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Ces deux regles font plus importantes que l'on ne penfe. Car c'eft un des défauts les plus ordinaires aux hommes, de ne fe pas affez confulter eux-mêmes dans ce qu'ils affurent ou qu'ils nient; de s'en rapporter à ce qu'ils en ont oui dire, ou qu'ils ont autrefois penfé, fans prendre garde à ce qu'ils en penferoient eux-memes s'ils confide roient avec plus d'attention ce qui fe paffe dans leur efprit; de s'arrêter plus au fon des paroles qu'à leurs veritables idées; d'affûrer comme clair& évident ce qu'il leur eft impoffible de concevoir, & de nier comme faux ce qu'il leur feroit impoffi ble de ne pas croire vrai, s'ils vouloient prendre la peine d'y penfer ferieufement.

Par exemple, ceux qui difent que dans un mor ceau de bois, outre fes parties & leur fituation, leur figure, leur mouvement ou leur repos, & les pores qui fe trouvent entre ces parties, il y a encore une forme fubftancielle diftinguée de tout cela, croient ne rien dire qué de certain : & cependant ils difent une chofe que ni eux ni perfonne n'a jamais comprife, & ne comprendra jamais.

Que fi au-contraire on leur veut expliquer les effets de la nature par les parties infenfibles dont les corps font compofés, & par leur differente fituation, grandear, figure, mouvement ou repos, & par les pores qui fe trouvent entre ces parties, & qui donnent ou ferment le paffage à d'autres matieres, ils croient qu'on ne leur dit que des chifmeres, quoiqu'on ne leur dife rien qu'ils ne conçoivent très-facilement. Et même par un renverement d'efprit affez étrange, la facilité qu'ils out à concevoir ces chofes les porte à croire que ce ne font pas les vraies caufes des effets de la nature, mais qu'elles font plus myfterieufes & plus cachées de forte qu'ils font plus difpofés croire ceux qui les leur expliquent par des prin

cipes qu'ils ne conçoivent point, que ceux qui se fe fervent que de principes qu'ils entendent.

Et ce qui eft encore affez plaifant, eft que quand on leur parle de parties infenfibles, ils croient être bien fondés à les rejetter, parcequ'on ne peut les leur faire voir ni toucher : & cependant ils fe contentent de formes fubftancielles, de pefanteur, de vertu attractive, &c. que non feulement ils ne peuvent voir ni toucher; mais qu'ils ne peuvent même concevoir.

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Quelques axiomes importans qui peuvent fervir de principes à de grandes verités.

Tout le monde demeure d'accord qu'il eft important d'avoir dans l'efprit plufieurs axiomes & principes, qui étant clairs & indubitables puiffent nous fervir de fondement pour connoître les chofes les plus cachées. Mais ceux que l'on donne ordinairement font de fi peu d'ufage, qu'il eft affez inutile de les favoir. Car ce qu'il appellent le premier principe de la connoiffance; Il eft impoffible que la même chose foit & ne soit pas, eft très-clair & très-certain; mais je ne voi point de rencontre où il puiffe jamais fervir à nous don ner aucune connoiffance. Je croi donc que ceux-ci pourront être plus utiles. Je commencerai par celui que nous venons d'expliquer. I Axiome.

Tout ce qui eft renfermé dans l'idée claire diftincte d'une chose, en peut être affirmé avec verité.

2. Axiome.

L'ex ftance, au moins possible, eft enfermée

dans l'idée de tout ce que nous concevons clairement & diftincement..

Car dès-là qu'une chofe eft conçue clairement, nous ne pouvons pas ne la point regarder commé pouvant être ; puifqu'il n'y a que la contradiction qui fe trouve entre nos idées, qui nous fait croire qu'une chofe ne peut être. Ot il ne peut y avoir contradiction dans une idée, lorfqu'elle eft claire & diftincte.

3. Axiome.

Le néant ne peut être caufe d'aucune chofe. 11 naît d'autres axiomes de celui-ci, qui en peuvent être appellés des Corollaires, tels que font les fui

vans.

4. Axiome, ou 1. Corollaire du 3.

Aucune chofe,ni aucune perfection de cette cho fe actuellement exiftante ne peut avoir le néant ou une chofe non existante puur la cause de fon existence.

5. Axiome, ou 2. Corollaire du 3.

Toute la real té ou perfection qui eft dans une chofe fe rencontre formellement ou éminemment dans fa caufe premiere & totale.

6. Axiome, ou 3. Corollaire du 3.

Nul corps ne peut mouvoir foi-même, c'eft-àdire, fe donner le mouvement n'en ayant point,

2.

Ce principe eft fi évident naturellement, que c'eft ce qui a introduit les formes fubftancielles & les qualités réelles de pefanteur & de legereté: Car les Philofophes voyant d'une part qu'il étoit impoffible que ce qui devoit être mû fe mût foimême, & s'étant fauffement perfuadés de l'autre qu'il n'y avoit rien hors la pierre qui pouffat en bas une pierre qui tomboit, ils fe font cru obligés de diftinguer deux chofes dans une pierre, la matiere qui recevoit le mouvement, & la forme fubftancielle aidée de l'accident de la

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pefanteur qui le donnoit, ne prenant pas garde, ou qu'ils tomboient par-là dans l'inconvenient qu'ils vouloient éviter, fi cette forme étoit ellemême materielle, c'est-à-dire, une vraie matiere, ou que fi elle n'étoit pas matiere, ce devoit être une fubftance qui en fût réellement distincte : ce qu'il leur étoit impossible de concevoir clairement, à moins que de la concevoir comme un esprit, c'està-dire, une fubftance qui penfe, comme est veritablement la forme de l'homme, & non pas de tous les autres corps.

celle

7. Axiome, ou 4. Corollaire du 3. Nul corps n'en peut mouvoir un autre s'il n'sf mú lui-même. Car fi un corps étant en repos ne fe peut donner le mouvement à foi-même, il le peut encore moins donner à un autre corps.

8. Axiome.

On ne doit pas nier ce qui eft clair & évident, pour ne pouvoir comprendre ce qui est obscur. 9. Axiome.

Il eft de la nature d'un efprit fini de ne pouvoir comprendre l'infin'.

10. Axiome.

Le témoignage d'une perfonne infiniment puif fante, infiniment fage, infiniment bonne, & infiniment veritable, doit avoir plus de force pour perfuader notre efprit, que les raifons les plus convaincantes.

Car nous devons être plus affûrés que celui qui eft infiniment intelligent ne fe trompe pas, & que celui qui eft infiniment bon ne nous trompe pas, que nous ne fommes affurés que nous ne nous trompons pas dans les chofes les plus claires.

Ces trois derniers axiomes font le fondement de la foi, de laquelle nous pourrons dire quelque chofe plus bas.

11. Axiome.

11. Axiome.

Les faits dont les fens peuvent juger facilement, étant atteftés par un très-grand nombre de perfonnes de divers temps, de diverfes nations, de divers interêts, qui en parlent comme les fachant par eux-mêmes, & qu'on ne peut soupçonner d'a➡ voir confpiré ensemble pour appuyer un mensonge, doivent paffer pour aussi conftans & indubitables que fi on les avoit vûs de fes propres yeux.

C'eft le fondement de la plupart de nos connoiffances, y ayant infiniment plus de chofes que nous favons par cette voie, que ne font celles que

nous favons par nous-mêmes.

CHAPITRE VIII.

Des regles qui regardent les démonstrations.

U

Ne vraie démonftration demande deux chofes: l'une, que dans la matiere il n'y air rien que de certain & indubitable: l'autre, qu'il n'y ait rien de vicieux dans la forme d'argumenter. Or on aura certainement l'un & l'autre, fi l'on obferve les deux regles que nous avons pofées.

Car il n'y aura rien que de veritable & de certain dans la matiere, fi toutes les propofitions qu'on avancera pour fervir de preuves, font:

Ou les définitions des mots qu'on aura expliqués, qui étant arbitraires ne peuvent être conte

ftées.

Ou les axiomes qui auront été accordés, & que l'on n'a point dû fuppofer s'ils n'etoient clairs & évidens d'eux-mêmes par la 3. regle.

Ou des propofitions déja démontrées, & qui par confequent font devenues claires & évidentes. la démonftration qu'on en a faite.

R

par

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