ayent le jugement auffi foible & auffi capable de fe tromper celui de tous les autres ; ils incorporent en quelque maniere dans leur effence toutes ces qualités de grand, de noble, de riche, de maître, de Seigneur, de prince, ils en groffiffent leur idée; & ne fe reprefenent jamais à eux-mêmes fans tous leurs titres, tout leur attirail & tour leur train.

que

Ils s'accoûtument à fe regarder dès leur enfance comme une efpece feparée des autres hommes: leur imagination ne les mêle jamais dans la foule du genre humain; ils font toujours Comtes ou Ducs à leurs yeux, & jamais fimplement hommes. Ainfi ils fe taillent une ame & un jugement felon la mesure de leur fortune, & ne fe croient pas moins au-deffus des autres par leur efprit, qu'ils le font par leur condition & par leur fortune.

La fottife de l'efprit humain eft telle, qu'il n'y a rien qui ne lui ferve à agrandir l'idée qu'il a de lui-même. Une belle maifon, un habit magnifique, une grande barbe, font qu'il s'en croit plus habile; & fi l'on y prend garde, il s'eftime davantage à cheval ou en caroffe qu'à pied. Il eft facile de perfuader à tout le monde qu'il n'y a rien de plus ridicule que ces jugemens; mais il eft très difficile de fe garantir entierement de l'impreffion fecrete que toutes ces chofes exterieures font dans l'efprit. Tout ce qu'on peut faire eft de s'accoûtuner, autant que l'on peut, à ne

donner aucune autorité à toutes les qualités qui ne peuvent rien contribuer à trouver la verité; & de n'en donner à celles mêmes qui y contribuent, qu'autant qu'elles y contribuent_effectivement. L'âge, la fcience, l'étude, l'experience, l'efprit, la vivacité, la retenue, l'exactitude, le travail, fervent pour trouver la verité des choses cachées ; & ainfi ces qualités meritent qu'on y ait égard; mais il faut pourtant les pefer avec foin, & enfuite en faire comparaifon avec les raisons contraires. Car de chacune de ces chofes en particulier on ne conclut rien de certain, puisqu'il y a des opinions très fauffes qui ont été approuvées par des perfonnes de fort bon efprit, & qui avoient une grande partie de ces qualités.

VIII.

Il y a encore quelque chofe de plus trompeur dans les furprifes qui naiffent de la maniere. Car on eft porté naturellement à croire qu'un homme a raison lorfqu'il parle avec grace avec facilité, avec gravité, avec moderation, & & avec douceur; & à croire au-contraire qu'un honime a tort, lorfqu'il parle defagreablement, ou qu'il fait paroître de l'emportement, de l'aigreur, de la préfomption dans les actions & dans les paroles.

Cependant fi l'on ne juge du fond des chofes que par ces manieres exterieures & fenfibles, il eft impoffible qu'on n'y foit fouvent trompé. Car il y a des perfonnes qui debitent gravement & modeftement des fottifes; & d'autres au-contraire, qui étant d'un naturel prompt, ou qui étant même poffedés de quelque paffion qui paroît dans leur vifage ou dans leurs paroles, ne laiffent pas d'avoir la verité de leur côté. Il y a des efprits fort mediocres & trèsfuperficiels, qui pour avoir été nourris à la

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