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PREMIER DISCOURS,

Où l'on fait voir le deffein de cette nouvelle Logique.

Ln'y a rien de plus eftimable que le bon fens & la jufteffe de l'ef-. prir dans le difcernement du vrai & du faux. Toutes les autres qualités d'efprit ont des ufages bornés; mais l'exactitude de la raison eft generalement utile dans toutes les parties & dans tous les emplois de la vie. Ce n'eft pas feulement dans les fciences qu'il eft difficile de diftinguer la verité d'avec l'erreur; mais auffi dans la plupart des fujets dont les hommes parlent, & des affaires qu'ils traitent. If y a prefque par-tout des routes differentes, les unes vraies, les autres fauffes, & c'est à la raifon d'en faire le choix. Ceux qui choififfent bien, font ceux qui ont l'efprit jufte; ceux qui prennent le mauvais parti, font ceux qui ont l'efprit faux; & c'eft la premiere & la plus importante difference qu'on peut mettre entre les qualités de l'efprit des hommes.

Ainfi la principale application qu'on devroir avoir, feroit de former fon jugement, & de le rendre auffi exact qu'il le peut être, & c'est

à quoi devroit tendre la plus grande partie de nos études. On fe fert de la raifon comme d'un inftrument pour acquerir les fciences, & on se devroit fervir au-contraire, des fciences comme d'un inftrument pour perfectionner fa raison : la jufteffe de l'efprit étant infiniment plus confiderable que toutes les connoiffances fpeculatives, aufquelles on peut arriver par le moyen des fciences les plus veritables & les plus folides. Ce qui doit porter les perfonnes fages à ne s'y engager qu'autant qu'elles peuvent fervir à cette fin, & à n'en faire que l'effai, & non l'emploi des forces de Ieur efprit.

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Si l'on ne s'y applique dans ce deffein, on ne voit pas que l'étude de ces fciences fpeculatives, comme de la Géometrie, de l'Aftronomie, & de la Phyfique, foit autre chofe qu'un amusement affez vain, ni qu'elles foient beaucoup plus eftimables que l'ignorance de toutes ces chofes, qui a au-moins cet avantage qu'elle eft moins penible, & qu'elle ne donne pas lieu à la fotte vanité que l'on tire fouvent de ces connoiffances fteriles & infructueufes.

Non feulement ces fciences ont des recoins & des enfoncemens fort peu utiles: mais elles font toutes inutiles,fi on les confidere en elles-mêmes & pour elles-mêmes. Les hommes ne font pas nés pour employer leur temps à mefurer des lignes, à examiner les rapports des angles, à confiderer les divers mouvemens de la matiere. Leur efprit eft trop grand, leur vie trop courte, leur temps trop précieux pour l'occuperà de fi petits objets: Mais ils font obligés d'être juftes, équitables, judicieux dans tous leurs difcours, dans toutes leur actions, & dans toutes les affaires qu'ils manient, & c'est à quoi

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ils doivent particulierement s'exercer & fe for

mer.

Ce foin & cette étude eft d'autant plus neceffaire, qu'il eft étrange combien c'eft une qualité rare que cette exactitude de jugement. On ne rencontre par-tout que des efprits faux qui n'ont prefqu'aucun difcernement de la verité, qui prennent toutes chofes d'un mauvais biais, qui fe payent des plus mauvaises raifons, & qui veulent en payer les autres; qui se laiffent emporter par les moindres apparences; qui font toûjours dans l'excès & dans les extrémités ; qui n'ont point de ferres pour fe tenir fermes dans les verités qu'ils favent, parceque c'est plûtor le hazard qui les y attache, qu'une folide lumiere: ou qui s'arrêtent au-contraire à leur fens avec tant d'opiniâtreté, qu'ils n'écoutent rien de ce qui les pourroit détromper ; qui décident hardiment ce qu'ils ignorent, ce qu'ils n'entendent pas, & ce que perfonne n'a peut-être jamais entendu; qui ne font point de difference entre parler & parler, ou qui ne jugent de la verité des chofes que par le ton de la voix : celui qui parle facilement & gravement a raifon : celui qui a quelque peine à s'expliquer, ou qui fait pa roître quelque chaleur, a tort. Ils n'en favent pas davantage.

C'eft pourquoi il n'y a point d'abfurdités fi infupportables qui ne trouvent des approbateurs. Quiconque a deffein de piper le monde, eft affûré de trouver des perfonnes qui feront bien-aifes d'être pipées; & les plus ridicules fottifes rencontrent toujours des efprits aufquels elles font proportionnées. Après que l'on voit tant de gens infatués des folies de l'Aftrologie judiciaire, & que des perfonnes graves

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traitent cette matiere ferieufemeut, on ne doit plus s'étonner de rien. Il y a une constellation dans le ciel qu'il a plu à quelques personnes de nommer Balance, & qui reffemble à une balance comme à un moulin à vent; la balance eft le fymbole de la juftice: donc ceux qui naîtront fous cette conftellation feront juftes & équitables. I y a trois autres fignes dans le Zodiaque, qu'on nomme l'un Belier, l'autre Taureau, l'autre Ca pricorne, & qu'on cût pû auffi-bien appeller Elephant, Crocodile, & Rhinocerot: le Belier le Taureau & le Capricorne font des animaux qui ruminent : donc ceux qui prennent medecine lorfque la lune eft fous ces conftellations, font en danger de la revomir. Quelque extavagans que foient ces raifonnemens, il fe trouve des perfonnes qui les debitent, & d'autres qui s'en laiffent perfuader.

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Cette fauffeté d'efprit n'eft pas feulement caufe des erreurs que l'on mêle dans les fciences, mais auffi de la plupart des fautes que l'on commet dans la vie civile, des querelles injuftes, des procès mal fondés, des avis temeraires, des entreprises mal concertées. Il y en a peu qui n'ayent leur fource dans quelque erreur & dans quelque faute de jugement: de forte qu'il n'y a point de défaut dont on ait plus d'interêt de fe corriger.

Mais autant que cette correction est souhaitable, autant eft-il difficile d'y réuffir,parcequ'elle dépend beaucoup de la mesure d'intelligence que nous apportons en naiffant. Le fens commun n'eft pas une qualité fi commune que l'on penfe. Il y a une infinité d'efprits groffiers, & ftupides que l'on ne peut reformer en leur donnant l'intelligence de la verité, mais en les

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