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et de son caractère qui ne le destinât à cette noble magistrature, et l'étendue de ses connaissances qui embrassaient toutes les parties des sciences ainsi que leur histoire, et l'impartialité supérieure de son intelligence secondée par sa modération naturelle, et le vif sentiment de la dignité de l'esprit humain, et l'alliance si rare d'un savoir profond et d'une imagination élégante. Moins piquant, mais plus instruit que Fontenelle, aussi précis et plus orné que d'Alembert, aussi riche en vues générales, mais plus pur, plus délicat, plus artiste que Condorcet, l'auteur de l'éloge d'Herschell est au premier rang des plus heureux interprètes des sciences. L'Académie Française voulut partager un aussi beau talent avec l'illustre compagnie à laquelle elle avait déjà emprunté Laplace et M. Cuvier. Ce nouveau lien l'attacha plus intimement encore à l'Institut. Il vivait en quelque sorte dans son sein. Ce n'est pas qu'il eût perdu ce vif intérêt, cette tendre sollicitude pour les destinées de la patrie et de l'humanité qui jadis l'avait jeté au milieu des affaires. L'âge et le malheur n'avaient pas glacé son cœur, mais il croyait avoir payé sa dette à la vie active, et c'est du port qu'il contemplait les orages. Il aimait toujours le monde, mais il vivait dans la solitude. Il se plaisait à y recevoir avec quelques amis éprouvés des jeunes gens passionnés pour les sciences ou pour les lettres. Aucun d'eux ne le visitait sans en recevoir d'aimables encouragements et des conseils utiles. Il répandait autour de lui comme un parfum d'honnêteté

et de bon goût. On ne pouvait le fréquenter, je le sais par expérience, sans aimer davantage et les sciences qui apprennent à connaître la nature, et ces études auxquelles il se plaisait à rendre leur antique nom d'humanités, parce qu'en effet elles sont comme les nourrices de l'humanité et les institutrices de la vie. Ce qui nous frappait surtout en lui, sans parler de la finesse de son esprit et de la richesse de sa mémoire, c'était son exquise bienveillance et son admirable désintéressement. C'étaient là ses deux vertus naturelles : il les pratiquait sans effort, parce qu'elles faisaient comme partie de lui-même. Dans toutes les positions, il avait vécu comme il l'aurait fait dans la cellule de l'école d'Auxerre, content d'une modeste aisance et sans souci du lendemain. Sous l'empire, il faisait deux parts de ses revenus, la première pour sa famille qui s'honorait de ses bienfaits, la seconde pour ses expériences; quant à lui-même et à son avenir, il n'y pensait point: 1815 le trouva presque sans ressources, et il n'a laissé ni dettes ni fortune. Il aimait tendrement les hommes et leur rapportait ses travaux les plus élevés comme ses moindres démarches. C'était par amour des hommes qu'il aimait les sciences, ce moyen si puissant de leur être utile. Son patriotisme était aussi de l'humanité. Il regardait comme un devoir de ne négliger aucun moyen d'être utile, et quand, abandonné par la fortune, affaibli par l'âge, il n'avait plus rien à donner, plus de services à rendre, l'aménité de ses manières et sa politesse affectueuse réfléchissaient

encore l'inépuisable bonté de son cœur. Il y avait de la profondeur jusque dans sa politesse, parce qu'elle tenait à la fois à sa nature et à une philosophie élevée. En un mot, c'était un véritable sage, une intelligence supérieure avec une àme sensible.

C'est au milieu de cette paisible solitude, en possession d'une vraie gloire, de la vénération publique et d'une bonne conscience, plein de nobles souvenirs et occupé de nobles travaux qu'il s'est éteint tout à coup, à l'entrée de la vieillesse.

Sans doute sa carrière aurait dû être plus longue pour les sciences qu'il aurait encore agrandies, et pour ses amis qui trouvaient un si grand charme dans son commerce; mais en elle-même elle est pleine et achevée, et quand je la considère sous tous ses aspects, elle me paraît heureuse. Oui, M. Fourier a été heureux, car Dieu lui avait donné une âme noble et un beau génie. Il a pu jouir de la beauté de l'ordre du monde et se pénétrer de la sagesse infinie de son auteur dans l'étude et la méditation de l'un des phénomènes les plus vastes de la nature. Il a connu, il a compris Lagrange; et ce qui vaut mieux encore, il a pu lire dans l'âme d'un Cafarelli, d'un Desaix, d'un Kléber; et dans ce commerce héroïque il a appris que la vertu, la liberté, la patrie ne sont pas de vains noms, et que les trahir ou en désespérer jamais est une faiblesse impie. Il a vu les plus vaillantes épées au service des. plus nobles desseins. Il a assisté à l'immortalité de ses amis; lui-même il a dû avoir le pressentiment de la

sienne. Si plus d'une fois il a gémi sur les malheurs de la patrie, il a cru à la puissance des lumières et au progrès irrésistible de l'humanité : il a vécu et il est mort dans cette foi.

Il ne lui a manqué que de vivre assez pour assister au grand spectacle qui lui aurait rappelé les plus beaux - jours de sa jeunesse. Il est mort quelques semaines avant celle qui ne périra pas dans l'histoire. Nos pères, messieurs, ont fait la révolution française, et ce serait une insulte à leurs mânes de vouloir recommencer leur ouvrage; mais ils nous avaient laissé l'honneur et comme imposé le devoir d'achever la révolution qu'ils nous léguaient, en lui donnant un gouvernement digne d'elle. Les deux puissances immortelles de la France, le roi et le peuple, le génie de la monarchie et l'esprit des masses se sont rencontrées : elles ne se sépareront plus. Ces généreuses institutions, achetées par tant de sang et de larmes, sont enfin remises à la garde d'un prince loyal et dévoué à la patrie. Reposons-nous à l'ombre du trône national, dans une concorde puissante qui nous permette d'ajouter à la liberté un peu de gloire, car c'est une parure qui lui sied bien, et il n'est si doux d'aimer la France et de la servir que parce qu'on sent que ses intérêts se confondent avec ceux de l'humanité entière, et que sa grandeur est l'espérance du monde.

NOTE ADDITIONNELLE

A L'ÉLOGE DE M. FOURIER,

LUE A L'ACADÉMIE FRANÇAISE,

dans une de ses séances particulières.

Dans un discours qui devait embrasser beaucoup d'objets, sans dépasser une demi-heure, j'ai dû choisir, entre les divers travaux scientifiques de M. Fourier, celui qui, par sa célébrité et son originalité, met le nom de son auteur parmi les noms immortels. Je n'ai parlé que de la théorie de la chaleur; et encore n'en ai-je pu dire qu'un mot je me suis borné à indiquer la place qui lui appartient dans l'histoire des grandes découvertes. Je voudrais aujourd'hui la faire un peu mieux connaître, et, sans entrer dans les profondeurs mathématiques de cette théorie, qui seraient inaccessibles à mon ignorance, la considérer du moins et vous la présenter dans ses résultats les plus frappants et dans ses grands rapports avec le système du monde.

Quand on essaye de se rendre compte de la chaleur répandue sur notre terre, rien de plus naturel que d'en

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