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roit la converfion du Roi de la Chine à la Refigion Chrétienne, par cette feule raifon que cela n'eft pas impoffible. Car une autre qui m'affûreroit du contraire fe pouvant fervir de la même raifon, il eft clair que cela feul ne pourroit pas me déterminer à croire l'un plutôt que l'autre.

Il faut donc pofer pour une maxime certaine & indubitable dans cette rencontre, que la feule poffibilité d'un évenement n'eft pas une raison fuffifante pour me le faire croire; & que je puis auffi avoir raifon de le croire, quoique je ne juge pas impoffible que le contraire foit arrivé: de forte que de deux évenemens je pourrai avoir raison de croire l'un & de ne pas croire l'autre, quoique je les croye tous deux poffibles.

Mais par où me déterminerai-je donc à croire l'un plutôt que l'autre, fi je les juge tous deux poffibles: Ce fera par cette maxime.

Pour juger de la verité d'un évenement, & me déterminer à le croire ou à ne le pas croire, il ne le faut pas confiderer nûment & en lui-même, comme on feroit une propofition de Geometrie: mais il faut prendre garde à toutes les circonftances qui l'accompagnent, tant interieures qu'exterieures. J'appelle circonftances interieures celles qui appartiennent au fait même, & exterieures celles qui regardent les perfonnes par le témoignage defquelles nous femmes portés à le croire. Cela étant fait, fi toutes ces circonftances font telles qu'il n'arrive jamais, ou fort rarement, que de reilles circonstances foient accompagnées de fauffeté, notre efprit fe porte naturellement à croire que cela eft vrai, & il a la raifon de le faire; furtout dans la conduite de la vie, qui ne demande pas une plus grande certitude que cette certitude morale, & qui fe doit même contenter en plafeurs rencontres de la plus grade probabilité.

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Que fi au-contraire ces circonftances ne font pas telles qu'elles ne fe trouvent fort fouvent avec la fauffeté, la raison veut ou que nous demeurions en fufpens, ou que nous tenions pour faux ce qu'on nous dit quand nous ne voyons aucune apparence que cela foit vrai encore que nous n'y voyions pas une entiere impoffibilité.

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On demande, par exemple, fi l'hiftoire du batême de Conftantin par S. Sylveftre eft vraie ou fauffe. Baronius la croit vraie; le Cardinal du Perron, 1'Evêque Sponde, le P. Petau, le P. Morin, & les plus habiles gens de l'Eglife la croient fauffe. Si on s'arrêtoit à la feule poffibilité, on n'auroit pas droit de la rejetter. Car elle ne contient rien d'abfolument impoffible; & il eft même poffible, abfolument parlant, qu'Eufebe qui témoigne le contraire ait voulu mentir pour favorifer les Ariens, & que les Peres qui l'ont fuivi ayent été trompés par fon témoignage. Mais fi on fe fert de la vegle que nous venons d'établir, qui eft de confiderer quelles font les circonftances de l'un ou de l'autre Batême de Conftantin, & qui font celles qui ont plus de marques de verité, on trouvera que ce fons celles du dernier. Car d'une part il n'y a pas grand fujet de s'appuyer fur le témoignage d'un Ecrivain auffi fabuleux qu'eft l'Auteur des Actes de faint Sylveftre, qui eft le feul Ancien qui ait parlé du batême de Conftantin à Rome; & de l'autre il n'y a aucune apparence qu'un homme auffi habile qu'Eufebe eût ofé mentir en rapportant une chose auffi celebre qu'étoit le Batême du premier Empereur qui avoit rendu la liberté à l'Eglife, & qui devoit être connue de toute la terre, lorfqu'il l'éerivoit, puifque ce n'étoit que quatre ou cinq ans après la mort de cet Empereur.

Il y a neanmoins une exception à cette regle, dans laquelle on fe doit contenter de la poffibi

bilité & de la vraisemblance. C'eft quand un fait qui eft d'ailleurs fuffisamment attesté, est combattu par des inconveniens & des contrarietés apparentes avec d'autres hiftoires. Car alors il fufit que les folutions qu'on apporte à ces contrarietés foient poffibles & vraisemblables; & c'eft agir contre la raison que d'en demander des preuves pofitives, parceque le fait en foi étant suffisamment prouvé, il n'eft pas jufte de demander qu'on en prouve de la même forte toutes les circonftances. Autrement on pourroit douter de mille hiftoires très-affûrées, qu'on ne peut accorder avec d'autres qui ne le font pas moins, que par des conjectures, qu'il eft impoffible de prouver pofi

tivement.

On ne fauroit, par exemple, accorder ce qui eft rapporté dans les Livres des Rois & dans ceux des Paralipomenes des années des regnes de divers Rois de Juda, & d'Ifraël, qu'en donnant à quelques-uns de ces Rois deux commencemens de regne, l'un du vivant de leurs peres, & l'autre après leur mort. Que fi on demande quelle preuve on a qu'un tel Roi ait regné quelque temps avec fon pere, il faut avouer qu'on n'en a point de pofitive; mais il fuffit que ce foit une chofe poffible, & qui eft arrivée affez fouvent en d'autres rencontres, pour avoir droit de la fuppofer comme une circonftance neceffaire pour allier des histoires d'ailleurs très-certaines.

C'eft pourquoi il n'y a rien de plus ridicule que les efforts qu'ont fait quelques heretiques de ce dernier fiecle pour prouver que faint Pierre n'a jamais été à Rome. Ils ne peuvent nier que cette verité ne foit atteftée par tous les Auteurs Ecclefiaftiques, & même les plus anciens, comme Papias, S. Denis de Corinthe, Caïus, S. Irenée, Tertullien, fans qu'il s'en trouve aucun qui l'ait

nié,

nié. Et néanmoins ils s'imaginent la pouvoir ruiner par des conjectures, comme par exemple, que faint Paul ne fait pas mention de faint Pierre dans fes Epitres écrites de Rome; & quand on leur répond que faint Pierre pouvoit être alors hors de Rome, parcequ'on ne prétend pas qu'il y ait été tellement attaché, qu'il n'en foit fouvent forti pour aller prêcher l'Evangile en d'autres lieux, ils repliquent que cela fe dit fans preuve; ce qui eft impertinent, parceque le fait qu'ils contestent étant une des verités les plus affûrées de l'histoire Ecclefaftique, c'eft à ceux qui le combattent de faire voir qu'il contient des contrarietés avec l'Ecriture, & il fuffit à ceux qui le foutiennent de refoudre ces prétendues contrarietés, comme on fait celles de l'Ecriture même, à quoi nous avons montré que la poffibilité fuffifoit

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A regle qui vient d'être expliquée eft fans très-importante pour la

raifon dans la créance des faits particuliers; & faute de l'observer, on eft en danger de tomber en des extremités dangereufes de credulité & d'in credulité.sk 997

Car il y en a par exemple, qui feroient confcience. de douter d'aucun miracle, parcequ'ils fe font mis dans l'efprit qu'ils feroient obligés de douter de tous s'ils doutoient d'aucuns, & qu'ils fe perfuadent que ce leur eft affez de favoir que tout eft poffible à Dieu, pour croire tout ce qu'on jeur dit des effets de fa Toute-puiflance.

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D'autres au-contraire s'imaginent ridiculement qu'il y a de la force d'efprit de douter de tous les miracles, fans en avoir d'autre raifon, finon qu'on en a fouvent raconté qui ne fe font pas trouvés veritables, & qu'il n'y a pas plus de fujet de croire les uns que les autres.

La difpofition des premiers eft bien meilleure que celle des derniers; mais il eft vrai néanmoins que les uns & les autres raisonnent également mal.

Ils fe jettent de part & d'autre fur les lieux communs. Les premiers en font fur la puiffance & fur la bonté de Dieu, fur les miracles certains qu'ils apportent pour preuve de ceux dont on doute, & fur l'aveuglement des libertins, qui ne veu lent croire que ce qui eft proportionné à leur raifon. Tout cela eft fort bon en loi, mais très-foi, ble pour nous perfuader d'un miracle en particu lier puifque Dieu ne fait pas tout ce qu'il peut faire que ce n'eft pas un argument qu'un miracle foit arrivé, de ce qu'il en eft arrivé de semblables en d'autres occafions ; & qu'on peut être fort bien difpofé à croire ce qui eft au-deffus de la rai fon, fans être obligé de croire tout ce qu'il plaît aux hommes de nous raconter comme étant audeffus de la raison.

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Les derniers font des lieux communs d'une auBre forte: La verité ( dit l'un d'eux) & le menJonge ont leurs vifages conformes, le port, le goût, & les allures pareilles; nous les regard ons de même œil. J'ai vu la naissance de plusieurs miracles de mon temps. Encore qu'ils s'étouffent en naiffant, nous ne laiffons pas de prévoir le train qu'ils euffent pris s'ils eussent vécu leur âge. Car il n'eft que de trouver le bout du fil, on devuide tant qu'on veut, & il y a plus loin de rien à la plus petite chofe du monde, qu'il n'y a dé cellelà jusqu'à la plus grande. Or les premiers qui fant

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