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Paroles prononcées par M. VANDER HAEGHEN au sujet de la mort d'Ewart William Gladstone.

On peut dire, sans aucune exagération, que l'humanité civilisée tout entière porte le deuil du grand citoyen que l'Angleterre vient de perdre. Homme d'État illustre, Gladstone est pleuré par sa patrie qui n'oubliera jamais le dévouement éclairé et l'indomptable énergie qu'il mit à la servir; il est regretté non moins par tous les peuples opprimés, par tous les faibles dont il prit la défense avec tant d'éloquence. Doué d'une vaste intelligence, il portait, en effet, ses regards au loin, et, partout, se faisait le défenseur de la vérité et du droit; toutes les causes justes, toutes les idées généreuses éveillaient en lui d'actives et efficaces sympathies. Aussi jouissait-il d'une popularité universelle.

Pour ce qui concerne en particulier la Belgique dont il fut souvent l'hôte fêté et honoré, vous savez tous, Messieurs, combien la nouvelle de sa mort a eu parmi nous un profond et douloureux retentissement.

Mais je dois me borner à rappeler ici que Gladstone appartenait à notre Compagnie; depuis 1882, nous avions l'honneur de le compter au nombre de nos membres associés étrangers.

C'est que William Gladstone était aussi un érudit et un lettré distingué: l'étendue exceptionnelle de son esprit se révéla presque autant par un ensemble étonnant de productions littéraires que par les réformes politiques dont il fut l'ardent promoteur.

Au sortir de l'Université d'Oxford, il débuta par une

3me SÉRIE, TOME XXXV.

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œuvre d'érudition, et aux derniers jours de sa longue et glorieuse existence, c'est encore de la publication d'études qu'il est occupé.

Nous le voyons, tour à tour, prendre part aux polémiques religieuses, même aux controverses théologiques. et traiter à fond les questions les plus actuelles de l'économie et de la sociologie.

Chargé en 1858, par lord Derby, d'une mission en Grèce, il rapporte de ce voyage un travail sur Homère, et, à diverses reprises, son amour de l'antiquité lui inspira des études qui, à elles seules, eussent déjà assuré à son nom une enviable notoriété.

Il ne négligeait pas les littératures modernes, et l'on sait qu'il se passionna pour la langue du Dante.

Dans une carrière si active, si bien remplie, et qui est inséparable de l'histoire politique du XIXe siècle, c'est surtout cet empressement à reprendre toujours le travail littéraire dès qu'un moment de loisir le permet, c'est ce retour constant et fidèle aux fortes études qui nous charme et que les amis des lettres ne se lasseront pas d'admirer.

M. BANNING a fait, de son côté, la communication suivante :

II y a quelques jours, Messieurs, le peuple anglais, confondu dans un sentiment général de vénération et de douleur, célébrait à l'abbaye de Westminster les funérailles d'un de ses plus grands citoyens. Son deuil est celui de tous les hommes qui, dans la vie publique comme dans la vie privée, maintiennent haut le principe

du devoir, ne consentent à le subordonner à aucune autre considération, ne séparent pas la loi morale de l'exercice mème du pouvoir. C'est le deuil de ceux qui mettent audessus de toute grandeur humaine ces vertus viriles qui sont la droiture, la loyauté, l'absolue sincérité des paroles et des actes. C'est aussi, à un titre particulier, un deuil pour l'Académie royale de Belgique.

Depuis 1882, W. Gladstone était associé de la Classe des lettres. En l'appelant dans leurs rangs, nos prédécesseurs durent envisager principalement ses publications littéraires; elles étaient importantes et n'ont cessé de s'accroître. Ses travaux sur Homère et l'âge héroïque de la Grèce, sur l'histoire romaine, sur les rapports de l'État et de l'Église, ses polémiques retentissantes de l'ordre politique ou religieux, eussent suffi pour lui assurer une place éminente parmi les écrivains et les penseurs de notre époque.

Mais ces mérites, si éclatants qu'ils fussent, disparaissent en quelque sorte dans le rayonnement supérieur de l'homme d'État. Dans la séance historique du 20 mai, le Parlement britannique, par l'organe de ses chefs, sans distinction de parti, a rappelé ce que Gladstone a fait pour son pays. Son œuvre économique, financière, législative, politique, est immense; elle s'inspire d'une commune pensée de progrès et d'équité. La presse du monde civilisé s'est associée à cet hommage; rarement une manifestation d'opinion publique a revêtu un tel caractère d'unanimité.

C'est que Gladstone a été plus qu'un grand citoyen de l'Angleterre. Si vaste que soit l'empire de sa patrie, son action en a dépassé les limites: il a vécu et combattu pour l'humanité. Partout où il y eut une cause sainte à

défendre, sa voix s'est élevée puissante pour accuser ou protéger, tour à tour consolatrice ou vengeresse. Dans une heure critique, la Belgique a connu les effets de cette généreuse sollicitude et contracté envers sa mémoire une dette sacrée. Le traité de garantie du 9-11 août 1870, dont il prit l'initiative, a créé entre elle et la GrandeBretagne un lien inoubliable, et les paroles que prononça en cette circonstance son premier ministre, demeurent une protestation vivante du droit contre la violence.

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Sur nul autre terrain, Gladstone n'a été plus grand : il y obéissait à l'impulsion d'une àme dont la noblesse n'eut d'égale que l'ampleur de l'intelligence, l'énergie de la volonté. Depuis 1851, quand il publia les célèbres lettres au comte d'Aberdeen pour dénoncer les horreurs des prisons napolitaines, jusqu'à cette autre lettre. non moins émouvante, au duc de Westminster sur les massacres d'Arménie et l'émancipation de la Crète, datée de Cannes, 15 mars 1897, c'est son dernier écrit, pendant un demi-siècle, en Asie, en Bulgarie, en Grèce, en Irlande, Gladstone s'est montré le refuge du droit, le champion des opprimés, l'apôtre de la civilisation. Ce fut l'unité et l'honneur de sa vie, dominée du commencement à la fin par un haut idéal de justice et de liberté. Sa carrière, illuminée par une foi chrétienne intense, a été une longue et constante ascension vers les sphères lumineuses où son esprit aspirait par toutes ses puissances : ad excelsiora. La conscience universelle, dont il fut le témoin incorruptible, perd en lui un interprète éloquent, auguste entre tous. Le genre humain se sent appauvri devant ce cercueil comme si une vertu supérieure s'était retirée de lui.

Au moment où Gladstone entre dans l'histoire, enve

loppé d'une incomparable auréole, accompagné des sympathies de tous ceux qui ont sur cette terre le culte du juste et du bien, la Classe des lettres de l'Académie, au nom des sciences morales et politiques qu'elle représente, unit sa voix à ce concert des nations et dépose sur la tombe de son glorieux Associé le tribut de son admiration et de son respect.

NOTE BIBLIOGRAPHIQUE.

J'ai l'honneur de présenter à la Classe des lettres, au nom de l'auteur, M. Guillaume Des Marez, docteur en philosophie et lettres et en droit, un ouvrage intitulé : Etude sur la propriété foncière dans les villes du moyen åge et spécialement en Flandre, avec plans et tables justificatives (Gand et Paris, xxv-392 pages in-8°). Cette importante monographie forme le vingtième fascicule du Recueil de travaux publiés par la Faculté de philosophie et lettres de l'Université de Gand.

Malgré le grand intérêt qu'il présente, le sujet abordé par M. Des Marez est resté jusqu'ici assez négligé, tant par les historiens que par les juristes. C'est sans doute que, pour le traiter comme il le mérite, il faut être initié à la fois à la méthode de l'histoire et à la connaissance du droit. Quoi qu'il en soit, depuis l'apparition, en 1861, de la célèbre Geschichte des Eigenthums in den deutschen Städten de W. Arnold, on ne pourrait citer que bien peu de travaux relatifs à l'histoire de la propriété foncière urbaine. La plupart d'entre eux se rattachent plus ou moins directement à l'œuvre d'Arnold et, comme elle,

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