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ex carne, & quadam ab ejus paffione dissenfio, fi cuti anima dolor, qua triftitia nuncupatur, diffenfio eft ab his rebus, qua nobis nolentibus acciderunt.

Et au livre 7. de la Genese à la lettre chap. 19. la repugnance que reffent l'ame, de voir que l'action par laquelle elle gouverne le corps, eft empêchée par le trouble qui arrive dans fon temperament & eft ce qui s'appelle douleur. Cùm affectiones corporis moleftè fentit ( anima) actionem fuam qua illi regendo adeft turba o ejus temperamento impediri offenditur, & hac offenfio dolor vocatur.

En effet, ce qui fait voir que la douleur qu'on appelle corporelle eft dans l'ame, non dans le corps, c'eft que les mêmes chofes, qui nous caufent de la douleur, quand nous y penfons, ne nous en caufent point, lorfque notre esprit et fortement occupé ailleurs, comme ce Prêtre de Calame en Afrique, dont parle faint Auguftin dans le livre 14. de la Cité de Dieu chap. 24. qui toutes les fois qu'il vouloit, s'alienoit tellement des fers, qu'il demeuroit comme mort, & non feulement ne fentoit pas quand on le pinçoit ou qu'on le piquoit, mais même quand on le brûloit. Qui quando ei placebat ad imitatas qua fi lamentantis hominis vores, ita se auferebat à fenfibus, & jacebat fimillimus mortuo, ut non folum vellicantes atque pungen ts minimè fentiret, fed aliquando etiam igne ureretur admodo, fine ullo doloris fenfu; nifi poftmodum ex

vulnere.

Il faut de plus remarquer, que ce n'eft pas proprement la mauvaise difpofition de la main, & le mouvement que la brûlure y cause, qui fait que l'ame fent de la douleur ; mais qu'il faut que ce mouvement le communique au cerveau, par

le

moyen des petits filets enfermés dans les nerfs; comme dans des tuyaux, qui font étendus comme de petites cordes, depuis le cerveau jufques à la main, & les autres parties du corps, ce qui fait qu'on ne fauroit remuer ces petits filets, qu'on ne remue auffi la partie du cerveau d'où ils tirent leur origine: & c'est pourquoi fi quelque obftruction empêche que ces filets de nerfs ne puiffent communiquer leur mouvement au cerveau, comme il arrive dans la paralyfic, il fe peut faire qu'un homme voie couper & brûler fa main, fans qu'il en fente de la douleur; & au - contraire, ce qui femble bien étrange, on peut avoir ce qu'on appelle mal à la main, fans avoir de main, comme il arrive très - fouvent à ceux qui ont la main coupée, parceque les filets des nerfs qui s'étendoient depuis la main jufqu'au cerveau étant remués par quelque fluxion vers le coude, où ils fe terminent lorfqu'on a le bras coupé jufques-là, peuvent tirer La partie du cerveau, à laquelle ils font attachés en la même maniere qu'ils la tiroient, lorsqu'ils s'étendoient jufques à la main, comme l'extremité d'une corde peut être remuée de la même forte, en la tirant par le milieu, qu'en la tirant par l'autre bout, & c'eft ce qui eft caufe que Pame alors fent la même douleur qu'elle fentoit quand elle avoit une main; parcequ'elle porte fon intention au lieu d'où avoit accoûtumé de venir ce mouvement du cerveau, comme ce que nous voyons dans un miroir nous paroît au lieu où il feroit s'il étoit vû par des rayons droits, parceque c'eft la maniere la plus ordinaire de voir les objets.

Et cela peut fervir à faire comprendre, qu'il eft très-poffible qu'une ame feparée du corps, foit tourmentée par le feu de l'enfer ou du purga

toire, & qu'elle fente la même douleur que l'on fent quand on eft brûlé, puifque lors même qu'elle étoit dans le corps, la douleur de la brûlure étoit en elle, & non dans le corps, & que ce n'étoit autre chofe qu'une pensée de trifteffe qu'elle reffentoit à l'occafion de ce qui fe paffoit dans le corps auquel Dieu l'avoit unie. Pourquoi donc ne pourrons-nous donc concevoir, que la justice de Dieu puiffe tellement difpofer une certaine portion de la matiere à l'égard d'un efprit, que le mouvement de cette matiere foit une occafion à cet efprit d'avoir des penfées affligeantes, qui eft tout ce qui arrive à notre ame dans la douleur corporelle?

Mais pour revenir aux idées confufes, celle de la pefanteur qui paroît fi claire, ne l'eft pas inoins que les autres dont nous venons de parler; car les enfans voyant des pierres & autres chofes femblables qui tombent en bas auffi-tôt qu'on ceffe de les foûtenir, ils ont formé de là l'idée d'une chofe qui tombe, laquelle idée eft naturelle & vraie, & de plus de quelque caufe de cette chute, ce qui eft encore vrai. Mais parce qu'ils ne voyoient rien que la pierre, & qu'ils ne voyoient point ce qui la pouffoit, par un jugement précipité, ils ont conclu que ce qu'ils ne voyoient point n'étoit point, & qu'ainfi la pierre tomboit d'ellemême par un principe interieur qui étoit en elle, fans que rien autre chose la pouffat en bas, & c'est à cette idée confuse, & qui n'étoit née que de leur erreur, qu'ils ont attaché le nom de gravité & de pefanteur.

Et il leur eft encore ici arrivé de faire des jugemens tout differens de chofes dont ils devoient juger de la même forte. Car comme ils ont vu des pierres qui fe remuoient en bas vers Ja terre, ils ont vu des pailles qui fe remuoient

vers l'ambre, & des morceaux de fer ou d'acier qui fe remuoient vers l'aiman. Ils avoient donc autant de raifon de mettre une qualité dans les pailles ou dans le fer pour fe porter vers l'ambre ou l'aiman, que dans les pierres pour fe porter vers la terre. Neanmoins il ne leur a pas plû de le faire; mais ils ont mis une qualité dans F'ambre pour attirer les pailles, & une dans l'aiman pour attirer le fer, qu'ils ont appellé des qualités attractives, comme s'il ne leur eût pas été auffi facile d'en mettre une dans la terre pour attirer les chofes pefantes. Mais quoi qu'il en foit, ces qualités attractives ne font nées, de même que la pefanteur, que d'un faux raifonnement, qui a fait croire qu'il falloit que le fer attirât l'aiman, parce qu'on ne voyoit rien qui pouffat l'aiman vers le fer: quoiqu'il foit impoffible de concevoir qu'un corps en puiffe attirer un autre, fi le corps qui attire ne fe meut lui-même, & fi celui qui eft attiré ne lui eft joint ou attaché par quelque lien.

On doit auffi rapporter à ces jugemens de notre enfance l'idée qui nous repréfente les chofes dures & pefantes, comme étant plus materielles & plus folides que les chofes legeres & déliées; ce qui nous fait croire qu'il y a bien plus de matiere dans une boëte pleine d'or dans que > une autre qui ne feroit pleine que d'air. Car ces idées ne viennent que de ce que nous n'avons jugé dans notre enfance de toutes les chofés exterieures que par rapport aux impref fions qu'elles faifoient fur nos fens, & ainfi parce que les corps durs & pefans agiffoient bien. plus fur nous, que les corps legers & fubtils, nous nous fommes imaginés qu'ils contenoient plus de matiere, au-lieu que la raifon nous devoit faire juger, que chaque partie de la matiere

n'occupant jamais que fa place, un elpace égal eft toujours rempli d'une même quantité de ma

tiere.

De forte qu'un vaiffeau d'un pied cube n'en contient pas davantage étant plein d'or, qu'étant plein d'air : & même il eft vrai en un fens qu'étant plein d'air il comprend plus de matiere folide, par une raifon qu'il feroit trop long d'expliquer ici.

On peut dire que c'eft de cette imagination, que font nées toutes les opinions extravagantes de ceux qui ont crû que notre ame étoit, ou un air très-fubtil compofé d'atomes; comme Démocrite & les Epicuriens; ou un air enflammé, comme les Stoïciens, ou une portion de la lumiere celefte, comme les anciens Manichéens, & Flud même de notre temps, ou un vent délié comme les Sociniens. Car toutes ces perfonnes n'auroient jamais crû qu'une pierre, du bois, de la boue fût capable de penfer, & c'eftpourquoi Ciceron en même-temps qu'il veut, comme les Stoïciens, que notre ame foit une flâme fubtile, rejette comme une abfurdité infupportable de s'imaginer qu'elle foit de la terre, ou d'un air groffier: Quid enim, obfecro te, terrá ne tibi aut hoc nebulofo, aut caliginofo calo, fata aut concreta effe videtur tanta vis memoria? Mais ils fe font perfuadés qu'en fubtili fant cette matiere, ils la rendroient moins materielle, moins groffiere, & moins corporelle, & qu'enfin elle deviendroit capable de penfer, ce qui eft une imagination ridicule. Car une matiere n'eft pas plus fubtile qu'une autre, qu'en ce qu'étant divifée en parties plus petites, & plus agitées, elle fait d'une part moins de refistance aux autres corps, & s'infinue de l'autre plus facilement dans leurs pores. Mais divifée ou non

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