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Les membres de toutes les maisons souveraines, pourvu qu'ils soient successibles ou du moins de la même origine que les successibles, sont, quant au rang, égaux entre eux et de naissance égale. Cette règle toutefois n'a rien d'obligatoire, et les traités et les statuts des familles souveraines en ont souvent élargi les limites. C'est le manifeste impérial de Russie du 20 mars 1820 qui maintient avec le plus de rigueur les règles de l'égalité de naissance.'

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Tous les membres de la famille souveraine, de même que l'épouse du chef de l'État, sont ses sujets. Ce dernier point était autrefois très-controversé, surtout en Allemagne, à cause de la constitution spéciale de l'Empire germanique. Mais en thèse générale, la question ne peut recevoir d'autre solution légale que celle que nous venons d'indiquer. L'époux même d'une souveraine, dès qu'il a établi son domicile dans le territoire de celle-ci, devient sujet de l'État, à moins qu'il n'ait droit à une position exterritoriale. Les rapports légaux des membres des familles souveraines étant exclusivement régis par l'autorité du chef de l'État, et subsidiairement par les statuts et les usages particuliers, ils ne peuvent devenir l'objet d'une intervention étrangère que par voie d'une simple intercession, ou lorsqu'elle s'appuie sur la violation de droits stipulés. En effet les liens de famille, qui reposent sur la nature et la morale, continuent à subsister malgré le mariage, et ils créent le droit comme le devoir d'assistance réciproque: une maison souveraine peut donc intercéder d'une manière efficace en faveur de ses membres mariés à l'étranger, lorsqu'ils sont l'objet de mauvais traitements.*

D'après les usages reçus, les membres d'une famille souveraine ne jouissent pas de l'exterritorialité en pays étranger, bien qu'ils y soient reçus avec les égards dus à leur rang. Toutefois les héritiers de trône sont l'objet d'une attention spéciale et

1) V. sur les usages des différentes maisons régnantes de l'Europe: Hallische Allg. Lit.-Zeit. 1829, Mai No. 96 suiv.

2) Moser, Familien-Staatsr. II, 338. 471. Klüber, Oeffentl. Recht. § 249.
3) Moser, Staatsr. XX, p. 388 suiv. Struvii Imper. heroic. II, 438.
4) de Martens, Völkerr. § 170. Günther II, p. 491.

honorés même quelquefois, bien que non d'une manière générale, des priviléges d'exterritorialité.'

Le Co-régent régnant, ainsi que le régent souverain, jouissent, à l'exception des titres, des mêmes droits que les souverains.

RAPPORTS PRIVÉS DES FAMILLES SOUVERAINES.

§ 56. Dans leurs rapports privés, les membres des familles souveraines, à l'exception du prince régnant, sont régis, comme les autres regnicoles, par les lois générales du pays, à moins que celles-ci n'établissent des exceptions en leur faveur, ou qu'ils ne jouissent d'un droit spécial de famille, ainsi que cela se pratique en Allemagne. On y rencontre même un droit privé commun des princes, qui, il est vrai, se confond souvent avec le droit public du territoire."

Quant au souverain, bien qu'il ne relève pas directement de l'autorité des lois civiles en ce sens qu'il ne peut faire l'objet d'aucune espèce de poursuite personnelle, il n'en est pas moins vrai que, quant aux modes d'acquisition et de poursuite des droits purement civils, il est tenu de les observer, et ne peut s'en dispenser que dans les cas où il pourrait en affranchir ses propres sujets. Ce qui sera vrai alors surtout que, par une violation des lois civiles, il viendrait à froisser les sentiments de justice du pays. Car les lois d'une nation forment sa morale, et il n'est dans le pouvoir de personne de rendre moral ou légal ce qui est profondément immoral ou contraire aux lois de la justice.

Le droit romain, déjà tout en établissant la maxime célèbre:,, princeps legibus solutus est", y a ajouté cependant ce tempérament qu'il était plus digne du prince de se soumettre aux lois dans les affaires privées. Et c'est la règle généralement admise dans la pratique moderne des nations, là du moins où le caprice du souverain ne forme pas la loi exclusive. Car

1) Schmelzing § 211.

2) Les ouvrages qui traitent de cette matière sont indiqués par Maurenbrecher, Grundrifs des deutschen Staatsr., avant le § 227.

3) L. 23. Dig. de legat. III. 1. 4. Cod. de legibus § fin. J. quemadm. testam. infirm.

les nations modernes n'admettent d'autre droit que celui des lois. C'est ainsi que la jurisprudence anglaise interprète cette autre maxime:,, the king is not bound by any statute unless expressly named therein." Il en est encore de même dans les monarchies absolues de l'Allemagne. L'inviolabilité du souverain s'oppose seulement à toute espèce d'exécution personnelle.

PERTE DE LA SOUVERAINETÉ PERSONNELLE.

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§ 57. La souveraineté du prince cesse par son décès: car le prince décédé ne peut avoir de droits, mais bien sa famille, qui a ceux de respecter sa mémoire et de la faire respecter par les autres. La souveraineté se perd encore par suite d'une déchéance ou d'un dépouillement de l'autorité suprême, déchéance qui peut être soit définitive, lorsqu'elle est l'effet d'une cause légitime, politique ou internationale, soit seulement temporaire, lorsqu'elle est la conséquence d'une violence illicite (sedes impedita), non exclusive de l'esprit et du droit de retour (postliminium. Voir livre II. § 185 et suivants ci-après). Les convenances seules peuvent guider les autres souverains s'ils doivent continuer à accorder au souverain déchu les titres et les honneurs précédents, tandis qu'ils ne doivent pas le refuser au souverain empêché temporairement dans l'exercice du pouvoir, alors surtout qu'ils reconnaissent expressément ses droits d'y rentrer. L'histoire fournit des exemples nombreux de souverains auxquels des honneurs royaux ont continué à être accordés, même après leur abdication: citons celui de la reine Christine de Suède (1654-89) qui, pendant son séjour en France, réclamait non seulement le droit d'exterritorialité, mais aussi celui de juridiction; ensuite celui du roi Stanislas Lescinski (1709-1766), tandis que d'autres, p. ex. le roi Charles IV d'Espagne (depuis 1808), Gustave IV de Suède, enfin le roi Louis de Hollande se sont retirés tout-àfait dans la vie privée.

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Il est inutile d'ailleurs d'observer que dans les relations internationales les actes souverains du prédécesseur rendus con

1) L. 1. § 4. 6. D. de injuriis.

2) V. Bynkershoek, De jud. legat. chap. III, 4 et 16. de Martens, Nouv. Causes célèbres. t. II. Append. no. IV.

formément aux lois fondamentales d'un pays obligent ses successeurs.1

SECTION IV.

RAPPORTS INTERNATIONAUX DES SUJETS DES DIFFÉRENTS ÉTATS.

CLASSIFICATIONS.

§ 58. Les personnes sont soumises aux lois d'un État soit d'une manière absolue (membres ou sujets de l'État), soit sous certains rapports seulement.

Sont considérés comme membres ou sujets de l'État, d'après le droit international:

1o Les regnicoles, c'est-à-dire tous ceux qui sont établis dans le territoire d'un État à demeure perpétuelle, peu importe qu'ils y soient nés ou qu'ils y aient fixé leur domicile; 2o les personnes qui, d'une manière définitive, y sont entrées en service, soit dans les armées de terre ou de mer, soit dans l'administration civile;

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3o les femmes de ces personnes, de même que les enfants légitimes d'un père, les enfants naturels d'une mère, et les enfants nés à l'étranger de parents regnicoles, tant qu'ils n'ont pas la capacité civile nécessaire pour choisir leur domicile. Jusqu'alors l'enfant doit être regardé comme étant régi par les lois du pays auquel appartiennent ses parents, quoique les tribunaux du pays où l'enfant réside, ne prennent pas toujours en considération la nationalité de ses parents;

4o enfin les enfants trouvés dans un pays, si leur vrai domicile n'a pu être constaté.

Le droit public interne indique les droits politiques et civils dont jouissent ces différentes classes de personnes, ainsi que celles qui, en dehors de ces catégories, jouissent également des droits de cité. Il est évident d'ailleurs que l'extension donnée

1) L'indication des auteurs qui ont traité cette question dans toute son étendue, se trouve dans Maurenbrecher, Staatsr. § 243 b et Zachariae, Staats- und Bundesr. § 58.

2) Vattel I, 19. § 215. Quant aux enfants nés sur mer v. § 78 ci-après.

par les lois d'un État à la qualité de sujet, ne peut porter aucun préjudice aux dispositions des lois établies ailleurs.

Sont considérés comme sujets d'un État sous certains rapports seulement (subditi secundum quid) les personnes ci-après dénommées, savoir:

les étrangers possédant des immeubles dans un territoire ou y exerçant certains droits qui les font assimiler aux regnicoles (forenses, foranei, cives qui foras habitant), sujets mixtes quant aux propriétés;'

les étrangers qui font un séjour plus ou moins prolongé sur le territoire (albini, alibi nati, aubains).2

CARACTÈRE INTERNATIONAL DES RAPPORTS DE SUJÉTION.

§ 59. L'État qui dans ses limites concourt à l'oeuvre générale du développement du genre humain, ne doit pas méconnaître le caractère essentiellement libre des rapports de sujétion, auxquels les regnicoles ont la faculté de renoncer en s'expatriant.3 Le droit d'émigration, une fois reconnu, peut sans doute être réglementé par l'État. Les lois peuvent notamment imposer l'obligation d'en donner un avis préalable aux autorités locales, avis qui fournira à ces dernières le moyen de s'assurer si l'émigrant a satisfait à tous ses engagements, et d'exiger de lui une caution destinée à assurer l'accomplissement de ceux qu'il doit remplir encore. Autrefois il était d'usage d'exiger des émigrants le sacrifice d'une portion de leur patrimoine. Les traités internationaux n'ont pas encore aboli tous les restes de cette coutume barbare.

A la question d'émigration vient se rattacher naturellement une autre. Le sujet d'un État peut-il être à la fois sujet d'un autre ou sujet mixte? Cette double nationalité, bien que tolérée dans une grande partie de l'Europe, a été proscrite expressé

1) V. l'article de Jordan, inséré dans le Staats- Lexicon. VI, 361. 2) Une dissertation complète sur ces diverses catégories se trouve dans Schilter, De jure peregrinorum, dans ses Exercitatt. ad Digesta. Gaschon, Code des Aubains. Paris 1818.

3) V. ci-dessus § 15. Merlin, Répert. m. Souveraineté. § 14. Zachariae, 40 Bücher vom Staate. Liv. IV, 1. 258.

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