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attachons la certitude à l'accord des jugemens et des témoignages; que, si cet accord est général, et plus encore s'il est universel, on cesse d'écouter les contradicteurs, et d'essayer de les convaincre; on les méprise comme des insensés, des esprits malades, des intelligences en délire, comme des êtres monstrueux qui n'appartiennent plus à l'espèce humaine. Et il ne faut pas s'imaginer que les hommes soient injustes en cela. On ne raisonne point avec les fous, quoique les fous mettent quelquefois beaucoup de suite dans leurs raisonnemens. Or, l'unique preuve qu'on ait de la folie de ceux qu'on enferme, est la complète opposition de leurs idées avec les idées reçues; et la folie consiste à préférer sa propre raison, son autorité individuelle, à l'autorité générale ou au sentiment commun (*).

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(*) Cela souffre si peu de doute, que les médecins mêmes ne peuvent donner d'autre définition de la folie. << Cet état devient bientôt manifeste aux yeux de tout le monde, lorsque tel homme qui jouissoit auparavant » d'une bonne santé, porte, quoique éveillé, un juge»ment faux ou erroné sur les rapports d'objets qui sa » rencontrent le plus fréquemment dans le cours de la » vie, et sur lesquels les hommes portent le même juge ̧»ment...; qu'il méprise les avis qu'on lui donne; qu'il manifeste la conviction intime que tous les autres,

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que,

Sortez de là, cherchez ailleurs une règle de certitude, vous ne trouverez que des motifs de doute, et vous verrez peu à peu l'édifice entier de vos croyances s'abîmer dans un vide effravant. Dès qu'on la veut charger d'une vérité quelconla raison débile ploie sous le faix, incapable de se soutenir elle-même. Elle ne sait ce qu'elle est, ni si elle est; son existence même lui est un problème, qu'elle ne peut résoudre qu'à l'aide de l'autorité du genre humain; et tout être créé qui ose dire: Je suis, n'énonce pas un jugement, mais proteste de sa foi en un mystère impénétrable, et proclame, sans le comprendre, le premier article du symbole des intelligences.

Pour peu qu'on arrête son attention sur ce sujet important, mille considérations que j'ai dû négliger pour ne point dépasser les bornes que je dois me prescrire, viendront, je le dis avec assurance, fortifier les principes établis dans ce chapitre. Ce n'est pas que je les suppose à l'abri de toute objection; non certes: on y peut opposer des difficultés sans nombre. Autrement il seroit faux, qu'habile seulement à renverser, la raison

» hors lui seul sont dans l'erreur. » Traité du délire, appliqué à la médecine, à la morale et à la législation ; par F. E. Foderé, tom. Ier, pag. 327.

ne sût rien affermir inébranlablement. Plus ses argumens seront spécieux, mieux ils confirmeront

ce que j'ai eu dessein de eu dessein de prouver, qu'elle n'est propre qu'à créer des doutes, et qu'à jeter l'esprit, quelles que soient les questions qui l'occupent, dans une pénible indécision, et dans des ténèbres désespérantes. Mais il n'en restera pas moins vrai que, par une suite de notre nature, le consentement commun détermine notre adhésion, que nous n'avons point d'autre certitude, et que, malgré toutes les objections, un sentiment indélibéré nous porte à regarder comme certain ce qui repose sur cette base; en sorte qu'au jugement de tous les hommes, se soustraire à cette loi fondamentale, universelle, c'est cesser d'être homme, c'est éteindre en soi toutes les lumières naturelles, et se retrancher volontairement de la société des intelligences.

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Sur ce point décisif, j'en appelle à la conscience; je la choisis pour juge, prêt à me soumettre à ses décisions. Que chacun rentre en soi, et s'interdans le silence de l'orgueil et des préjugés. Qu'il évite de confondre les sophismes de la raison, avec les réponses simples et précises du sentiment intérieur que je le somme de consulter; qu'il considère ce qui est, et non pas ce qu'il s'imagine devoir être; qu'il ouvre les yeux sur les faits, et

ferme son esprit aux conjectures: si un seul homme, dans ces dispositions, se dit au fond de son cœur: Ce qu'on me propose comme des vérités d'expé

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rience, est démenti par ce que je sens en moi, » et par ce que j'observe dans mes semblables ; » je passe condamnation, et je me déclare moimême un rêveur insensé.

CHAPITRE XIV.

De l'existence de Dieu.

TOURNONS

OURNONS un moment nos regards en arrière; fixons-les sur l'espace que nous avons parcouru. Nous cherchions la certitude, et nous avons vu que nous ne saurions la trouver en nous-mêmes. La considération attentive des faits, nous a conduits à reconnoître qu'elle réside dans l'accord des jugemens et des témoignages, c'est-à-dire dans l'autorité, hors de laquelle il n'existe qu'un doute absolu, éternel. De là vient que l'homme, à qui le doute est un supplice; l'homme, qui, pour vivre, a besoin de croire, cède à l'autorité et se détermine par elle, aussi naturellement qu'il respire. Que s'il essaie de se soustraire à cette loi universelle; outre qu'il n'y réussit jamais entièrement, parce qu'il ne lui est pas donné d'anéantir son intelligence, il est aussitôt puni de sa révolte insensée, par les ténèbres qui se répandent et s'épaississent sur son entendement. Devenu pour les

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