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La foi humaine eft de foi-même fujette à erreur, parceque tout homme eft menteur, felon l'Ecriture, & qu'il fe peut faire que celui qui nous afsûrera une chofe comme veritable, fera lui-même trompé. Et néanmoins, ainfi que nous avons déja marqué cy-deffus, il y a des chofes que nous ne connoiffons que par une foi humaine, que nous devons tenir pour auffi certaines & auffi indubitables, que fi nous en avions des démonftrations mathématiques, comme ce que l'on fait par une relation conftante de tant de perfonnes, qu'il eft moralement impoffible qu'elles euffent pú confpirer enfemble pour assurer la même chofe, fi elle n'étoit vraie. Par exemple, les hommes ont affez de peine naturellement à concevoir qu'il y ait des antipodes: cependant quoique nous n'y ayons pas été, & qu'ainfi nous n'en fachions rien que par une foi humaine, il faudroit être fou pour ne le pas croire: & il faudroit de même avoir perdu le fens pour douter fi jamais Cefar, Pompée, Ciceron, Virgile ont été, & fi ce ne font point des perfonnages feints, comme ceux des

Amadis.

Il est vrai qu'il eft fouvent affez difficile de marquer précisément quand la foi humaine eft parvenue à cette certitude, & quand elle n'y eft pas encore parvenue. Et c'eft ce qui fait tomber les hommes en deux égaremens oppofés: dont Fun eft de ceux qui croient trop legerement fur les moindres bruits, & l'autre, de ceux qui mettent ridiculement la force de l'efprit à ne pas croi re les chofes les mieux attestées, lorfqu'elles choquent les préventions de leur efprit. Mais on peut néanmoins marquer de certaines bornes qu'il faut avoir paffées pour avoir cette certitude humaine, & d'autres au-delà defquelles on l'a certainement, en laiffant un milieu entre ces deux

fortes de bornes, qui approche plus de la cer titude ou de l'incertitude, felon qu'il approche plus des unes ou des autres.

Que fi on compare enfemble les deux voies generales qui nous font croire qu'une chose eft, la raifon & la foi : il eft certain que la foi fuppofe toûjours quelque raifon : Car, comme dit faint Auguftin dans fa lettre 122. & en beaucoup d'autres lieux, nous ne pourrions pas nous porter à croire ce qui eft au-deffus de notre raison, fi la raison même ne nous avoit perfuadé qu'il y a des chofes que nous faifons bien de croire, quoique nous ne foyons pas encore capables de les comprendre. Ce qui eft principalement vrai à l'égard de la foi divine, parceque la vraie rai fon nous apprend que Dieu étant la verité même, il ne nous peut tromper en ce qu'il nous revele de fa nature ou de fes mysteres. D'où il paroît qu'encore que nous foyons obligés de capti ver notre entendement pour obéir à JESUSCHRIST, comme dit faint Pan, nous ne le faifons pas néanmoins aveuglément & déraisonnablement, ce qui eft l'origine de toutes les fauffes Religions; mais avec connoiffance de cause, & parceque c'eft une action raifonnable que de fe captiver de la forte fous l'autorité de Dieu, lorfqu'il nous a donné des preuves suffisantes, comme font les miracles & autres évenemens prodigieux, qui nous obligent de croire que c'eft lui-même qui a découvert aux hommes les veriτές que nous devons croire.

Il eft certain en fecond lieu que la foi divine doit avoir plus de force fur notre esprit que notre propre raifon. Et cela par la raifon même qui, nous fait voir qu'il faut toujours preferer ce qui eft plus certain à ce qui l'eft moins,& qu'il eft plus certain que ce que Dieu dit eft veritable, que ce

que notre raifon nous perfuade, parceque Dieu eft plus incapable de nous tromper que notre raifor d'être trompée.

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Néanmoins à confiderer les choses exactement jamais ce que nous voyons évidemment & par la raifon, ou par le fidelle rapport des fens, n'eft oppofé à ce que la foi divine nous enfeigne. Mais ce qui fait nous le que croyons, eft nous ne que prenons pas garde à quoi fe doit terminer l'évidence de notre raifon & de nos fens. Par exemple, nos fens nous montrent clairement dans I'Euchariftie de la rondeur & de la blancheur : mais nos fens ne nous apprennent point fi c'eft la fubftance du pain qui fait que nos yeux y apperçoivent de la rondeur & de la blancheur, & ainfi la foi n'eft point contraire à l'évidence, de nos fens, lorfqu'elle nous dit que ce n'eft point la fubftance du pain qui n'y eft plus, ayant été changée au Corps de JESUS-CHRIST par le myftere de la Tranffubftantiation, & que nous n'y voyons plus que les efpeces & les apparences du pain qui demeurent, quoique la fubftance n'y foit plus.

Notre raifon de même nous fait voir qu'un feul corps, n'eft pas en même temps en divers lieux ni deux corps en un même lieu; mais cela fe doit entendre de la condition naturelle des corps: parceque ce feroit un défaut de raifon de s'imaginer que notre efprit étant fini il pût comprendre jufqu'où peut aller la puiffance de Dieu qui eft infinie. Et ainfi lorfque les héretiques, pour détruire les myfteres de la foi, comme la Trinité, l'Incarnation, & l'Euchariftic oppofent des prétendues impoffibilités qu'ils tirent de la raifon, ils s'éloignent en cela même vifiblement de la raison, en prétendant pouvoir comprendre par leur efprit l'étendue infini de la puiffance de Dieu. C'est pourquoi il

fuffit de répondre à toutes ces objections ce que faint Auguftin dit fur ce fujet même de la penetration des corps, fed nova funt, fed infoluta funt, fed contra natura curfum notissimum funt, quia magna, quia mira, quia divina, & ed magis vera, certa, firma.

CHAPITRE XIIL

Quelques regles pour bien conduire fa raison dans la creance des évenemens qui dépendent de la foi bumaine.

L'Ulage le plus ordinaire du bon fens, & de cette puiffance de notre ame, qui nous fait difcerner le vrai d'avec le faux, n'eft pas dans les fciences fpeculatives, aufquelles il y a fi peu de perfonnes qui foient obligées de s'appliquer : mais il n'y a gueres d'occafion où on l'employe plus fouvent, & où elle foit plus neceffaire, que dans le jugement que l'on porte de ce qui fe paffe tous les jours parmi les hommes.

Je ne parle point du jugement que l'on fait f une action eft bonne ou mauvaise,digne de louange ou de blâme, parceque c'eft à la morale à le regler, mais feulement de celui que l'on ports touchant la verité ou la faufseté des évenemens humains, ce qui feul peut regarder la Logique, foit qu'on les confidere comme paffés, comme lorfqu'il ne s'agit que de favoir fi on les doit croire ou ne les pas croire; ou qu'on les confidere dans le temps à venir comme lorsqu'on apprehende qu'ils n'arrivent, ou qu'on espere qu'ils arriveront, ce qui regle nos craintes & nos efperances.

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Il eft certain qu'on peut faire quelques refle

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ions fur ce fujet, qui ne feront pent-être pas anutiles, & qui pourront au-moins fervir à éviter des fautes où plufieurs perfonnes tombent pour n'avoir pas affez confulté les regles de la raifon.

La premiere reflexton eft, qu'il faut mettre une extrême difference entre deux fortes de verités a les unes qui regardent feulement la nature des chofes & leur effence immuable indépendamment de leur existance, & les autres qui regardent les chofes exiftantes, & fur-tout les évenemens humains & contingens, qui peuvent être & n'être pas quand il s'agit de l'avenir, & qui pouvoient n'avoir pas été quand il s'agit du paffé. J'entens tout ceci felon leurs caufes prochaines, en faifant abstraction de leur ordre immuable dans la providence de Dieu; parceque d'une part il n'empêche point la contingence, & que de l'autre ne nous étant pas connu, il ne contribue rien à nous faire croire les choses.

Dans la premiere forte de verités, comme tout y eft neceffaire, rien n'eft vrai qu'il ne foit univerfellemene vrai: & ainfi nous devons conclure qu'une chofe eft fauffe, fi elle eft fauffe en un feul

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cas.

Mais fi on penfe fe fervir des mêmes regles dans la croyance des évenemens humains, on n'en jugera jamais que fauffement, fi ce n'eft par hazard, & on y fera mille faux raifonnemens.

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Car ces évenemens étant contingens de leur nature, il feroit ridicule d'y chercher une verité neceffaire, & ainfi un homme feroit tout-à fait deraisonnable qui n'en voudroit croire aucun, que quand on lui auroit fait voir qu'il feroit abfolument neceffaire que la chofe fe fût paffée de la

forte.

Et il ne feroit pas moins déraisonnable, s'il me vouloit obliger d'en croire quelqu'un, comme fe

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