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point mis pour condition qu'on les dût prendre
de la forte; mais il fuffit que ces mots fe puiffent
par metaphore rapporter à autre chofe; & ainfi
cette question eft bien refolue, quand on a dit que
cet animal eft l'homme.

Suppofons encore qu'on nous demande, par
quel artifice pouvoit avoir été faite la figure d'un
Tantale, qui étant couché fur une colonne an
milieu d'un vafe, en posture d'un homme qui fe
penche pour boire, ne le pouvoit jamais faire,
parceque l'eau pouvoit bien monter dans le vafe
jufqu'à fa bouche, mais s'enfuyoit toute fans qu'il
en demeurât rien dans le vafe, auffi-tôt qu'elle
étoit arrivée jufques à fes lévres: on pecheroit en
ajoûtant des conditions qui ne ferviroient de rien
à la refolution de cette demande, fi on s'amusoit
à chercher quelque fecret merveilleux dans la fi-
gure de ce Tantale, qui feroit fuir cette eau aufli-
tôt qu'elle auroit touché fes lévres; car cela n'est
point enfermé dans la queftion, & fi on la con-
çoit bien, on la doit reduire à ces termes, de faire
un vafe qui tienne l'eau, n'étant plein que ju
qu'à une certaine hauteur, & qui la laiffe toute
aller fi on le remplit davantage, & cela eft fort
aifé: car il ne faut que cacher un fiphon dans
la colonne, qui ait un petit trou en bas, par
où l'eau y entre, & dont la plus longue jambe
ait fon ouverture par-deffous le pied du vafe: tant
que l'eau que l'on mettra dans le vafe ne fera pas
arrivée au haut du fiphon, elle y demeurera,
quand elle y fera arrivée, elle s'enfuira toute par
la plus longue jambe du fiphon qui eft ouverte,
au-deffous du pied du vafe.

mais

On demande encore, quel pouvoit être le fecret de ce buveur d'eau, qui fe fit voir à Paris, il y a vingt ans, & comment il fe pouvoit faire, qu'en jettant de l'eau de fa bouche il remplît en

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même temps cinq ou fix verres differens, d'eaux de diverfes couleurs : fi on s'imagine que ces eaux de diverfes couleurs étoient dans fon eftomach, & qu'il les féparoit en les jettant, l'une dans un ver re, & l'autre dans l'autre, on cherchera un fecret que l'on ne trouvera jamais, parcequ'il n'est pas poffible: au-lieu qu'on n'a qu'à chercher pourquoi l'eau fortie en même temps de la même bouche, paroiffoit de diverfes couleurs dans chacun de ces verres, & il y a grande apparence que cela venoit de quelque teinture qu'il avoit mife au fond de ces

verres.

C'eft auffi l'artifice de ceux qui propofent des queftions, qu'ils ne veulent pas que l'on puiffe refoudre facilement, d'environner ce qu'on doit trouver de tant de conditions inutiles, & qui ne fervent de rien à le fairejtrouver, que l'on ne puiffe pas facilement découvrir le vrai point de la queftion, & qu'ainfi on perde le temps, & on fe fatigue inutilement l'efprit, en s'arrêtant à des choLes qui ne peuvent de rien contribuer à la refoudre.

L'autre maniere dont on peche dans l'examen des conditions de ce que l'on cherche, eft quand en en obmet qui font effencielles à la question que l'on propofe. On propofe, par exemple, de trouver par art le mouvement perpetuel; car on fait bien qu'il y en a de perpetuels dans la nature, comme font les mouvemens des fontaines, des rivieres, des aftres: Il y en a qui s'étant imagi

nés

que la terre tourne fur fon centre: & que ce n'eft qu'un gros aiman, dont la pierre d'aiman a toutes les proprietés, ont cru auffi qu'on pourroit difpofer un aiman, de telle forte, qu'il tourneroit toujours circulairement; mais quand cela feroit, on n'auroit pas fatisfait au problême de trouver par art le mouvement perpetuel; puifque ce mouyement feroit auffi naturel, que

celui d'une roue qu'on expose au courant d'une rè viere.

Lors donc qu'on a bien examiné les condi tions qui défignent & qui marquent ce qu'il y a d'inconnu dans la queftion, il faut enfuite exa miner ce qu'il y a de connu, puifque c'est par là qu'on doit arriver à la connoiffance de ce qui eft inconnu. Car il ne faut pas nous imaginer, que nous devions trouver un nouveau genre d'étre, au lieu que notre lumiere ne peut s'étendre qu'à reconnoître, que ce que l'on cherche participe en telle & telle maniere à la nature des chofes qui nous font connues. Si un homme, par exemple, étoit aveugle de naiffance, on fe tueroit en vain de chercher des argumens & des preuves pour lui faire avoir les vraies idées des couleurs, telles que nous les avons par les fens : Et de même, fi l'aiman, & les autres corps dont on cherche la nature, étoit un nouveau genre d'être, & tel que notre efprit n'en auroit point conçu de femblable, nous ne devrions pas nous attendre de le connoître jamais par raisonnement; mais nous aurions befoin pour cela d'un autre efprit que le nôtre. Et ainfi on doit croire avoir trouvé tout ce qui fe peut trouver par l'esprit humain ; fi on peut concevoir diftinctement un tel mélange des êtres & des natures qui nous font connues, qu'ils produisent tous les effets que nous voyons dans l'aiman.

Or c'eft dans l'attention que l'on fait à ce qu'il y a de connu dans la queftion que l'on veut refoudre, que confifte principalement l'analyse, tout l'art étant de tirer de cet examen beancoup de verités qui nous puiffent mener à la connoiffance de ce que nous cherchons.

Comme fi l'on propose, Si l'ame de l'homme aft immoriell, & que pour le chercher on s'ap

plique à confiderer la nature de notre ame, on y remarque premierement, que c'est le propre de l'ame que de penfer, & qu'elle pourroit douter de tout, fans pouvoir douter fi elle penfe, puifque le doute même eft une pensée. On examine enfuite ce que c'eft que de penfer; & ne voyant point que dans l'idée de la penfée, il y ait rien d'enfermé de ce qui eft enfermé dans L'idée de la fubftance étendue qu'on appelle corps; & qu'on peut même nier de la pensée tout ce qui appartient au corps, comme d'ê tre long, large, profond, d'avoir diverfité de parties, d'être d'une telle ou d'une telle figu re, d'être divifible, &c. fans détruire pour cela l'idée qu'on a de la penfée; on en conclut, que la penfée n'eft point un mode de la fubftance étendue parcequ'il eft de la nature du mode de ne pouvoir être conçu en niant de lui la chofe dont il feroit mode. D'où l'on infere encore, que la pensée n'étant point un mode de la fubftance étendue, il faut que ce foit l'attribut d'une autre fubftance; & qu'ainfi la fubftance qui penfe & la fubftance étendue foient deux fübftances réellement diftinctes. D'où il s'enfuit que la destruction de l'une ne doit point emporter la deftruction de l'autre puifque même la fubftan ce étendue n'eft point proprement détruite, mais que tout ce qui arrive en ce que nous appellons deftruction, n'eft autre chofe que le changement ou la diffolution de quelques parties de la matiere qui demeure toûjours dans la nature, comme nous jugeous fort bien qu'en rompant toutes les roues d'une horloge il n'y a point de fubftance détruite, quoique l'on dife que cette horloge eft détruite. Ce qui fait voir que l'ame n'étant point divifible & compofée d'aucunes parties, ne peut perir,& par confequent qu'elle eft immortelle

Voilà ce qu'on appelle analyse ou refolution: où il faut remarquer 1. Qu'on y doit pratiquer auffi-bien que dans la methode qu'on appelle de compofition, de paffer toûjours de ce qui eft plus connu à ce qui l'eft moins. Car il n'y a point de vraie methode qui fe puiffe difpenfer de cette regle.

2. Mais qu'elle differe de celle de compofition, en ce que l'on prend ces vérités connues dans l'examen particulier de la chofe que l'on le propose de connoître, & non dans les chofes plus generales, comme on fait dans la methode de doctrine. Ainfi dans l'exemple que nous avons proposé, on ne commence pas par l'établissement de ces maximes generales : Que nulle fubftance ne perit, à proprement parler: Que ce qu'on appelle deftrution n'eft qu'une diffolution de parties; Qu'ainfi ce qui n'a point de parties ne peut être détruit, &c. Mais on monte par degrés à ces connoiffances generales.

3. On n'y propofe les maximes claires & évidentes qu'à mesure qu'on en a befoin; au lieu que dans l'autre on les établit d'abord, ainfi que nous dirons plus bas.

4. Enfin, ces deux methodes ne different que comme le chemin qu'on fait en montant d'une vallée en une montagne, de celui que l'on fait en defcendant de la montagne dans la vallée; ou comme different les deux manieres dont on fe peut fervir pour prouver qu'une perfonne eft defcendue de S. Louis, dont l'une eft de montrer que cette perfonne a un tel pour pere qui étoit fils d'un tel, & celui-là d'un autre, & ainfi jufqu'à S. Louis : & l'autre, de commencer par S. Louis: & montrer qu'il a eutels enfans, & ces enfans d'autres, en defcendant jufqu'à la perfonne dont il s'agit. Et cet exemple est d'autant plus propre en cette ren

contre

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