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déshonorer par l'ineptie de ses sophismes. Celse, il est vrai, remua des questions d'une grande importance. On trouve, dans les fragmens qui nous rėstent de ses écrits, au milieu d'une foule d'opinions absurdes et de pensées extravagantes, le germe des objections sur le fondement de la foi, reproduites avec plus d'art par Rousseau. Mais l'extrême supériorité de celui-ci, les hautes idées sur Dieu, sur sa providence et sur sa justice, sur notre nature, nos devoirs, nos destinées, que l'auteur d'Émile mêle à ses erreurs, idées inconnues aux anciens et purement chrétiennes, montrent quel espace immense le Christianisme avoit fait parcourir à l'esprit humain, pendant les siècles qui séparent les premiers adversaires de notre doctrine du sophiste Genevois. Ainsi, difficultés et solutions, lumières et obscurités, tout est prévu, ménagé de loin avec une sagesse profonde; tout se développe progressivement à l'époque précise où ce déve

loppement devient nécessaire, et toujours pour le triomphe de la vérité, triomphe d'autant plus glorieux qu'il est moins paisible.

A mesure que l'intelligence se perfectionne et s'étend, par la méditation des vérités intellectuelles que la Religion enseigne aux petits enfans comme aux hommes du génie le plus vaste, elle embrasse la cause des passions, se déclare leur alliée, et, essayant ses forces contre les vérités à qui elle les doit, se dispute à elle-même le pain qui lui donne la vie. Alors de nouvelles vérités, attaquées bientôt également, accourent à la défense de celles qu'une raison hostile met en péril. Chaque dogme est l'occasion d'une hérésie particulière, parce qu'il faut qu'ils soient tous éprouvés et affermis. Les preuves se multiplient avec les objections, et le Christianisme se développe tout entier (1).

(1) Improbatio quippè hæreticorum facit eminere

Mais si l'homme, esclave des sens, est ennemi de la vérité, et, par conséquent, des hautes doctrines qui émanent du ciel et qui l'y rappellent, il n'est pas moins ennemi des lois éternelles de l'ordre, parce que l'ordre n'est au fond que l'ensemble des vérités qui résultent de la nature des êtres et de leurs rapports, vérités qu'on nomme devoirs, à cause qu'elles ne sont pas seulement l'objet de l'intelligence, mais doivent encore influer sur la conduite qu'elles règlent, en imposant la double obligation de s'interdire certains actes et d'en produire de contraires. Or, toutes les vérités tenant l'une à l'autre, et se confondant en quelque sorte dans leur source, l'homme est contraint de les attaquer toutes, dès qu'une fois l'intérêt de ses passions l'a porté à en ébranler une. Ainsi, par une liaison nécessaire, la corruption des mœurs enfante la corruption de l'esprit; le désordre dans les actions amène le désordre dans les pensées, ou

l'erreur; et la dépravation de l'être moral, une dépravation semblable de l'être intelligent. L'inconséquence tourmente le cœur humain autant qu'elle révolte la raison; et de là vient qu'il suffit souvent de changer de vie, pour croire à la vérité qu'on nioit. Mais la vérité, même abstraite, devient infailliblement un objet de haine, tandis que la vertu pratiqne n'est point un objet d'amour; et comme la haine, par sa nature, est un principe de destruction, de même que l'amour est un principe de production et de conservation, l'homme abruti par les sens, et livré aux plaisirs du corps, devient naturellement destructeur : son ame s'endurcit et se plaît dans les spectacles de ruines et de sang; il contracte des goûts barbares, des habitudes féroces; et c'est une observation singulièrement remarquable, que tous les peuples impies, ou, si l'on veut, incroyans, ont été des peuples voluptueux, et tous les peuples voluptueux des peuples cruels.

Considérez les nations païennes : quel oubli de l'humanité dans la guerre comme dans la paix, dans les lois comme dans les mœurs, dans les temples comme au théâtre, dans le cœur du maître comme dans celui du père! Mais aussi, quel abject matérialisme dans la Religion ! quelle aversion pour les doctrines qui tendent à élever l'homme et à spiritualiser sa pensée! La Grèce polie et savante envoie Socrate au supplice, parce qu'il annonçoit l'unité de Dieu; et cette même Grèce, couronnée de fleurs, égorge, en chantant, des victimes humaines, et couvre son territoire d'autels infàmes.

Toujours l'asservissement aux sens produit une vive opposition aux vérités morales et intellectuelles, et l'on ne doit point chercher ailleurs la cause de la profonde haine qu'ont montrée, dans tous les temps, pour le Christianisme, certains individus et certains peuples. C'est le combat éternel, le combat à mort de la chair contre l'esprit, des sens, que la

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