Images de page
PDF
ePub

ôtoit aux Persans cette idée, en leur persuadant qu'il n'y a ni Poul-Sherro, ni rien de semblable, où les opprimés soient vengés de leurs tyrans après la mort, n'est-il pas clair que cela mettroit ceux-ci fort à leur aise, et les délivreroit du soin d'apaiser ces malheureux? Il est donc faux que cette doctrine ne fût pas nuisible; elle ne seroit donc pas la vérité.

Philosophe, tes lois morales sont fort belles, mais montre-m'en, de grace, la sanction. Cesse un moment de battre la campagne, et dis-moi nettement ce que tu mets à la place du Poul-Serrho (1) »

[ocr errors]

Pour peu qu'on attache de prix à la paix, à la sécurité publique, à la douceur et à la stabilité du gouvernement, aux bonnes mœurs, à la vertu, on ne peut donc contester l'importance de la Religion. Mais je veux faire sentir encore plus vivement cette importance, dont on n'auroit qu'une trop basse et trop imparfaite idée, si, n'envisageant la Religion que dans ses bienfaits en quelque sorte secondaires, on ne la concevoit pas, en outre, en remontant jusqu'à la cause première de tant d'heureux effets, comme l'unique et nécessaire fondement de tout ordre social.

L'ordre, selon sa notion la plus étendue, est l'ensemble des rapports qui dérivent de la nature

(1) Emile, tom. III, p. 198, 202.

que

des êtres; et ces rapports sont des vérités, puisqu'ils existent indépendamment des pensées de l'esprit qui les considère. Toute vérité découle de Dieu, parce qu'il est celui qui est, c'est-à-dire, l'Être par excellence, sans restriction et sans bornes, ou la vérité infinie; et quand il s'est résolu à produire, la création tout entière n'a été qu'une magnifique manifestation d'une partie des vérités renferme l'Être divin. Ces vérités étant liées entre elle par des rapports nécessaires dans le pensée de Dieu, sa volonté, en les réalisant au dehors, a, par le même acte, réalisé ces rapports immuables qui constituent l'ordre. Etabli par la volonté de l'Intelligence suprême, ou le pouvoir souverain du Créateur, le même pouvoir le maintient, en continuant de créer à chaque instant les êtres, ou de manifester quelques-unes des vérités éternellement existantes en Dieu, et leurs rapports également éternels: et un ordre parfait régneroit dans l'univers, si la volonté non intelligente des êtres libres ne le troubloit trop souvent par un aveugle abus d'une force aveugle, qui, employée à réaliser l'erreur, ou ce qui n'est pas, tend par cela même à détruire ce qui est, ou à manifester le

néant.

Le pouvoir, ou la volonté de l'Intelligence suprême, est donc le moyen général de l'ordre, de même que la force, dirigée par des volontés libres

non intelligentes (*), est le moyen général du désordre et la société humaine, composée d'êtres libres sujets à l'erreur, est partagée entre ces deux puissances, dont l'une tend à détruire ce que l'autre tend à conserver.

Or, par un renversement d'idées inouï, la philosophie s'efforce de fonder la société sur le prin

(*) Elevez un mur hors de son aplomb, il tombe, parce qu'il y a défaut de vérité dans les lois de sa construction, ou défaut d'intelligence dans l'architecte. Il en est de même de la société. L'homme bouleverseroit l'univers, s'il pouvoit le soumettre à son action, parce qu'il ne connoît qu'imparfaitement les lois qui maintiennent l'ordre dans le monde physique; et quand il ignore ou méconnoît les lois qui maintiennent l'ordre dans le monde moral, quand il s'ignore ou se méconnoît lui-même, sa force tend à détruire, parce qu'elle tend à placer les êtres dans de faux rapports, ou des rapports contraires à leur nature. Il veut ce que l'Intelligence ne sauroit vouloir, c'està-dire, des choses impossibles, absurdes, contradictoires. Désirer le bien-être est un sentiment naturel à tous les hommes; mais tous les hommes ne voient pas également en quoi consiste leur bien-être. Celui qui le cherche dans le désordre, manque de lumières. Avec un esprit plus éclairé, il comprendroit que, hors de l'ordre, il ne sauroit exister de bonheur, puisqu'il n'y a pas même de vie. Le désordre est donc produit par des volontés libres non intelligentes. L'Être souverainement intelligent, est essentiellement bon, heureux, parfait, et la perfection des créatures libres, aussi bien que leur felicité, consiste conformer leurs volontés aux siennes.

cipe même du désordre. Refusant de reconnoître d'autre intelligence que la raison de l'homme, elle ne peut constituer d'autre pouvoir que la force : et le genre humain, soumis à cette puissance destructive, périroit, si la Religion n'accouroit à son

secours.

[ocr errors]

La Religion, dit excellemment M. de Bonald, » met l'ordre dans la société, parce que seule elle » donne la raison du pouvoir et des devoirs (1)

».

Qu'est-ce en effet que le pouvoir dans la société, sinon le droit de commander, lequel emporte le devoir d'obéir. Mais qui commande est au-dessus de qui obéit, et tellement au-dessus, qu'on n'imagine point de supériorité plusgrande; car elle n'implique pas une simple différence de nature. L'ange, par sa nature, est au-dessus de l'homme; cependant l'homme ne doit rigoureusement rien à l'ange. Qu'un ange revête une forme sensible, et descende sur la terre, où sera la raison de lui obéir? Je n'aperçois aucun droit d'un côté, ni de l'autre aucun devoir. Tout être créé est dans une indépendance naturelle de tout autre être créé; et si le plus élevé des esprits célestes venoit, de son seul mouvement, et sans autre titre que sa volonté, dicter des lois à l'homme, et l'asservir à sa domina

(1) Le Divorce considéré au XIX siècle. Disc. prél.

tion, je ne verrois en lui qu'un tyran, et dans ses sujets que des esclaves. Qu'est-ce donc quand l'homme lui-même s'arroge l'empire sur l'homme, son égal en droit, et souvent son supérieur en raison, en lumières, en vertus? Est-il une prétention plus inique, plus insolente, une servitude plus ignominieuse? Certes, je n'hésite point à le dire avec Rousseau : « Il faut une longue altération de » sentimens et d'idées, pour qu'on puisse se ré» soudre à prendre son semblable pour maître (1)». Et cependant Rousseau lui-même est contraint, pour constituer philosophiquement la société, d'imposer à l'homme le joug de l'homme, et de le soumettre à l'empire de la force aveugle et brutale. On ne doit pas s'étonner que, sur ce résultat de ses principes, la société civile lui ait parue contraire à la nature (*). Confondant l'indépendance avec la liberté, l'absence de tout pouvoir et de tout devoir, c'est-à-dire, de tout ordre, devoit être à ses yeux l'état le plus parfait, ou l'état naturel de l'homme. Mais l'ordre, et le pouvoir qui le maintient, ayant une relation nécessaire à l'intelligence, Jean-Jacques en vint jusqu'à soutenir que l'homme

(1) Contrat social, liv. IV, chap. VIII.

(*) « Tout ce qui n'est point dans la nature a ses in» convéniens, et la société civile plus que tout le reste. » Contrat social, liv. III, chap. xv.

« PrécédentContinuer »