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les belligérants. Nous admettons à cet égard avec les principaux publicistes plusieurs subdivisions.

Nous distinguons d'abord la neutralité complète ou stricte de la neutralité incomplète. La première a lieu lorsqu'on s'abstient d'une manière absolue de favoriser aucune des parties belligérantes. La seconde a lieu lorsqu'un peuple se relâche un peu de la rigueur du principe ci-dessus exposé. C'est ce qui a lieu notamment dans les suivants:

Premièrement: lorsqu'une puissance, avant le commencement des hostilités, et non pas en vue même d'une guerre actuelle, a promis à l'un des belligérants des secours, pourvu que, purement défensifs, ils ne présentent aucun caractère agressif, que l'autre partie ne s'y oppose pas et qu'au surplus les conditions de la neutralité soient observées par elle (§ 117 ci-dessus);1

Secondement: lorsqu'une puissance accorde les mêmes faveurs à toutes les parties belligérantes ou seulement à l'une d'entre elles, soit en vertu de conventions antérieures, soit avec le consentement des autres parties, soit enfin d'une manière passagère et de bonne foi dans des cas urgents.

On distingue en outre la neutralité générale du territoire entier d'une nation de la neutralité partielle qui n'embrasse qu'une portion de ce territoire."

CAUSES ET FIN DE LA NEUTRALITÉ.

§ 145. La neutralité est un droit naturel qui résulte de la liberté et de l'indépendance des nations. Mais elle peut également être réglée librement et garantie par les traités, ou bien encore elle peut avoir un caractère de nécessité permanente. C'est

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Quaest. 1, chap. 8-15. de Martens, Völkerr. VIII, 7. Klüber, Droit des gens. § 279 suiv. Wheaton, Intern. Law. IV, chap. 3. Oke Manning p. 166. Pando p. 455. Ortolan II, p. 65. Hautefeuille, Droits des nations neutres en temps de guerre maritime. Paris 1848. 4 vol. Riquelme p. 141. 270.

1) Exemples: Le traité des Pyrénées (7 novembre 1659) art. III. Du Mont, t. VI, part. II, p. 265; la politique des Provinces - Unies lors de la guerre de 1658 et de 1659 entre le Danemark et la Suède. Nau, Völkerseerecht. § 233. 234. Schmidlin § 10. Hautefeuille I, 382–393. 2) Moser, 1. c. p. 154.

3) Hautefeuille t. I, p. 393.

ainsi que les traités de Vienne ont proclamé la neutralité perpétuelle de la Suisse et de la ville libre de Cracovie, et les traités de 1831 celle de la Belgique. Les États ne sont pas toujours libres de garder la neutralité. Divers motifs les obligent souvent à prendre le parti de l'un des belligérants. Ainsi les États liés entre eux par des pactes de famille refuseront difficilement de se prêter mutuellement des secours, soit que l'un d'entre eux vienne à être attaqué, soit qu'il se dispose à prendre l'offensive. Il faut en dire autant des pays qui font partie d'une confédération politique investie du droit de déclarer la guerre;' ou bien des pays liés entre eux par une union réelle, peu importe d'ailleurs que les rapports qui servent de base à leur union, reposent sur le principe d'égalité ou non. Par contre l'union purement personnelle de deux territoires distincts sous un souverain commun n'est en aucune manière exclusive de la faculté pour chacun de maintenir sa neutralité, pendant que l'autre est engagé dans une guerre.

Chaque nation a le droit incontesté de défendre avec les armes la neutralité par elle proclamée et de repousser par la force toute atteinte de nature à la troubler. Elle prendra à cet effet les mesures qui lui paraîtront les plus convenables, à la seule condition de ne pas dépasser le but proposé. Ces mesures portent le nom de neutralité armée. De puissantes alliances se

1) Déclaration des puissances alliées du 20 mars 1815, suivie de l'acceptation du Conseil fédéral du 27 mai. Acte du Congrès de Vienne art. 84. 92. Acte d'approbation du 20 novembre 1815. de Martens, Suppl. t. VI, p. 157, 173, 740. La neutralité d'une partie de la Sardaigne est garantie par l'art. 92 de l'Acte du Congrès de Vienne, et par le protocole du 3 novembre 1815. Martens, Nouv. Recueil. t. IV, p. 189.

Pour Cracovie v. la convention du 3 mai (21 avril) 1815 art. 6 et Acte du Congrès art. 118. de Martens, à l'endroit cité p. 254. 429.

Pour la Belgique traité séparé du 15 novembre 1831 art. 1. Nouv. Recueil. t. XI, p. 394. Traité du 19 avril 1839 art. 7. Nouv. Recueil. t. XVI, p. 777. V. l'excellente brochure de Arendt, Essai sur la neutralité de la Belgique. Brux. et Leipz. 1845.

2) Pour la Diète germanique v. l'Acte final de Vienne art. 41.

3) Pour la Suède et la Norvége v. le traité d'union du 31 juillet et du 6 août 1815 art. 4. de Martens, Nouv. Recueil. t. II, p. 612. V. en général Galiani I, chap. 3.

sont formées sous cette bannière, et l'histoire moderne en a enrégistré plusieurs de très-célèbres.

La neutralité prend fin par une déclaration de guerre faite soit à la puissance neutre par l'un des belligérants, soit par celle-ci en faisant cause commune avec l'une des parties; ou bien encore par une ouverture directe des hostilités. Mais l'expiration du délai fixé pour la neutralité d'une puissance n'a nullement pour effet d'y mettre un terme, en lui faisant succéder un état de guerre.'

DEVOIRS DES NEUTRES.

§ 146. La neutralité entraîne avec elle certaines obligations, certains devoirs, que les nations doivent remplir si elles veulent jouir de ses bienfaits. Ces devoirs sont principalement au nombre de trois qui renferment tous les autres:2

Premièrement, intervention contre des actes d'hostilité tentés par l'un des belligérants contre l'autre sur le territoire neutre. Deuxièmement, abstention de tout acte de nature à gêner les opérations militaires de l'un des belligérants en dehors du territoire neutre.

Troisièmement, impartialité complète dans les relations avec les deux belligérants et abstention de tout acte ayant un rapport direct aux hostilités. Par conséquent le neutre ne doit fournir à l'un des belligérants aucun secours propre à augmenter ses forces, ou à donner à l'attaque ou à la défense des chances plus grandes de succès. Peu importe d'ailleurs qu'on offre à l'une des parties les secours qu'on a donnés à l'autre. Cette prétendue impartialité, dont plusieurs anciens publicistes ont fait une sorte de sauvegarde, est une formule insignifiante, un faux semblant d'impartialité incapable de changer la face des choses.3

Le souverain qui viole l'un de ces devoirs, perd ses droits à la neutralité et peut être traité en ennemi. Il s'expose non seulement à des représailles, mais aussi à une déclaration de guerre immédiate de la part du belligérant lésé.

1) Moser, loc. cit. p. 491.

2) Klüber § 287.

3) M. Pöhls, Seerecht. IV, p. 1076 (§ 513 in fine). Arendt, 1. c. p. 108.

La neutralité incomplète ou limitée s'interprète de la manière la plus stricte. Chacun des belligérants a incontestablement aussi le droit de s'opposer de toutes ses forces à l'envoi de secours à l'autre partie, quel qu'en soit le motif, à moins d'une renonciation expresse de sa part.' Mais il ne peut se prévaloir de ce que ces secours ont été fournis, pour en exiger de semblables."

DÉVELOPPEMENT DES RÈGLES PRÉCÉDENTES.

§ 147. Conformément à la règle première indiquée au paragraphe précédent, le neutre doit s'opposer de toutes ses forces à ce que l'un des belligérants commette sur son territoire des actes d'hostilité sur les personnes ou les biens de l'autre.3 S'il est trop faible pour résister au belligérant, s'il n'a concédé le passage de son territoire que lorsqu'il y a été contraint et forcé, il doit du moins s'abstenir de tout acte approbatif de nature à légitimer des violations ultérieures. Il ne refusera pas un asile aux troupes poursuivies par l'ennemi, pourvu que cet acte d'hospitalité puisse se concilier avec sa position de neutre.*

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Par une application analogue, un gouvernement neutre ne doit pas permettre à ses tribunaux de statuer sur la validité des prises faites par les belligérants ou par l'un d'entre eux, sauf les cas où la compétence de ces tribunaux résulte de la nature particulière des faits et des circonstances, ainsi que nous l'indiquerons au § 172.

Les secours fournis par humanité, soit isolément soit en masse, aux victimes de la guerre de l'une ou de l'autre partie ont toujours été considérés comme des actes inoffensifs et exempts de tout reproche. Pareillement le passage dans les

1) Nau, Völkerseerecht. § 233 in fine.

2) Les contestations qui à ce sujet ont eu lieu entre l'Angleterre et les États-Unis, sont racontées par Wheaton IV, 3, § 3.

3) Hautefeuille t. I, p. 444. Pour le droit d'asile v. § 149.

4) Bynkershoek, Quaest. jur. publ. I, chap. 8. de Martens, Caper. § 18. Wheaton IV, 3, § 4. 6. 7. 9. Bouchaud, Théorie des traités de commerce. p. 183. Pando p. 462. Hautefeuille t. I, p. 429. 454.

5) Wheaton, Elem. II, 94. Ortolan II, 266. Pando p. 467, 17.

eaux qui longent les côtes d'un territoire, n'est pas réputé constituer une violation de la neutralité.'

Suivant la règle troisième du paragraphe précédent, le neutre doit s'abstenir de fournir à l'un des belligérants aucun secours de nature à augmenter ses forces, de donner à l'attaque ou à la défense des chances plus grandes de succès. Il ne peut céder à l'une des parties aucune place fortifiée ni aucun port de guerre. Le souverain qui fournit directement et gratuitement à l'un des belligérants des armes, des munitions de guerre, des vivres, de l'argent, enfin tout ce qui peut servir à faire ou à soutenir la guerre ou à augmenter ses forces et ses ressources, cesse d'être neutre. Il ne doit pas permettre dans ses États des enrôlements de soldats. Autrefois on voyait assez souvent des princes louer ou céder en quelque sorte leurs troupes, non pas en vertu de traités d'alliance antérieurs à la déclaration de guerre, mais dans un pur esprit de fiscalité. Pour l'honneur de l'humanité nous espérons ne plus voir ce trafic honteux se renouveler. Rien d'ailleurs n'empêche la puissance qui se croit lésée par un marché semblable, de prendre des mesures énergiques pour en arrêter l'exécution. L'usage de ces marchés, connus souvent sous le nom de conventions militaires, s'est maintenu jusqu'à nos jours dans la confédération suisse. Néanmoins nous osons émettre quelques doutes sur la légalité de pareilles conventions, lorsqu'elles ont été passées avec l'une des parties belligérantes. Comment en effet la confédération pourra-elle en concilier l'exécution avec la neutralité perpétuelle qui lui a été garantie par les grandes puissances?

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Il y a une autre question sur laquelle les anciens auteurs sont tombés dans une grave erreur. Ils ont prétendu que le belligérant avait le droit absolu d'exiger le passage de ses armées sur le territoire neutre toutes les fois qu'il en avait besoin ou qu'il le jugeait à propos, et que le souverain neutre ne pouvait le refuser sans commettre une injustice. Non seulement le

1) Wheaton, Elem. I, p. 252. Ortolan II, p. 241.

2) Arendt p. 105. Hautefeuille I, p. 450. 462.

3) Une excellente dissertation historique et théorique sur la question se trouve dans Oke Manning p. 170. V. aussi Hautefeuille t. I, p. 433.

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