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C'est un usage très-ancien fondé en partie sur les dispositions des lois romaines et sur les doctrines des romanistes, qui autorise les belligérants à s'emparer des objets de contrebande transportés vers les ports ennemis, et à faire valider la saisie par un acte connu sous le nom de jugement ou de déclaration de bonne prise. Le navire saisi ne peut être déclaré de bonne prise que dans le cas où ses armateurs ou propriétaires avaient pleine connaissance de la destination clandestine du chargement ou de la cargaison." Dans plusieurs traités, une exception a été expressément admise en faveur des navires saisis: ils permettent au capitaine de continuer librement le voyage, après avoir abandonné les objets prohibés trouvés à bord. D'ailleurs le capitaine n'est sujet à aucune responsabilité personnelle: les usages internationaux n'admettent plus aujourd'hui d'autres pénalités que la saisie du navire ou seulement de la cargaison en totalité ou en partie.

En ce qui concerne les choses non comprises sous la dénomination d'objets de contrebande, ni d'après les règles générales, ni d'après les conventions spéciales, les belligérants ne peuvent les saisir sous aucun prétexte. Cependant on a vu souvent ces derniers élever la prétention d'avoir le droit d'arrêter les navires neutres destinés pour les ports ennemis et de s'approprier les cargaisons qu'ils portaient, en en payant le prix aux propriétaires. C'est ce que l'on appelle le droit de préemption.* Déjà dans l'ancienne jurisprudence française on rencontre un pareil usage: quelquefois, lorsqu'il s'agissait d'objets de contre

1) V. sur les origines de cette juridiction Wheaton, Histoire. p. 82 (2 édit. p. 179).

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2) V. déjà à ce sujet la loi 11. § 2. D. de publicanis. Jacobsen, Seerecht. p. 642. Oke Manning p. 309: il cite la „haute autorité" de Bynkershoek et de William Scott. Pando p. 496. Wildman II, p. 216. Hautefeuille IV, p. 343. Dans la pratique on ne respecte pas toujours cette distinction. Pour la jurisprudence française v. Ortolan p. 180 et Jacobsen p. 656.

3) Les traités entre les États de l'Amérique du Nord et ceux du Sud, cités plus haut page 309 note 2, accordent expressément au capitaine cette faculté. V. aussi de Steck, Handelsverträge. p. 208. 209.

4) Pöhls IV, § 520, p. 1127. Oke Manning p. 313. Hautefeuille II, p. 271.

bande, le droit de préemption remplaçait celui de prise.' Plus tard ce prétendu droit a été appliqué surtout, avec plus ou moins d'équité, aux choses connues sous le nom de contrebande par accident.2 D'ailleurs il n'a jamais formé une règle généralement reconnue du droit international. Au fond il ne sera toujours qu'un acte arbitraire, une atteinte portée à la liberté et à l'indépendance du pavillon neutre. Vainement, pour le colorer, le belligérant invoquera-t-il la nécessité de nuire à l'ennemi. Quelle est la nécessité qui lui permet de nuire aux peuples pacifiques? En tout cas, l'indemnité due aux propriétaires neutres devrait du moins comprendre non seulement le prix des denrées saisies, mais aussi le gain dont ils ont été privés (lucrum cessans). La pratique de certaines nations ne l'a pas entendu ainsi, et elle a trouvé des juges tels que William Scott, qui ont étayé d'arguments spécieux leurs iniques décisions.3

Il y a des traités qui ont proscrit la confiscation des objets mêmes de contrebande proprement dite, en la remplaçant par une simple saisie avec indemnité. Cette disposition se trouve notamment dans le traité conclu le 11 juin 1799 entre la Prusse et l'Amérique du Nord, et elle a été renouvelée dans celui du 1" mai 1828; mais elle ne subsiste plus de nos jours.

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TRANSPORT DES PROPRIÉTÉS DES BELLIGERANTS
PAR LES NAVIRES NEUTRES.5

§ 162. Le droit de guerre si heureusement modifié et restreint pour les guerres de terre, existe encore dans toute sa latitude pour les guerres maritimes. Il a survécu dans sa négation du droit des propriétés privées et de ceux des sujets étrangers aux opérations de la guerre. Les belligérants peuvent

1) V. l'Ordonnance de 1584 art. 69. Grotius III, 1. 5. no. 6.

2) Jacobsen, Seerecht. p. 656. Wheaton, Hist. p. 83 et 285. Jouffroy p. 154. Wildman II, p. 219.

3) Oke Manning p. 317.

4) Martens, Recueil. VI, p. 679 et Nouv. Recueil. VII, p. 615.

5) La déclaration du 16 avril 1856 a enlevé aux savantes observations de l'Auteur sur un des points les plus controversés du droit maritime, une certaine partie de leur intérêt pratique. Pourtant il y a des nations maritimes, qui n'ont pas encore adhéré à cette déclaration.

s'emparer, sur mer, des propriétés particulières ennemies qu'ils rencontrent et les faire déclarer de bonne prise par des tribunaux spéciaux. Dans cet état des choses, une question se présente naturellement. La loi internationale maritime n'en contient pas de plus importante. La question est double: Les propriétés de l'un des belligérants peuvent-elles être transportées par les navires neutres, sans être soumises à la confiscation de la part de l'ennemi? La seconde partie de la question peut se formuler ainsi: Les propriétés neutres chargées sur les navires de l'un des belligérants, sont-elles confiscables, lorsque ce navire est pris par l'autre belligérant? Cette question était inconnue dans l'ancien monde. Les guerres maritimes ne furent le plus souvent que des guerres de pirates, le commerce maritime fondé sur des rapports fort simples, était privé encore des nombreux rouages qui le mettent en mouvement et le répandent aujourd'hui dans de nombreux canaux. Les contestations entre les belligérants et les peuples pacifiques et alliés furent jugées par voie d'arbitrages ou d'autres voies analogues. Quant aux peuples non alliés, les belligérants ne se croyaient tenus envers eux en aucune manière.1

Par suite du développement que la marine marchande et les marines militaires ont reçu depuis le moyen âge, deux systèmes se sont trouvés en présence.

Suivant le premier de ces systèmes, les belligérants ont le droit de confisquer les propriétés ennemies même à bord des navires neutres. La cargaison neutre, au contraire, qui se trouve à bord de navires ennemis, reste propriété neutre, pourvu qu'elle ne contienne pas de contrebande de guerre et qu'elle ne soit pas prohibée autrement. Ce système n'est au fond qu'une application par trop spécieuse de cette maxime suprême, source de toute justice: „Suum cuique."

Le second système est l'opposé du précédent: Le pavillon neutre couvre la cargaison ennemie. Robe d'ami garantit

1) La question a été traitée d'une manière très-approfondie dans les ouvrages suivants: Pöhls IV, § 518, p. 1112. Oke Manning p. 203-280. Pando p. 472-484. Ortolan II, p. 74. Wildman II, p. 136. Hautefeuille III, p. 195–426. de Kaltenborn, Seerecht. § 234.

celle d'ennemi; robe d'ennemi confisque celle d'ami; ou bien: navire libre, marchandise libre; navire ennemi, marchandises ennemies; ou enfin: le pavillon couvre, ou le pavillon ne couvre pas la marchandise, - voilà autant de manières figurées d'exprimer cette double solution.'

Le second système est le plus récent. C'est celui qui protége le commerce neutre d'une manière assez efficace contre les molestations de toute espèce, inhérentes au premier. C'est un premier pas fait dans la voie qui tend à mettre le commerce neutre à l'abri des attaques des vaisseaux ennemis, et à ôter ainsi à la guerre maritime son caractère de barbarie.

Déclaration du 16 avril 1856. § 2. Le pavillon neutre couvre la marchandise ennemie, à l'exception de la contrebande de guerre. § 3. La marchandise neutre, à l'exception de la contrebande de guerre, n'est pas saisissable sous pavillon ennemi.

LE PAVILLON NE COUVRE PAS LA MARCHANDISE.

§ 163. Ce système fut celui du moyen âge. Il se trouve dans le „Consolato del Mar", dont l'autorité était respectée dans toute la Méditerranée occidentale. On le rencontre également

1) Free ship, free goods; enemy ships, enemy goods. Frei Schiff, frei Gut; unfrei Schiff, unfrei Gut.

2) Nous croyons devoir transcrire en entier le passage si important, y relatif du Consolato, dans la traduction française (v. Pardessus, Collection des lois marit. II, p. 303. C'est le chapitre 231, suivant d'autres manuscrits 276, 273 ou 264):

„Lorsqu'un navire armé allant ou revenant, ou étant en course, rencontrera un navire marchand, si ce dernier appartient à des ennemis, ainsi que sa cargaison, il est inutile d'en parler, parce que chacun est assez instruit pour savoir ce qu'on doit faire, et, dans ce cas, il n'est pas nécessaire de donner de règle.

Mais si le navire qui sera pris appartient à des amis, tandis que les marchandises qu'il porte appartiennent à des ennemis, l'amiral du navire armé peut forcer et contraindre le patron du navire qu'il aura pris à lui apporter ce qui appartiendra aux ennemis, et même il peut l'obliger à le garder jusqu'à ce qu'il soit en lieu de sûreté; mais il faut pour cela que l'amiral, ou un autre pour lui, ait amarré la navire pris à sa poupe en lieu où il n'ait pas craint que des ennemis le lui enlèvent, à la charge néanmoins pour l'amiral de payer au patron de ce navire tout le fret qu'il aurait dû recevoir, s'il avait porté la cargaison là où il devait la décharger, ou

dans plusieurs traités anciens et modernes. La pratique l'a

de la manière qui sera écrite sur le régistre. Si, par événement, on ne trouve point de régistre, le patron doit être cru à son serment sur le montant du fret.

Encore plus, si, par événement, lorsque l'amiral ou quelque autre pour lui, sera en lieu où il puisse mettre la prise en sûreté, il veut que le navire porte la marchandise confisquée, le patron ne peut s'y refuser. Mais ils doivent faire une convention à cet égard, et, quelque convention ou accord qui intervienne entre eux, il faut que l'amiral ou celui qui le représente la tienne.

Si, par événement, il n'est fait entre eux aucune promesse ou convention relativement au fret, il faut que l'amiral, ou celui qui le représente, paie au patron du navire qui aura porté dans le lieu qu'ils lui auront prescrit les marchandises capturées, un fret égal à celui qu'un autre navire devrait avoir pour des marchandises pareilles, et même davantage, sans aucune contestation; bien entendu que ce paiement ne doit être fait qu'après que le navire sera arrivé au lieu où l'amiral, ou celui qui tient sa place, aura mis sa prise en sûreté, et que ce lieu, jusqu'auquel il fera porter la prise, soit en pays d'amis.

Lorsque le patron du navire capturé ou quelques-uns des matelots qui sont avec lui, disent qu'ils ont des effets qui leur appartiennent, si ce sont des marchandises, ils ne doivent pas être crus à leur simple parole; mais on doit s'en rapporter au régistre du navire, si l'on en trouve un. Si, par événement, on n'en trouve point, le patron ou les matelots doivent affirmer la vérité de leur assertion. S'ils font serment que ces marchandises leur appartiennent, l'amiral, ou celui qui le représente, doit les délivrer sans aucune contestation, en ayant égard cependant à la bonne réputation et à l'estime dont jouissent ceux qui prêteront ce serment et réclameront les marchandises.

Si le patron capturé refuse de porter les marchandises ennemies qui seront sur son navire, jusqu'à ce que ceux qui les auront prises soient en lieu de sûreté, malgré l'ordre que l'amiral lui en donne, celui-ci peut le couler à fond ou l'y faire couler, s'il le veut, sauf qu'il doit sauver les personnes qui montent le navire; et aucune autorité ne peut lui en demander compte, quelles que soient les demandes et plaintes qu'on lui en fasse. Mais il faut entendre que toute la cargaison de ce navire, ou la majeure partie, appartient à des ennemis.

Si le navire appartient à des ennemis et sa cargaison à des amis, les marchands qui s'y trouvent et à qui la cargaison appartiendra en tout ou en partie, doivent s'accorder avec l'amiral pour racheter à un prix convenable, et comme ils pourront, ce navire qui est de bonne prise; et il doit leur offrir une composition ou pacte raisonnable sans leur faire supporter aucune injustice. Mais si les marchands ne veulent pas faire

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