Images de page
PDF
ePub

LA

LOGIQUE,

OU

L'ART DE PENSER

A Logique eft l'art de bien conduire fa raifon dans la connoiffance des chofes, tant pour s'inftruire foi-même, que pour en inftruire les autres.

Cet art confifte dans les reflexions que les hommes ont faites fur les quatre principa les operations de leur efprit, concevoir, juger, raisonner & ordenner.

On appelle concevoir, la fimple vûe que nous avons des chofes qui fe préfentent à notre efprit comme lorfque nous nous reprefentons un foleil, une terre, un arbre, un rond, un quarré, la penfée, l'ètre, fans en former aucun jugement exprès. Et la forme par laquelle nous nous reprefentons ces chofes, s'appelle idée.

On appelle juger, l'action de notre efprit, par laquelle joignant enfemble diverfes idées, il affirme de l'une quelle eft l'autre, ou nie de l'une quelle foit l'autre, comme lorfqu'ayant l'idée de la terre, & l'idée du rond, j'affirme de la terre qu'elle eft ronde, ou je nie qu'elle foit ronde.

A

On appelle raisonner, l'action de notre efprit; par laquelle il forme un jugement de plufieurs autres; comme lorfqu'ayant jugé que la veritable vertu doit être rapportée à Dieu, & que la vertu des payens ne lui étoit pas rapportée, il en con clut que la vertu des payens n'étoit pas une veri

table vertu.

On appelle ici ordonner, l'action de l'efprit; par laquelle ayant fur un même fujet, comme fur le corps humain, diverfes idées, divers jugemens, & divers raifonnemens, il les difpofe en la maniere la plus propre pour faire connoître ce fujet. C'est ce qu'on appelle encore methode.

Tout cela fe fait naturellement, & quelquefois mieux par ceux qui n'ont appris aucune regle de la Logique, que par ceux qui les ont apprifes.

Ainfi cet art ne confifte pas à trouver le moyen de faire ces operations, puifque la nature feule nous les fournit, en nous donnant la raison; mais à faire des reflexions fur ce que la nature nous fait faire, qui nous fervent à trois choses.

La premiere eft, d'être affûrés que nous usons bien de notre raison, parceque la confideration de la regle nous y fait faire une nouvelle atten

tion.

&

La feconde eft, de découvrir & d'expliquer plus facilement l'erreur ou le défaut qui fe peut ren contrer dans les operations de notre efprit. Car il arrive fouvent que l'on découvre par la feule lumiere naturelle, qu'un raifonnement eft faux, qu'on ne découvre pas neanmoins la raifon pourquoiqu'il eft faux, comme ceux qui ne favent pas la peinture peuvent être choqués du défaut d'un tableau, fans pouvoir neanmoins expliquer quel eft ce défaut qui les choque."

La troifiéme eft, de nous faire mieux connoîre la

mature de notre efprit par les reflexions que nous faifons far fes actions. Ce qui eft plus excellent en foi, quand on n'y regarderoit que la feule fpeculation, que la connoiffance de toutes les chofes corporelles, qui sont infiniment au-dessous des fpirituelles.

Que fi les reflexions que nous faifons fur aes penfées n'avoient jamais regardé que nous-mêmes, il auroit fuffi de les confideter en elles-mêmès, fans les revêtir d'aucunes paroles, ni d'aucuns autres figues; mais parceque nous ne pouvons faire entendre nos penfées les uns aux autres, qu'en les accompagnant de fignes exterieurs & que même cette accoûtumance eft fi forte, que quand nous penfons feuls, les chofes ne se préfentent à notre efprit qu'avec les mots dont nous avons accoûtumé de les revêtir en parlant aux autres: il eft neceffaire dans la Logique de confi derer les idées jointes aux mots, & les mots joints aux idées.

De tout ce que nous venons de dire, il s'enfuit que la Logique peut être divifée en quatre parties, felon les diverfes reflexions que l'on fait fur ces quatre operations de l'efprit.

PREMIERE PARTIE.

Contenant les Reflexions fur les idées ou fur la premiere action de l'esprit, qui s'appelle concevoir.

Omme nous ne pouvons avoir aucune connoiffance de ce qui eft hors de nous que par l'entremife des idées qui font en nous les reflexions , l'on peut faire fur nos idées, font peut-être ce qu'il y a de plus important dans la Logique, parceque c'eft le fondement de tout le refte.

que

On peut reduire ces reflexions à cinq chefs, felon les cinq manieres dont nous confidererons les idées.

La 1. Selon leur nature & leur origine,

La 2. Selon la principale difference des objets qu'elles reprefentent.

La 3. Selon leur fimplicité ou compofition; où nous traiterons des abftractions & précifions d'efprit.

La 4. Selon leur étendue ou reftriction, c'est-àdire, leur univerfalité, particularité, fingula

rité.

Las. Selon leur clarté & obscurité, ou diftins tion & confufion.

L

CHAPITRE I.

Des idées felon leur nature & leur origine.

E mot d'idée eft du nombre de ceux qui font fi clairs qu'on ne les peut expliquer par d'autres, parcequ'il n'y en a point de plus clairs & de plus fimples.

Mais tout ce qu'on peut faire pour empêcher qu'on ne s'y trompe, eft de marquer la fauffe in telligence qu'on pourroit donner à ce mot, en le reftraignant à cette feule façon de concevoir les chofes, qui fe fait par l'application de notre esprit aux images qui font peintes dans notre cerveau & qui s'appelle imagination.

Car, comme faint Augustin remarque fouvent, T'homme depuis le péché s'eft tellement accoûtumé à ne confiderer que les chofes corporelles, dont les images entrent par les fens dans notre cerveau ? que la plupart croient ne pouvoir concevoir une chofe, quand ils ne fe la peuvent imaginer, c'eft à-dire, fe la repréfenter fous une image corpo relle; comme s'il n'y avoit en nous que cette feu le maniere de penfer & de concevoir.

[ocr errors]

Au-lieu qu'on ne peut faire reflexion fur ce qui fe paffe dans notre efprit, qu'on ne reconnoiffe que nous concevons un très-grand nombre de chofes fans aucunes de ces images & qu'on ne s'apperçoive de la difference qu'il y a entre l'imagination & la pure intellection. Car lors, par exemple, que je m'imagine un triangle, je ne le conçois pas feulement comme une figure terminée par trois lignes droi tes; mais outre cela je confidere ces trois lignes comme préfentes par la force & l'application

« PrécédentContinuer »