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tre fon honneur à ne fe rendre jamais, celui-la étant jugé avoir le plus d'efprit qui est le plus prompt à trouver des défaites pour s'échapper ; au-lieu que le caractere d'un honnête homme eft de rendre les armes à la verité, aufli-tôt qu'on l'apperçoit, & de l'aimer dans la bouche même de fon adverfaire.

Secondement les mêmes Philofophes qui tienment que toutes nos idées viennent de nos fens, foutiennent aufli que toute la certitude & toute Févidence des propofitions vient ou immediatement, ou mediatement des fens. Car, difent-ils, cet axiome même qui paffe pour le plus clair & la plus évident que l'on puiffe defirer: Le tout et plus grand que fa partie, na trouvé de créance dans notre efprit que pareeque d ́s notre enfance nous avons obfervé en particulier & que tout l'homme est flis grand que fa téte, & toute une maison qu'une chambre, & toute une forêt qu'un arbre tout le ciel qu'une étoile.

Cette imagination eft auffi fauffe que celle que nous avons refutée dans la premiere partie, qus toutes nos idées viennent de nos fens. Car fi nous n'étions afsûrés de cette verité, le tout eft plus grand que fa partie que par les diverfes obfervations que nous en avons faites depuis notre enfance, nous n'en ferions que probablement assurés, puifque l'induction n'eft point un moyen certain de connoître une chofe que quand nous fommes afsûrés que l'induction eft entiere; n'y ayant rien de plus ordinaire que de découvrir la faufleté de ce que nous avions crû vrai fur des inductions qui nous paroiffolent fi generales. qu'on ne s'imaginoit point y pouvoir trouver d'ex ceptions

Ainfi iln'y a pas long-temps qu'on croyoit indubitable que l'eau contenue dans un vaiffeau cour

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bé dont un côté étoit beaucoup plus large que l'autre, fe tenoit toûjours au niveau n'étant pas plus haute dans le petit côté que dans le grand, parce qu'on s'en étoit affûré par une infinité d'obfervations: & néanmoins on a trouvé depuis peu que cela eft faux quand l'un des côtés est extrêmement étroit, parcequ'alors l'eau s'y tient plus haute que dans l'autre côté. Tout cela fait voir que les feules inductions ne nous fauroient donner une certitude entiere d'aucune verité, à moins que nous ne fuffions affûrés qu'elles fuffent generales, ce qui eft impoffible. Et par confequent nous ne ferions que probablement affûrés de la verité de cet axiome, le tout eft plus grand que fa partie, fi nous n'en étions affûrés que pour avoir vû qu'un homme eft plus grand que fa tête, une forêt qu'un arbre, une maison qu'une chambre le ciel qu'une étoile, puifque nous aurions toûjours fujet de douter s'il n'y auroit point quelqu'autre tout auquel nous n'aurions pas pris garde qui ne feroit pas plus grand que fa partie.

Ce n'eft donc point de ces obfervations que nous avons faites depuis notre enfance, que la certitude de axiome dépend; puifqu'au contraire il n'y a rien de plus capable de nous entretenir dans l'erreur, que de nous arrêter à ces préjugés de notre enfance. Mais elle dépend uniquement de ce que les idées claires & diftinctes que nous avons d'un tout & d'une partie enferment clairement, & que le tout eft plus grand que la partie, & que la partie eft plus petite que le tout. Et tout ce qu'ont pu faire les diverfes obfervations que nous avons faites d'un homme plus grand que fa tête, d'une maifon plus grande qu'u ne chambre, a été de nous fervir d'occafion pour faire attention aux idées de tout & de partie. Mais eft abfolument faux qu'elles foient caufe de la

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certitude abfolue & inébranlable que nous avons de la verité de cet axiome, comme je croi l'avoir démontré.

Ce que nous avons dit de cet axiome se peut dire de tous les autres, & ainfi je croi que la certitude & l'évidence de la connoiffance humaine dans les chofes naturelles dépend de ce principe:

Tout ce qui eft contenu dans l'idée claire & difinite d une chofe, se peut affirmer avac verité de cette chose.

Ainfi parcequ'être animal eft enfermé dans l'idée de l'homme, je puis affirmer de l'homme qu'il eft animal; parcequ'avoir tous fes diametres égaux eft enfermé dans l'idée d'un cercle, je puis affirmer de tout cercle, que tous fes diametres font égaux; parcequ'avoir tous fes angles égaux à deux droits, eft enfermé dans l'idée d'un triangle, je le puis affirmer de tout triangle.

Et on ne peut contefter ce principe fans détruire toute l'évidence de la connoiffance hu-' maine, & établir un Pyrrhonifme ridicule. Car nous ne pouvons juger des chofes que par les idées que nous en avons; puifque nous n'avons aucun moyen de les concevoir qu'autant qu'elles font dans notre efprit, & qu'elles n'y font que par leurs idées. Or fi les jugemens que nous formons en confiderant ces idées ne regardoient pas les chofes en elles-mêmes, mais feulement nos penfées; c'est-à-dire, fi de ce que je voi clairement qu'avoir trois angles égaux à deux droits eft enfermé dans l'idée d'un triangle, je n'avois pas droit de conclure que dans la verité tout triangle a trois angles égaux à deux droits; mais feulement que je le pense ainfi, il eft vifible que nous n'aurions aucune connoiffance des chofes; mais feulement de nos penfées: par confequent nous: ne faurions rien des chofes que nous nous perfua

'dons favoir le plus certainement; mais nous faurions feulement que nous les penfons être de telle forte; ce qui détruiroit manifeftement toutes les fciences.

Et il ne faut pas craindre qu'il y ait des hom. mes qui demeurent ferieufement d'accord de cette confequence, , que nous ne favons d'aucune chose fi elle eft vraie ou fauffe en elle-même. Car il y en a de fi fimples & de fi évidentes, comme y Je pense: Donc je fuis: Le tout eft plus grand que Sa partie, qu'il eft impoffible de douter ferieufefi elles font telles en elles-mêmes que nous les concevons. La raifon eft, qu'on ne fauroit en douter fans y penfer, & on ne fauroit y penfer fans les croire vraies, & par confequent on ne fauroit en douter.

ment,

Néanmoins ce principe feul ne fuffit pas pour juger de ce qui doit être reçû pour axiome. Car il y a des attributs qui font veritablement enfermés dans l'idée des chofes qui s'en peuvent néanmoins & s'en doivent démontrer, comme l'égalité de tous les angles d'un triangle à deux droits, ou de tous ceux d'un hexagone à huit droits. Mais il faut prendre garde fi on n'a befoin que de confiderer l'idée d'une chofe avec une attention mediocre., pour voir clairement qu'un tel atribut y eft enfermé, ou fi de plus il eft neceffaire d'y joindre quelqu'autre idée pour s'appercevoir de cette liaifon. Quand il n'eft befoin que de confiderer l'idée, la propofition peut être prife pour axiome, fur-tout fi cette oonfideration ne demande qu'une attention médiocre dont tous les efprits ordinaires foient capables. Mais fi on a befoin de quelqu'autre idée que de l'idée de la chofe, c'eft une propofition qu'il faut démontrer. Ainfi l'on peut donner ces deux regles pour les

axiomes.

I. RE GLE.

Lorfque pour voir clairement qu'un attribut convient à un fujet, comme p ur voir qu'il convient au tout d'être plus grand que fa partie,on n'a besoin que de confiderer les deux idées du sujet & de lattr. but avec une mediocre attention, en jorie qu'on ne le puiffe faire fans s'appercevoir que l'idée de l'attribut eft veritablement enfermée dans l'idée du fujet; on a droit alors de prendre cette propofition pour un axiome qui n'a pas besoin d'être démontré, parcequ'il a de lui-même toute l'évidence que lui pourroit donner la démonftration, qui ne pourroit faire autre chife, finon de montrer que cet attribut convient au sujet en fe f.rvant d'une troifiéme idée pur montrer cette liaison; ce qu'on voit déja fins l'a'de d'aucune troifiéme idée.

Mais il ne faut pas confondre une fimple explication, quand même elle auroit quelque forme d'argument, avec une vraie dèmonftration. Car il y a des axiomes qui ont befoin d'être expliqués pour les mieux faire entendre, quoiqu'ils n'ayent pas befoin d'être démontrés; l'explication n'étant autre chofe que de dire en autres termes & plus au long ce qui eft contenu dans l'axiome, aulieu que la démouftration demande quelque moyen nouveau que l'axiome ne contienne pas claire

ment.

2. REGL E.

Quand la feule confideration des idées du sujet¿ de l'attribut, ne fuffit pas pour voir clairement que Pattribut convient au sujet, la propofition qui l'af firme ne doit point être prife pour axiome; mais elle do têtre démontrée, en fe fervant de quelques au tres idées pour faire voir cette lia fon, comme on se fert de l'idée des lignes paralleles pour montrer que les trois angles dun triangle font ég rux à deux

droits.

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