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fait avec joie, & l'on n'auroit pas manqué de lui donner les juftes louanges qu'il merite. Car il eft certain qu'Ariftote eft en effet un efprit très-vafte & très-étendu ; qui découvre dans les fujets qu'il traite un grand nombre de fujets & de confequen ces; & c'eftpourquoi il a très-bien réuffi en ce qu'il a dit des paffions dans le fecond livre de fa Rhetorique.

Il y a auffi plufieurs belles chofes dans fes livres de Politique & de Morale, dans les Problémes & dans l'histoire des animaux. Et quelque confufion que l'on trouve dans fes Analytiques, il faut avouer neanmoins que prefque tout ce qu'on fait des regles de la Logique eft pris de là. De forte qu'il n'y a point en effet d'Auteur dont on ait emprunté plus de chofes dans cette Logique, que d'Ariftote, puifque le corps des préceptes lui ap partient.

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Il est vrai qu'il femble que le moins parfait de fes ouvrages foit la phyfique comme c'eft auffi celui qui a été le plus long-temps condamné & défendu dans l'Eglife; ainfi qu'un favant *homme l'a fait voir dans un livre exprès. Mais encore le principal défaut qu'on y peut trouver, n'eft pas qu'elle foit fauffe, mais c'eft au-contraire qu'elle eft trop vraie, & qu'elle ne nous apprend que des chofes qu'il eft impoffible d'ignorer. Car qui peut douter que toutes chofes ne folent compofées de matieres & d'une cercaine forme de cette matiere? Qui peut douter qu'afin que la matiere acquere une nouvelle ma

* M. de Launoi, dans fon livre De varia Ariftotelis fortuna.

riere & une nouvelle forme, il faut qu'elle ne l'eût pas auparavant; c'est-à-dire, qu'elle en cût la privation? Qui peut douter enfin de ces autres principes métaphysiques › que tout dépend de la forme; que la matiere feule ne fait rien; qu'il y a un lieu, des mouvemens, des qualités, des facultés Mais après qu'on a appris toutes ces chofes, il ne femble pas qu'on ait appris rien de nouveau, ni qu'on foit plus en état de rendre raifon d'aucun des effets de la

nature.

Que s'il fe trouvoit des perfonnes qui préten diffent qu'il n'eft permis en aucune forte de témoigner qu'on n'eft pas du fentiment d'Ariftote, il feroit aifé de leur faire voir que cette délicateffe n'eft pas raisonnable.

Car fi l'on doit de la déference à quelques Philofophes, ce ne peut être que par deux raifons; ou dans la vûe de la verité qu'il auroient suivie, ou dans la vûe de l'opinion des hommes qui les approuvent.

Dans la vue de la verité, on leur doit du refpect lorfqu'ils ont raifon; mais la verité ne peut obliger de refpe&ter la fauffeté en qui que ce

foit.

Pour ce qui regarde le confentement des hommes dans l'approbation d'un Philofophe, il eft certain qu'il mérite auffi quelque refpect, & qu'il y auroit de l'imprudence de le choquer fans ufer de grandes précautions; Et la raison en eft, qu'en attaquant ce qui eft recû de tout le monde, on fe rend fufpect de préfomtion, en croyant avoir plus de lumiere que les autres.

Mais lorsque le monde eft partagé touchant

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les opinions d'un Auteur, & qu'il y a des perfonnes confiderables de côté & d'autre n'eft plus obligé à cette referve, & l'on peut librement déclarer ce qu'on approuve ou ce qu'on n'approuve pas dans ces livres fur lesquels les perfonnes de lettres font divifées; parceque ce n'eft pas tant alors préferer fon fentiment à celui de cet Auteur & de ceux qui l'approuvent, que fe ranger au parti de ceux qui lui font contraires en ce point.

C'eft proprement l'état où se trouve maintenant la philofophie d'Ariftote. Comme elle a eu diverfes fortunes, ayant été en un temps generalement rejettée, & en un autre generalement approuvée elle eft reduite maintenant à un état qui tient le milieu entre ces extremités; elle eft foûtenue par plufieurs perfonnes favantes, & elle eft combattue par d'autres qui ne font pas en moindre reputation. L'on écrit tous les jours librement en France, en Flandre, en Angleterre, en Allemagne, en Hollande, pour & contre la philofophie d'Ariftote : les Conferences de Paris font partagées auffi-bien que les livres, & perfonne ne s'offenfe qu'on s'y déclare contre lui. Les plus celebres Profeffeurs ne s'obligent plus à cette fervitude de recevoir aveuglément tout ce qu'ils trouvent dans fes livres. Et il y a même de fes opinions qui font generalement bannies. Car qui eft le Medecin qui voulût foûtenir maintenant que les nerfs viennent du cœur, comme Ariftote l'a crû, puifque l'anatomie fait voir fi clairement qu'ils tirent leur origine du cerveau; ce qui a fait dire à faint Auguftin, qui ex puncto cerebri & quafi centro fenfus omnes quinaria diftributione diffudit.Et qui eft le

Philofophe qui s'opiniâtre à dire que la viteffe des chofes pefantes croît dans la même proportion que leur pefanteur, puifqu'il n'y a perfonne qui ne fe puiffe défabufer de cette opinion d'Ariftote, en laiffant tomber d'un lieu élevé deux chofes trèsinégalement pefantes, dans lefquelles on ne remarquera néanmoins que très-peu d'inegalité de viteffe?

Tous les états violens ne font pas d'ordinaire de longue durée, & toutes les extremités font violentes. Il eft trop dur de condamner generalement Ariftote comme on a fait autrefois, & c'est une gêne bien grande que de fe croire obligé de l'approuver en tout, & de le prendre pour la regle de la verité des opinions philofophiques, comme il femble qu'on ait voulu faire enfuite. Le monde ne peut demeurer long-temps dans cette contrainte, & fe remet infenfiblement en poffeffion de la liberté naturelle & raifonnable, qui confifte à approuver ce qu'on juge vrai, & à rejetter ce qu'on juge faux.

Car la raifon ne trouve pas étrange qu'on la foumetre à l'autorité dans les fciences qui traitant des chofes qui font au-deffus de la raison, doivent fuivre une autre lumiere qui ne peut être que celle de l'autorité divine. Mais il femble qu'elle foit bien fondée à ne pas fouffrir que dans les fciences humaines qui font profeffion de ne s'appuyer que fur la raifon, on l'afferviffe à l'autorité contre la raison.

C'eft la regle que l'on a fuivie en parlant des opinions des Philofophes tant anciens que nouveaux. On n'a confideré dans les uns & dans les autres que la verité, fans époufer generalement les fentimens d'aucun en particulier, & fans fe

declarer auffi generalement contre aucun.

De forte que tout ce qu'on doit conclure; quand on a rejetté quelque opinion ou d'Ariftote ou d'un autre, eft que l'on n'eft pas du fentiment de cet Auteur en cette occafion; mais on n'en peut nullement conclure que l'on n'en foit pas en d'autres points, & beaucoup moins qu'on ait quelque averfion de lui, & quelque defir de le rabaiffer. On croit que cette difpofition fera approuvée par toutes les perfonnes équitables, & qu'on ne reconnoîtra dans tout cet ouvrage qu'un defir fincere de contribuer à l'utilité publique autant qu'on le pouvoit faire par un livre de cette nature, fans aucune paffion contre perfonne.

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LA

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