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CHAPITRE V..

Que les Géometres femblent n'avoir pas toujours bien compris la difference qu'il y a entre la défi Inition des mots, & la définition des chofes..

Uoiqu'il n'y ait point d'auteurs qui fe fervent mieux de la définition des mots que les Géometres, je me crois néanmoins ici obligé de remarquer qu'ils n'ont pas toûjours pris garde à la difference que l'on doit mettre entre les définitions des chofes & les définitions des mots, quit eft que les premieres font conteftables, & que les autres font inconteftables. Car j'en vois qui difputent de ces définitions de mots avec la même chaleur que s'il s'agiffoit des chofes mêmes.

Ainfi l'on peut voir dans les commentaires de: Clavius fur Euclide une longue difpute & fort échauffée entre Pelletier & lui, touchant l'efpace entre la tangente & la circonference, que Pelletier prétendoit n'être pas un angle, au-lieu que Clavius foûtient que c'en eft un. Qui ne voit que tout cela fe pouvoit terminer en un mot, em fe demandant l'un à l'autre ce qu'il entendoit pan le mot d'angle.

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Nous voyons encore que Simon Stevin, trèscélebre Mathématicien du Prince d'Orange ayant défini le nombre, Nombre eft cela par lequel s'explique la quantité de chacune chofe, il fa met enfuite fort en colere contre ceux qui nee veulent pas que l'unité foit nombre, jufqu'à fai-re des exlamations de Rhétorique, comme s'ill sagiffoit d'une difpute fort folide. Il est vraii qu'il mêle dans ce difcours une queftion de quel-que importance, qui eft de favoir fi l'unité eftt

au nombre comme le point eft à la ligne. Mais c'eft ce qu'il falloit diftinguer pour ne pas brouilfer deux chofes très-differentes. Et ainsi traitant à part ces deux questions; l'une fi l'unité eft nombre, l'autre fi l'unité eft au nombre ce qu'eft le point à la ligne, il falloit dire fur la premiere,. que ce n'étoit qu'une difpute de mot, & que l'anité étoit nombre ou n'étoit pas nombre felon la définition qu'on voudroit donner au nombre : Qu'en le définiffant comme Euclide, Nombre eft une mltitude d'unités assemblées, il étoit visible que l'unité n'étoit pas nombre; mais que comme cette définition d'Euclide étoit arbitraire, & qu'il étoit permis d'en donner une autre au nom de nombre; on lui en pouvoit donner une comme eft celle que Stevin apporte, felon laquelle l'unitéeft nombre. Par là, là premiere queftion eft vuidée, & on ne peut rien dire outre cela contre ceux à qui il ne plaît pas d'appeller l'unité nombre, fans. une manifefte petition de principe, comme on peut voir en examinant les prétendues démontrations de Stevin. La premiere eft :La partie eft de même nature que le tout: Unité eft partie d'une multitude d'unités: Donc l'unité eft de même nature qu'une multitude d'unités; & par confequent nombre.

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Cet argument ne vaut rien du tout. Car quand la partie feroit toûjours de la même nature que le tout, il ne s'enfuivroit pas qu'elle dût toûjours avoir le même nom que le tout, & au-contraire

arrive tres-fouvent qu'elle n'a point le mêmenom.. Un foldat eft une partie de l'armée, & nieft point une armée : Une chambre eft une parrie d'une maison, & non point une maison: Un demi cercle n'eft point un cercle: La partie d'un quarré n'eft point un quarré. Cet argument: prouve donc au-plus que l'unité étant partie de

La multitude des unités, a quelque chofe de commun avec toute multitude d'unités, felon quot 'on pourra dire qu'ils font de même nature; mais cela ne prouve pas qu'on foit obligé de donner le même nom de nombre à l'unité & à la multitude d'unités, puifqu'on peut, fi l'on veut, garder le nom de nombre pour la multitude d'unités & ne donner à l'unité que fon nom même d'unité ou de partie du nombre.

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La feconde raifon de Stevin ne vaut pas mieux,, Si du nombre donné l'on n'ôte aucun nombre Le nombre donné demeure.

Donc fi l'unité n'étoit pas nombre, en ôtant un de trois, le nombre donné demeureroit ; ce qui eft abfurde..

Mais cette majeure eft ridicule, & suppose ce qui eft en queftion. Car Euclide niera que le nombre donné demeure, lorfqu'on n'en ôte aucun nombre, puifqu'il fuffit pour ne pas demeurer tel qu'il étoit, qu'on en ôte ou un nombre, ou une partie du nombre, telle qu'est l'unité. Et fi cet ar gument étoit bon, on prouveroit de la même maniere qu'en ôtant, un demi cercle d'un cercle donné, le cercle donné doit demeurer, parcequ'on n'en a ôté aucun cercle.

Ainfi tous les argumens de Stevin prouvent au plus qu'on peut définir le nombre en forte que le mot de nombre convienne à l'unité, parceque Punité & la multitude d'unités ont affez de conve

nance pour être fignifiés par un même nom, mais ils ne prouvent nullement qu'on ne puiffe pas auffi définir le nombre en reftreignant ce mot à la multitude d'unités, afin de n'être pas obligé d'excepter l'unité toutes les fois qu'on expliquedes propriétés qui conviennent à tous les nombres. hormis à l'unité.

Mais la feconde queffion, qui eft de savoir fli

Punité eft aux autres nombres, comme le point eft à la ligne, n'eft point de même nature que la premiere, & n'eft point une difpute de mot, mais de chofe. Car il eft abfolument faux que l'unité foit au nombre comme le point eft à la ligne; puifque l'unité ajoutée au nombre le fait plus grand, au lieu que le point ajoûté à la ligne ne la fait point plus grande. L'unité eft partie du nombre, & le point n'eft pas partie de la ligne. L'unité ôtée du nombre, le nombre donné ne demeure point; & le point ôté de la ligne, la ligne donnée demeure.

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Le même Stevin eft plein de femblables difputes fur les définitions de mots, comme quand il s'échauffe pour prouver que le nombre n'eft point une quantité difcrete: que la proportion des nombres eft toûjours arithmetique, & non géométrique que toute racine de quelque nombre que ce foit eft un nombre. Ce qui fait voir qu'il n'a point compris proprement ce que c'étoit qu'une définition de mot, & qu'il a pris les définitions des mots qui ne peuvent être contestées, pour les définitions des chofes que l'on peut foument contefter avec raison.

CHAPITRE VI.

Des Regles qui regardent les axiomes, c'est à dire, les propositions claires

elles-mêmes.

évidentes par

le monde demeure d'accord qu'il y a

Tdes propofitions fi claires & fi évidentes d'el

les-mêmes ›

qu'elles n'ont pas befoin d'être déntrées, & que toutes celles qu'on ne démontae poiar doivent être telles pour être principes.

d'une veritable démonftration. Car fi elles font tant-foit-peu incertaines; il eft clair qu'elles ne peuvent être le fondement d'une conclufion touta-fait certaine.

Mais plufieurs ne comprennent pas affez en quoi confifte cette clarté & cette évidence d'une propofition. Car premierement, il ne faut pas s'imaginer, qu'une propofition ne foit claire & certaine, que lorfque perfonne ne la contredit; & qu'elle doive paffer pour douteufe, ou qu'aumoins on foit obligé de la prouver, lorsqu'il fe trouve quelqu'un qui la nie. Si cela étoit, il n'y auroit rien de certain ni de clair, puisqu'il s'eft trouvé des Philofophes qui ont fait profeffion de douter generalement de tout, & qu'il y en a même qui ont prétendu qu'il n'y avoit aucune propofition qui fût plus vraisemblable que fa contraire. Ce n'eft donc point par les conteftations des hommes qu'on doit juger de la certitude ni de la clarté; car il n'y a rien qu'on ne puiffe contefter, fur-tout de parole; mais il faut tenir pour clair ce qui paroît tel à tous ceux qui veulent prendre la peine de confiderer les choses avec attention, & qui font finceres à dire ce qu'ils en penfent interieurement. C'eft pourquoi il y a uneparole de très-grand fens dans Ariftote, qui eft que la démonftration ne regarde proprement que le difcours interieur, & non pas le difcours exterieur, parcequ'il n'y a rien de fi bien démon-tré qui ne puiffe être nié par une perfonne opiniâ tre, qui s'engage à contefter de paroles les chofes mêmes dont il eft interieurement perfuadé : ce qui eft une très-mauvaise difpofition, & très-indigne d'un efprit bien fait, quoiqu'il foit vrai que cette humeur fe prend fouvent dans les écoles de Philofophie, par la coutume qu'on y a introduite de difputer de toutes chofes, & de mer

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