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CHAPITRE PREMIER.

De la fcience. Qu'il y en a. Que les chofes que l'on connoit par l'esprit font plus certaines que ce que l'on connoit par les fens. Qu'il y a des chofes que l'efprit humain eft incapable de favoir. Utilité que l'on peut tirer de cette ignorance neceffaire.

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I lorfque l'on confidere quelque maxime, on en connoît la verité en elle-même, & par l'évidence qu'on y apperçoit, qui nous perfuade fans autre raison; cette forte de connoiffance s'appelle intelligence, & c'est ainsi que l'on connoît les premiers principes.

Mais fi elle ne nous perfuade pas par elle-même, on a befoin de quelqu'autre motif pour s'y rendre, & ce motif eft, ou l'autorité, où la raifon: Si c'eft l'autorité qui fait que l'efprit embraffe ce qui lui eft propofé, c'eft ce qu'on appelle foi. Si c'eft la raifon, alors, ou cette raison ne produit pas une entiere conviction, mais laiffe encore quelque doute, & cet acquiefcement de l'ef prit accompagné de doute eft ce qu'on nomme opinion.

Que fi cette raifon nous convainc entierement, alors, ou elle n'eft claire qu'en apparence & faute d'attention, & la perfuafion qu'elle produit eft une erreur, fi elle est fauffe en effet ; où du moins un jugement temeraire, fi étant vraie en foi, on n'a pas neanmoins eu affez de raifon de la croire veritable.

Mais fi cette raifon n'eft pas feulement appa rente, mais folide & veritable; ce qui fe reconBoît par une attention plus longue & plus exacte,

par une perfuafion plus ferme, & par la qualité de la clarté qui eft plus vive & plus penetrante, alors la conviction que cette raifon produit s'ap pelle fcience, fur laquelle on forme diverses quef

tions.

La premiere eft, s'il y en a, c'est-à-dire, fi nous avons des connoiffances fondées für des raifons claires & certaines, ou en general, fi nous avons des connoiffances claires & certaines : car cette question regarde autant l'intelligence que la fcience.

Il s'eft trouvé des Philofophes qui ont fait profeffion de le nier, & qui ont même établi fur ce fondement toute leur Philofophie; & entre ces Philofophes, les uns fe font contentés de nier la certitude, en admettant la vrai-femblance, & ce font les nouveaux academiciens :les autres qui font les Pyrrhoniens, ont même nié cette vraisemblance, & ont prétendu que tou tes chofes étoient également obfcures & incerLaines.

Mais la verité eft, que toutes ces opinions. qui ont fait tant de bruit dans le monde, n'ont jamais fubfifté que dans des difcours, des difputes, ou des écrits, & que perfonne n'en a jamais été ferieufement perfuadé: C'étoient des jeux & des amusemens de perfonnes oifives & ingenieufes; mais ce ne furent jamais des fentimens dont ils fuffent interieurement penetrés, & par lefquels il vouluffent fe conduire : c'eftpourquoi le meilleur moyen de convaincre ces Philofophes, étoit de les rappeller à leur conftience, & à la bonne foi, & de leur demander après tous ces difcours, par lefquels ils s'efforçoient de montrer, qu'on ne peut diftinguer te fommeil de la veille, ni la folie du bon-fens, s'ils n'étoient pas perfuadés malgré toutes leurs/

alfons, qu'ils ne dormoient pas, & qu'ils avoient l'efprit fain; & s'ils euffent cu quelque fincerité, ils auroient démenti toutes leurs vaines fubtilités, en avouant franchement qu'ils ne pouvoient pas ne point croire toutes ces chofes quand ils l'euffent voulu.

Que s'il fe trouvoit quelqu'un qui pût entrer en doute, s'il ne dort point, ou s'il n'eft point fou, ou qui pût même croire, que l'existence de toutes les chofes exterieures eft incercaine, & qu'il eft douteux s'il y a un foleil, une lune & une matiere; au moins perfonne ne fauroit douter, comme dit faint Auguftin, s'il eft, s'il penfe, s'il vit: car foit qu'il dorme, ou qu'il veille, foit qu'il ait l'efprit fain, ou malade, foit qu'il fe trompe, ou qu'il ne fe trompe pas, il eft certain au-moins, puifqu'il penfe, qu'il eft & qu'il vit; étant impoffible de feparer l'être & la vie de la penfée, & de croire que ce qui penfe, n'eft pas, & ne vit pas ; & de cette connoiffance claire, certaine & indubitable , il en peut former une regle, pour approuver comme vraies toutes les penfées qu'il trouvera claires, comme celle-là lui paroît.

Il eft impoffible de même de douter de fes perceptions, en les feparant de leur objet : qu'il y ait ou qu'il n'y ait pas un foleil, & une terre, il m'ef certain que je m'imagine en voir un, il m'eft cer tain, que je doute, lorfque je doute, que je croi voir, lorfque je croi voir; que je croi entendre, lorfque je croi entendre, & ainfi des autres; de forte qu'en fe renfermant dans fon efprit feul & en y confiderant ce qui s'y paffe, on y trouvera une infinité de connoiffances claires, & dont il eft impoffible de douter.

Cette confideration peut fervir à décider une autre queftion que l'on fait fur ce fujer: qui eft,

fi les chofes que l'on ne connoît que par l'efprit; font plus ou moins certaines, que celles l'on que connoît par le fens car il eft clair, par ce que nous venons de dire, que nous fommes plus affûrés de nos perceptions & de nos idées, que nous ne voyons que par une reflexion d'efprit, que nous ne le fommes de tous les objets de nos fens. L'on peut dire même, qu'encore que les fens ne nous trompent pas toujours dans le rapport qu'ils nous font, neanmoins la certitude que nous avons qu'ils ne nous trompent pas, ne vient pas des fens, mais d'une reflexion de l'efprit, par laquelle nous difcernons, quand nous devons croire, & quand nous ne devons pas croire les fens.

Et c'eft pourquoi il faut avouer que saint Anguftin a eu raifon de foûtenir après Platon, que le jugement de la verité & la regle pour difcerner n'appartient point aux fens, mais à l'efprit; Non eft judicium veritatis in fenfibus; & que même cette certitude que l'on pent tirer des fens, ne s'étend pas bien loin, & qu'il y a plufieurs chofes que l'on croit favoir les fens ; par & dont on ne peut pas dire que l'on ait une affûrance entiere.

Par exemple, on peut bien favoir par les fens, qu'un tel coips eft plus grand qu'un autre corps; mais on ne fauroit favoir avec certitude quelle eft la grandeur veritable & naturelle de chaque corps; & pour comprendre cela il n'y a qu'à confiderer, que fi tout le monde n'avoit jamais regardé les objets exterieurs qu'avec des lunettes qui les groffiffent, il eft certain qu'on ne fe feroit figuré les corps & toutes les mefures des corps, que lon la grandeur dans laquelle ils nous auroient été reprefentés par ces lunettes: Or nos yeux mêmes font des lunettes, & nous ne favons point précifément s'ils ne diminuent point ou n'augmentent point les objets que nous voyons, & fi les lunettes,

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rtificielles que nous croyons les diminuer ou les augmenter, ne les établiffent point au-contraire dans leur grandeur veritable; & partant on ne connoît ponit certainement la grandeur abfolue & naturelle de chaque corps.

On ne fait point auffi, fi nous les voyons de la même grandeur que les autres hommes, car encore que deux perfonnes les mefurant, conviennent enfemble qu'un certain corps n'a,par exemple, que cinq piés, néanmoins ce que l'on conçoit par un pié, n'eft peut-être pas ce que l'autre conçoit; car l'un conçoit ce que fes yeux lui rapportent, & un autre de même; or peut-être que les yeux de l'un lui rapportent pas la même chofe que ce que les yeur des autres leur reprefentent, parceque ce font des lunettes autrement taillées.

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Il y a pourtant beaucoup d'apparence, que cette diverfité n'eft pas grande, parcequ'on ne voir pas une difference dans la conformation de l'œil qui puiffe produire un changement bien notable,. outre que quoique nos yeux foient des lunettes, ce feroit pourtant des lunettes taillées de la main de & ainfi l'on a fujet de croire qu'elles ne s'éloignent de la verité des objets, que par quelques défauts qui corrompent ou troublent leur figure naturelle.

Dieu;

Quoi qu'il en fuit, fi le jugement de la grandeur des objets eft incertain en quelque forte, auffi n'eft-il guéres neceffaire, & il n'en faut nullement conclure qu'il n'y ait pas plus de certitude dans tous les autres rapports des fens; car fi je ne fai pas précisément, comme j'ai dit, quelle eft la grandeur abfolue & naturelle d'un élephant, je fai pourtant qu'il eft plus grand qu'un cheval & moindre qu'une baleine, ce qui fuffit pour l'ufa ge

de la vie.

Il y a donc de la certitude & de l'incertitude, &

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