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mede a établi fes plus belles démonstrations fur cet axiome: Que fi deux lignes fur le même plan ont les extermités communes; & font courbées vers la même part, celle qui eft contenue fera moir dre que celle qui la contient.

J'avoue que ce défaut de prouver ce qui n'a pas befoin de preuve, ne paroît pas grand, & qu'il ne l'eft pas auffi en foi; mais il l'eft beaucoup dans les fuites, parceque c'eft de là que naît ordinairemment le renversement de l'ordre naturel dont nous parlerons plas bas; cette envie de prouver ce qui devoit être fuppofé comme clair & évident de foi-même, ayant fouvent obligé les Géometres de traiter des chofes pour fervir de preuve à ce qu'ils n'auroient point du prouver, qui ne devroient être traitées, qu'après, felon l'ordre de la nature.

III. DEFAUT.

Démonftration par l'impoffible.

Ces fortes de démonftrations qui montrent qu'une chofe eft telle, non par fes principes, mais par quelque abfurdité qui s'enfuivroit fi elle étoit autrement, font très- ordinaires dans Euclide. Cependant il eft vifible qu'elles peuvent convaincre P'efprit, mais qu'elles ne l'éclairent point, ce qui doit être le principal fruit de la fcience. Car notre efprit n'eft point fatisfait, s'il ne fait non feulement que la chofe eft, mais pourquoi elle eft ; ce qui ne s'apprend point par une démonftration qui reduit à l'impoffible.

Ce n'eft pas que ces démonftrations foient tout à fait à rejetter: Car on s'en peut quelquefois fervir pour prouver des negatives qui ne font proprement que des corollaires d'autres propofitions, ou claires d'elles-mêmes, ou démontrées auparavant par une autre voie. Et alors cette forte de démonftration, en reduifant à l'impoffible, tient

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plutôt lieu d'explication que d'une démonftration nouvelle.

Enfin on peut dire que ces démonftrations ne font recevables que quand on n'en peut donner d'autres, & que c'eft une faute de s'en fervir pour prouver ce qui fe peut prouver pofitivement. Or il y a beaucoup de propofitions dans Euclide qu'il ne prouve que par cette voie, qui fe peuvent prouver autrement fans beaucoup de difficulté.

IV. DEF AUT.

Démonftrations tirées par des voies trop éloi

gnées.

Ce défaut eft très-commun parmi les Géometres. Ils ne fe mettent pas en peine d'où les preu ves qu'ils apportent foient prifes, pourvû qu'elles foient convaincantes. Et cependant ce n'eft que prouver les chofes très-imparfaitement, que de les prouver par des voies étrangeres, d'où elles ne dépendent point felon leur nature.

C'eft ce qu'on comprendra mieux par quelques exemples. Euclide, liv. . propof. s. prouve qu'un triangle ifocèle a les deux angles fur la base égaux en prolongeant également les côtés du triangle, & faifant de nouveaux triangles qu'il compare les uns avec les autres.

Mais n'eft-il pas incroyable qu'une chofe auffi facile à prouver que l'égalité de ces angles ait befoin de tant d'artifice pour être prouvée, comme s'il y avoit rien de plus ridicule, que de s'imaginer que cette égalité dépendît de ces triangles étrangers; au lieu qu'en fuivant le vrai ordre il y a plufieurs voies très-faciles, très-courtes & trèsnaturelles pour prouver cette même égalité.

I.

La 47. du 1. livre, où il eft prouvé que le quarré de la bafe qui foûtient un angle droit, eft égal aux deux quarrés des côtés, eft une des plus eftimées propofitions d'Euclide. Et néanmoins il eft affez

lair que la maniere dont elle y eft prouvée n'eft point naturelle, puifque l'égalité de ces quarrés ne dépend point de l'égalité des triangles qu'on prend pour moyen de cette démonstration, mais de la proportion des lignes qu'il eft aifé de démontrer, fans fe fervir d'aucune autre ligne que de la perpendiculaire du fommet de l'angle droit fur la bafe.

Tout Euclide eft plein de ces démonstrations par des voies étrangeres.

V. DE FAU T.

N'avoir aucun foin du vrai ordre de l'a na

ture.

C'eft ici le plus grand défaut des Géometres Ils fe font imaginés qu'il n'y avoit prefque aucun ordre à garder, fmmon que les premieres pro-pofitions puffent fervir à démontrer les fuivantes. Et ainfi, fans fe mettre en peine des regles de la ve→ ritable methode, qui eft de commencer toujours par les chofes les plus fimples & les plus generales, pour paffer enfuite aux plus compofées & aux plus particulieres, ils brouillent toutes chofes, & traitent pele-mêle les lignes & les furfaces, les triangles & les quarrés: prouvent par des figures les proprietés des lignes fimples, & font une infinité d'autres renversemens qui défigurent cette belle fcience.

Les élemens d'Euclide font tous pleins de ce défaut. Après avoir traité de l'étendue dans les quatre premiers livres, il traite generalement. des proportions de toutes fortes de grandeurs dans le cinquiéme. I reprend l'étendue dans le fixié me; & traite des nombres dans les feptiémes huitiéme & neuviéme, pour recommencer au dixiéme à parler de l'étendue. Voilà pour le defor dre general: Mais il eft encore rempli d'une infi mité d'autres particuliers. Il commence le premier

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livre par la conftruction d'un triangle équilatere& 22. propofitions après, il donne le moyen general de faire tout triangle de trois lignes droites données, pourvû que les deux foient plus grandes qu'une feule, ce qui emporte la conftruction particuliere d'un triangle équilatere fur une ligne donnée.

Il ne prouve rien des lignes perpendiculaires & 'des paralleles que par des triangles. Il mêle la dimenfion des furfaces à celle des lignes.

Il prouve livre L. propofition 16. que le côté d'un triangle étant prolongé, l'angle exterieur eft plus grand que l'un ou l'autre des oppofés interieure→ ment, & 16. propofitions plus bas, il prouve que cet angle exterieur eft égal aux deux opposés.

Il faudroit tranfcrire tout Euclide pour donner tous les exemples qu'on pourroit apporter de cedefordre.. VI. DEFAUT.

Ne fe point fervir de divifions de partitions. C'est encore un autre défaut dans la methode des Géomettres, de ne fe point fervir de divifions & de partitions. Ce n'eft pas qu'ils ne marquent toutes les efpeces des genres qu'ils traitent ; mais c'eft fimplement en définiffant les termes, & metrant toutes les définitions de fuite, fans marquer qu'un genre a tant d'efpeces, & qu'il n'en peut pas avoir davantage, parceque l'idée generale du genre ne peut recevoir que tant de differences: ce qui donne beaucoup de lumiere pour penetrer la nature du genre & des efpeces.

Par exemple on trouvera dans le 1. livre d'Eu→ elide les définitions de toutes les efpeces de triangles. Mais qui doute que ce ne fût une chofe bien plus claire de dire ainfi ?

Le triangle fe peut diviser felon les côtés, ou felon les angles.

Car les côtés font

ou

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tous égaux, & il s'appelle

Equilatere

Scalene,

deux feulement égaux & il s'appelle focele.
tous trois inégaux, & il s'appelle
Les Angles font.

Stous trois aigus, & il s'appelle Oxigone.
{tous feois &,

ou

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droit; & il s'appelle
obtus, & il s'appelle

Rectangle Amblygone

Il est même beaucoup mieux de ne donner cette divifion du triangle, qu'après avoir expliqué & démontré toutes les proprietés du triangle en general, d'où l'on aura appris qu'il faut neceffairement que deux angles, au moins, du triangle foient aigus, parceque les trois ensemble ne fauroient valoir plus de deux droits.

Ce défaut retombe dans celui de l'ordre, qui ne voudroit point qu'on traitât, ni même qu'on définit les efpeces qu'après avoir bien connu le genre, fur-tout quand il y a beaucoup de chofes à dire du genre qui peut être expliqué fans parler des efpeces.

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Réponse à ce que difent les Geometres fur ce fujet.

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en

Ly a des Géomètres qui croient avoir juftifié ces défauts, en difant qu'ils ne fe mettent pas en peine de cela qu'il leur fuffit de ne rien dire qu'ils ne prouvent d'une maniere convaincante; & qu'ils font par-là affûrés d'avoir trouvé la verité, qui est leur unique but.

On avoue auffi que ces défauts ne font pas fi confiderables, qu'on ne foit obligé de reconnoître, que de toutes les fciences humaines, il n'y en ai point qui ayent été mieux traitées que celles

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