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maux, les Stoïciens en jouiffant des plairs ne les appelloient pas des biens, mais des chofes preferables, wegria & en fuyant les maux ne les appe Hoient pas des maux, mais feulement des choles rejettables, από προν μένα.

C'eft donc un avis très-utile de retrancher de toutes les difputes tout ce qui n'eft fondé que fur l'équivoque des mots, en les définiffant par d'autres termes fi clairs qu'on ne puiffe plus s'y mẻprendre.

A cela fert la premiere des regles que nous venons de rapporter: Ne later aucun terme un pen abfcur ou équivoque qu'on e le définiffe.

Mar

nour tirer toute l'utilé que l'on doit de ces définitions, il y faut encore ajoûter la secon‐ de regle: N'employer dans les déjnitio is que des termes parfaitement connus, ou d'éja expliqués; c'est-à-dire, que des termes qui defignent clairement, autant qu'il fe peut, l'idée qu'on veut fignifier par le mot qu'on définit.

Car quand on n'a pas défigné affez nettement & affez diftinctement l'idée à laquelle on veut t tacher un mot, il eft prefque impoffible que dans la fuite on ne paffe infenfiblement à une autre idée que celle qu'on a défignée, c'est-à-dire, qu'au lieu de fubftituer mentalement à chaque fois qu'on fe fert de ce mot la même idée qu'on a défignée, on en fubftitue une autre que la nature nous fournit: Et c'eft ce qu'il eft aifé de découvrir, en fubftituant expreffément la définition au défini. Car cela ne doit rien changer de la propofition, fi on eft toujours demeuré dans la même idée; au-lieu que cela la changera fi on n'y eft pas demeuré.

Tout cela fe comprendra mieux par quelques exemples. Euclide définit l'angle plan rectiligne; La rencontre de deux lignes droites inclinées fur

un même plan. Si on confidere cette définition comme une fimple définition de mot, en forte qu'on regarde le mot d'angle, comme ayant été dépouillé de toute fignification, pour n'avoir plus que celle de la rencontre de deux lignes, on n'y doit point trouver à redire. Car il a été permis à Euclide d'appeller du mot d'angle la rencontre de deux lignes. Mais il a été obligé de s'en fouvenir, & de ne prendre plus le mot d'angle qu'en ce fens. Or pour juger s'il l'a fait, il ne faut que fubftituer toutes les fois qu'il parle de l'angle, au mot d'angle la définition qu'il a donnée, & fi en fubsti tuant cette définition, il fe trouve quelque abfurdité en ce qu'il dit de l'angle, il s'enfuivra qu'il n'eft pas demeuré dans la même idée qu'il avoit défignée; mais qu'il eft paffé infenfiblement à une antre, qui eft celle de la nature. Ii enfeigne, par exemple, à divifer un angle en deux. Subftituez fa définition. Qui ne voit que ce n'eft point la rencontre de deux lignes qu'on divife en deux, que ce n'eft point la rencontre de deux lignes qui a des côtés, & qui a une base ou fouftendante: mais que tout cela convient à l'efpace compris entre les lignes, & non à la rencontre des lignes.

Il eft vifible que ce qui a embarraffé Euclide, & ce qui l'a empêché de défigner l'angle par les mots d'efpace compris entre deux lignes qui fe rencontrent eft qu'il a vû que cet efpace pouvoit être plus grand ou plus petit, quand les côtés de l'angle font plus longs ou plus courts, fans que l'angle en foit plus grand ou plus petit; mais il ne devoit pas conclure de là que l'angle rectiligne n'étoit pas une efpace, mais feulement que c'étoit un efpace compris entre deux lignes droites qui fe rencontrent, indéter

miné felon celle de ces deux dimenfions qui répond à la longueur de ces lignes, & déterminé felon l'autre par la partie proportionnelle d'une circonference qui a pour centre le point où ces lignes fe rencontrent.

Cette définition défigne fi nettement l'idée que tous les hommes ont d'un angle, que c'est tout enfemble une définition de mot & une définition de chofe, excepté que le mot d'angle comprend auffi dans le difcours ordinaire un angle folide, au-leu que par cette définition on le reftreint à fignifier un angle plan rectiligne. Et lorsqu'on a ainfi défini l'angle, il eft indubitable que tout ce qu'on pourra dire enfuite de l'angle plan rectiligne, tel qu'il fe trouve dans toutes les figures retilignes, fera vrai de cét angle ainfi défini, sans qu'on foit jamais obligé de changer d'idée, ni qu'il fe rencontre jamais aucune abfurdité en fubftituant la définition en la place du défini. Car c'eft cet efpace ainfi expliqué que l'on peut divifer en deux, en trois, en quatre. C'est cet espace qui a deux côtés entre lefquels il eft compris. C'eft cet efpace qu'on peut terminer du côté qu'il eft de foi-même indéterminé, par une ligne qu'on appelle bale ou fouftendante. C'eft cet espace qui n'eft point confideré comme plus grand ou plus petit, pour être compris entre des lignes plus longues ou plus courtes; parcequ'étant indéterminé felon cette dimenfion, ce n'eft point de là qu'on doit prendre fa grandeur & fa petiteffe. C'est par cette définition qu'on trouve le moyen de juger fi un angle eft égal à un autre angle, ou plus grand ou plus petit. Car puifque la grandeur de cet efpace n'eft déterminée que par la partie proportionnelle d'une circonference, qui a pour centre le point où les lignes, qui comprennent l'angle fe rencontrent

lorfque deux angles ont pour mettre l'aliquote pareille chacun de fa circonference, comme la dixième partie, ils font égaux, & fi l'un a la dixième, & l'autre la douzième, celui qui a la dixiéme eft plus grand que celui qui a la douziéme. Au-lieu que par la définition d'Euclide on ne fauroit entendre en quoi confifte l'égalité de deux angles; ce qui fait une horrible: confufion dans fes élemens, comme Ramus a remarqué, quoique lui-même ne rencontre gueres

mieux.

Voici d'autres définitions d'Euclide, où il fait la même faute qu'en celle de l'angle. La raison, dit-il, eft une habitude de deux grandeurs de même; genre comparées l'une à l'autre felon la quantité = Proportion eft une fimilitude de raisons

Par ces définitions le nom de raifon doit com prendre l'habitude qui eft entre deux grandeurs, lorfqu'on confidere de combien l'une furpaffe l'autre. Car on ne peut nier que ce ne foit une habitude de deux grandeurs comparées felon la quantité. Et par confequent quatre grandeurs auront proportion enfemble, lorfque la difference de la premiere à la feconde est égale à læ d.ference de la troifiéme à la quatriéme. Il n'y a donc rien à dire à ces définitions d'Euclide), pourvû qu'il demeure toûjours dans ces idées qu'il a défignées par ces mots, & à qui il a donné: les noms de raison & de proportion. Mais il n'y demeure pas, puifque felon toute la fuite de fom livre, ces quatre nombres 3. 5. 8. 10. ne font point en proportion, quoique la définition qu'ill a donnée au mot de proportion leur convienne puifqu'il y a entre le premier nombre & le fe-cond comparés felon la quantité, une habitude femblable à celle qui eft entre le troifiéme & le quatrième.

Il falloit donc pour ne pas tomber dans cer inconvenient, remarquer qu'on peut comparer deux grandeurs en deux manieres, l'une en confiderant de combien l'une surpasse l'autre; & F'autre, de quelle maniere l'une eft contenue dans l'autre. Et comme ces deux habitudes font differentes, il leur falloit donner divers noms, donnant à la premiere le nom de difference, & reservant à la feconde le nom de raison. Il falloit enfuite définir la proportion & l'égalité de l'une ou de l'autre de ces fortes d'habitudes, c'est-à-dire', de la difference ou de la raison ; & comme cela fait deux efpeces, les diftinguer auffi par deux divers noms, en appellant l'égalité des differences proportion arithmétique, & l'égalité des raifous proportion géométrique. Et parceque cette derniere eft de beaucoup plus grand ufage que la premiere, on pouvoit encore avertir que lorfque fimplement on nomme proportion ou grandeurs proportionnelles, on entend la proportion geometrique, & qu'on n'entend l'arithmetique que quand on l'exprime. Voilà ce qui auroit démêlé toute cette obfcurité, & auroit levé toute équivoque..

Tout cela nous fait voir qu'il ne faut pas abufer de cette maxime, que les définitions des mots font arbitraires; mais qu'il faut avoir grand foin de défigner fi nettement & fi clairement l'idée à laquelle on veut lier le mot que l'on définit, qu'on ne s'y puiffè tromper dans la fuite du difcours, en changeant cette idée ; c'est-àdire, en prenant le mot en un autre fens que: celui qu'on lui a donné par la définition; en forqu'on ne puiffe fubftituer la définition en la place du défini, fans tomber dans quelque abs findités.

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