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dieux l'ardente sensibilité qu'il réprimait dans ses mœurs et dans sa conduite. Pourquoi n'est-il pas resté parmi nous à cultiver doucement ces heureux talents? Mais la passion de s'instruire l'entraîne en Italie. Le besoin de tout voir, et de tout bien voir en peu de temps, lui fait braver les plus rudes fatigues. Un problème d'érudition le retient des mois entiers autour de ces routes des Alpes, escarpées et couvertes de neige, qui se disputent l'honneur d'avoir servi de passage à Annibal. Il croit, après tant d'autres, avoir résolu le célèbre problème. Il revient, mais déjà tout blanchi et portant dans son sein des germes destructeurs. A peine de retour, il se livre à un travail excessif, et compose en quelques mois un volume entier, monument de labeur, de bonne foi, de sagacité et d'exactitude. Enfin son travail est achevé; il va être admis à l'honneur de le lire devant une savante compagnie (1); il ne s'agit plus que de choisir le jour; tout est prêt; il n'y a pas deux semaines encore, je m'enìretenais avec lui de ses prochains succès, de la carrière qu'ils allaient lui ouvrir; et le voilà aujourd'hui étendu sans vie, foudroyé par une maladie terrible et à jamais enlevé au bonheur et à la gloire! Voilà donc où viennent aboutir tant de nobles efforts, tant de douces vertus, tant de science et d'innocence! La mort vient nous chercher dans un cabinet paisible comme au milieu des hasards. Celui qui pour suivre une étoile

(1) L'Académie des Inscriptions.

aventureuse se jette dans les tempêtes de la vie, au risque d'y être brisé mille fois, a quelquefois traversé l'orage et regagné le port; et toi, pauvre jeune homme, sans avoir quitté le rivage, sans avoir connu ce monde, ni ses biens, ni ses maux, ni l'inquiétude de ses espérances, ni la misère de ses promesses, tu tombes à la fleur de l'âge comme affaissé sur toi-même !

Et toi qu'il m'est impossible de séparer de ton ami, toi qui remplissais son âme comme il remplissait la tienne, mon cher Viguier, à Dieu ne plaise que je cherche à te consoler ! Après une si longue absence, tu le revois un jour, et il t'échappe sans retour! La perte que tu fais est amère, inattendue, irréparable. Elle doit être et profondément et éternellement ressentie. Mais que la volonté et l'exemple de Larauza te soutiennent. Sa première loi fut de bien faire, vis pour bien faire aussi. Il faut supporter l'existence alors même qu'elle est flétrie, s'attacher à cette vie que l'on méprise parce qu'on peut y être utile encore, et on peut toujours l'être; on le peut puisqu'on le doit. Supporte donc avec force et douceur le malheur que Dieu t'envoie pour t'éprouver, non pour t'accabler.

Et vous, messieurs, nous surtout élèves de l'École normale, en quittant notre digne et excellent camarade, promettons-lui de l'imiter autant qu'il sera en nous dans ses mœurs, dans ses fortes croyances, dans son zèle pour la science et dans cette fraternité d'âme qui l'unissait à chacun de nous. Débris de jour en jour plus rares d'une école qui eût pu être grande et qui

TOME 1.

voulut être utile, puisque son nom seul nous reste, soutenons - le par notre union, par notre constance, par notre dévouement à tout ce qui est bien. Si nous ne pouvons changer la destinée, mettons-nous au-dessus par notre courage. Disputons à la mort et à l'injustice des hommes le souvenir de notre école bienaimée. Sa gloire ne peut plus être dans le nombre de ses enfants, mais dans les travaux et les vertus de ceux qui lui restent. Sous tous les rapports, nous ne pouvons prendre un meilleur modèle que l'homme vertueux et aimable auquel nous allons dire le dernier adieu. Pour moi, qui m'étonne d'être encore debout sur tant de tombes qui m'appellent, puissé-je à la fin de ma carrière ne pas paraître indigne d'avoir été un de ses amiş!

Adieu, mon cher Larauza, nous te remettons avec confiance entre les mains de Dieu !

DISCOURS

PRONONCÉ

AUX FUNÉRAILLES DE J.-G. FARCY,

Élève de l'école normale,

le 29 juillet 1831, jour anniversaire de sa mort.

Honneur à la mémoire de Farcy!

Celui qui repose sous cette tombe était le 28 juillet 1830 un jeune homme aimable, modéré dans ses opinions politiques, attaché à la vie par les plus douces affections et les plus nobles projets ; et le 29, il a tout sacrifié à la patrie. Il s'est indigné qu'on eût osé jeter le gant à la France, et il l'a ramassé avec cette colère généreuse qui fait faire les grandes choses, mais qui presque toujours aussi conduit à la

mort.

Adieu les frais ombrages d'Aulnay, les douces conversations, les beaux vers, les rêveries philosophiques. Il n'a pas même vu le triomphe de la sainte cause pour laquelle il a versé son sang. Mais n'ayons pas la faiblesse de croire que, mort ou vivant, et quelles que soient les apparences, celui qui a bien fait

soit jamais à plaindre. Non, Farcy, nous te pleurons, nous ne te plaignons pas. Là-haut, tu as dû rencontrer cette Providence bienfaisante qui préside à la mort comme à la vie, et qui, sans aucun doute, ne manque pas plus à l'âme des héros qu'à ce brin de paille que tout transforme et rien ne détruit. Ici-bas la patrie a recueilli ton nom; il est inscrit sur les murs du Panthéon, attaché à l'un des plus grands événement de l'histoire ; longtemps il fera battre les cœurs généreux; longtemps les braves le répéteront et l'apprendront à leurs enfants. Qui sait si trente années de travaux pénibles l'eussent conduit à un aussi grand résultat ? L'âge mûr ne tient pas toujours les promesses de la jeunesse ; la vie a ses distractions qui souvent ont enlevé à la gloire les plus heureux génies. Aujourd'hui, rien ne peut te ravir l'immortalité que t'a donnée une heure d'une énergie divine. Que cette heure soit donc bénie! Encore une fois, Farcy, nous te pleurons, nous ne te plaignons pas.

Espérons que la France de 1850, après une crise nécessaire et féconde, poursuivra paisiblement ses nobles destinées, et retrouvera en Europe le rang qui lui appartient par l'énergie et la modération de l'esprit public, par l'expérience et la sagesse du prince que nous avons mis à notre tête, par la sympathie des peuples et la prudence des rois. Mais s'il en était autrement, si de mauvais jours revenaient pour la France, si les factions ou si l'étranger, appuyé sur elles, venaient ternir ou arrêter notre belle révolution,

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