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de mesurer les heures de travail des enfants, employés dans nos manufactures, sur leur âge et sur leurs forces, et d'accorder au moins à la culture de leur âme quelques instants d'une journée jusqu'alors dévorée par un labeur sans relâche?

Mais je m'arrête, dans l'impuissance d'indiquer même tous les côtés de la vie de M. de Gérando par lesquels il nous appartient. J'ai écarté en lui le secrétaire ou le président de tant de sociétés utiles, l'administrateur de plusieurs grands établissements, le professeur qui a fondé l'enseignement du droit administratif en France, l'ancien secrétaire général du ministère de l'intérieur, l'un des vice-présidents du conseil d'État, le pair de France; je n'ai dû considérer dans M. de Gérando que le membre de notre Académie, et il m'échappe encore de toutes parts par la multitude de ses écrits et de ses services. En voyant ces députations des plus grands corps, ce concours de tant de personnes de toute condition, je me demande si les funérailles de plusieurs citoyens illustres se sont donné rendez-vous dans cette enceinte. Non, ce sont les funérailles d'un seul homme, mais d'un homme à qui rien d'humain n'était étranger. O vous qui ne voulez voir dans la philosophie que le mal qu'elle peut faire en s'égarant, venez apprendre ici quel dévouement peut inspirer aussi cette religion de la raison et du cœur !

Adorateur de Dieu, ami des hommes, M. de Gérando a passé sur la terre en faisant du bien, et il s'est éteint

doucement, satisfait de sa destinée, regardant avec une modeste assurance les souvenirs de sa longue vie, et rempli des meilleures espérances. La section de philosophie perd en lui le seul nom illustre qui lui restât de tant de noms illustres : elle n'est plus composée que d'hommes nouveaux. Mais leur fidélité à ces mémoires vénérées les soutiendra, et ils penseront souvent à M. de Gérando pour maintenir et animer en eux le sentiment de la dignité de la philosophie, et s'efforcer sans cesse de représenter en leurs travaux les deux qualités du vrai philosophe, de l'homme éminent qu'ils ont perdu : l'indépendance et la modération.

RAPPORT

FAIT

A LA CHAMBRE DES PAIRS

AU NOM D'UNE COMMISSION SPÉCIALE chargée de l'exaMEN du projet de loi sur l'instrucTION PRIMAIRE,

Le 21 mai 1833.

C'est surtout depuis la révolution de juillet que l'instruction primaire est le premier besoin du pays et du gouvernement.

Un pays qui veut être libre doit être éclairé, ou ses meilleurs sentiments lui deviennent un péril, et il est à craindre que, ses droits surpassant ses lumières, il ne s'égare dans leur exercice le plus légitime.

Un gouvernement qui, comme le nôtre, a loyalement accepté, à jamais et sans retour, le principe du gouvernement représentatif, c'est-à-dire la publicité et la discussion universelle, n'a d'autre force que celle que lui prête la conviction des citoyens, et il se trouve dans cette situation à la fois difficile et heureuse où la

propagation des lumières est pour lui une condition d'existence. La raison publique paye avec usure tout ce qu'on fait pour elle; elle punit par ses égarements les gouvernements qui la négligent, mais elle récompense ceux qui la cultivent par ses progrès mêmes, en répandant de jour en jour davantage, dans tous les rangs de la population, le respect des lois, les sentiments honnêtes qui accompagnent toujours les idées justes, le goût du travail et l'intelligence des biens qu'il procure, la modération des désirs, et cet amour éclairé de l'ordre qui est aujourd'hui le seul dévouement des peuples.

Aussi, dès les premiers jours de la révolution de juillet, le gouvernement s'est occupé sérieusement de l'instruction primaire, et lui a imprimé une impulsion puissante. La France entière est entrée dans cet utile mouvement. Les particuliers, les associations, les communes, les départements, l'État, ont rivalisé de zèle et de sacrifices. De beaux résultats ont été obtenus. Une loi était nécessaire pour les régulariser et les étendre, et donner à l'instruction primaire de l'avenir et de la durée.

Deux projets ont été tour à tour présentés aux chambres, qui déjà renfermaient d'excellentes parties; mais on regrette moins aujourd'hui que ces projets n'aient pu être discutés, puisque la loi soumise à vos délibérations, participant au progrès général, a pu recevoir du temps et de l'expérience d'heureux perfectionnements; elle a été reçue à l'autre chambre avec

une faveur dont la marque infaillible et rare est la presque unanimité des suffrages qu'elle a obtenue, et le très-petit nombre de modifications qu'une discussion approfondie y a introduites. Votre commission a examiné avec un soin scrupuleux et le projet du gouvernement et les amendements de la chambre des députés; et en me chargeant de l'honorable tâche de vous exposer les résultats de son travail, le premier ordre qu'elle m'a donné est celui de vous exprimer son plein assentiment à la pensée fondamentale de la loi.

L'exposé des motifs nous présente cette loi comme essentiellement pratique. Et ce caractère, qu'un examen consciencieux ne peut lui refuser, elle l'emprunte à un autre caractère plus élevé encore.

Aux premiers pas que l'on fait dans la matière assez compliquée de l'instruction primaire, on y rencontre un certain nombre de principes opposés entre eux en apparence, qui se disputent l'honneur de résoudre toutes les difficultés, et dont chacun en effet, pris en lui-même, est d'une vérité si frappante qu'il obscurcit tous les autres, et d'une si grande portée qu'on est bien tenté de s'y abandonner et de le prendre pour guide unique. Ce principe engendre avec une facilité merveilleuse une suite de dispositions dont le bel ensemble offre une unité qui impose et une simplicité qui séduit. Mais cette simplicité est un piége, cette unité un écueil. Car les autres principes ne sont pas détruits, parce que la théorie les a sacrifiés ; ils reparaissent, aussitôt qu'on met la main à l'œuvre, et leur action,

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