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Tout ce qui vient d'être dit s'applique incontestablement aussi aux droits privés des souverains et des membres des familles souveraines; par exemple aux immeubles par eux possédés à titre particulier et de fideicommis et qui ne font pas partie des domaines de l'État. Ces derniers peuvent incontestablement, à la suite d'une occupation ou d'une conquête régulière, être aliénés d'une manière valable, ainsi que nous l'avons dit au § 188 ci-dessus: les biens privés de la famille souveraine continuent à rester sa propriété.

REPRISES OU RECOUSSES DES NAVIRES.1

§ 191. Le navire neutre saisi par un croiseur peut être enlevé par l'autre belligérant. Quel doit être le sort de ce bâtiment et de sa cargaison? Existe-t-il un droit de recousse ou de reprise (jus recuperationis) au profit de l'ancien propriétaire? Les usages maritimes en vigueur jusqu'à ce jour ont rempli de nombreuses difficultés ces questions, dont la solution n'a pas fait un seul pas depuis la fin du dernier siècle. L'essai classique sur les armateurs, publié à cette époque par Charles de Martens, sera encore aujourd'hui consulté avec le plus grand fruit, et nous croyons devoir y renvoyer le lecteur. Les cas principaux qui peuvent se présenter ici se résument dans les propositions suivantes:

La reprise peut être opérée

1o par un bâtiment de guerre du belligérant;

2o par un corsaire;

3o par l'équipage même du navire capturé; ou enfin

4o par des autorités étrangères dans le port où le navire capturé, soit accidentellement, soit volontairement, a été conduit par le corsaire.

Le navire et la cargaison, avant d'avoir été repris sur l'ennemi, peuvent avoir appartenu, conjointement ou séparément,

1) de Steck, Essais sur plusieurs matières. no. 8. de Martens, Ueber Caper. § 40 suiv. Jouffroy, Droit maritime. p. 313. Pöhls, Seerecht. IV, § 509–511. de Kaltenborn, Seerecht. II, p. 365. Hautefeuille, Droits et obligations des neutres. IV, p. 378. Wheaton, Éléments, édition franç. II, p. 26.

1° au gouvernement ou à des sujets du territoire auquel ap

partient le repreneur;

2o à une puissance associée de guerre;

3o à une puissance ayant fourni des secours; ou

4o à une puissance neutre par rapport à la partie belligérante qui a opéré la recousse.

Il peut arriver en outre que le navire recous soit de nouveau enlevé au repreneur.

D'abord, si le navire appartient à la nation par laquelle il a été repris, il est évident que les lois intérieures de cette nation sont seules applicables, que c'est conformément à leurs dispositions que doit s'opérer la restitution du navire et de la cargaison à leurs anciens propriétaires. Les lois maritimes de presque toutes les puissances ont réglé ce cas, et leurs dispositions à cet égard, étrangères au droit international, échappent à notre critique.'

Lorsqu'au contraire il s'agit de la recousse d'un navire appartenant à une nation neutre, la décision n'appartient pas exclusivement aux tribunaux du territoire du repreneur. Elle doit être rendue conformément à des règles conventionnelles arrêtées en commun: autrement la partie lésée pourra réclamer par voies internationales. Il s'agit en effet presque toujours ici de faits qui ne tombent pas sous l'application des lois intérieures des États, c'est-à-dire, de faits accomplis sur la mer libre. Les lois intérieures ne sont applicables que dans le cas où la recousse a été opérée dans les eaux territoriales d'une nation.

§ 192. Il est difficile de tracer des règles fixes, généralement reconnues, sur cette partie du droit international. Le point principal, qu'il ne faut jamais perdre de vue, est la question de savoir si le navire, au moment de la recousse, était déjà la propriété du corsaire ou du gouvernement intéressé ou non? Les lois romaines appliquaient le droit de postliminie, sinon à tous les navires, du moins à certaines espèces d'entre eux, sans avoir égard à l'espace de temps, pendant lequel ils

1) V. l'aperçu dans l'ouvrage de Martens § 60 suiv. Sur la jurisprudence anglaise v. Wildman II, p. 276; sur la jurisprudence française de Pistoye et Duverdy II, p. 104; Wheaton II, p. 33 suiv.

étaient restés entre les mains de l'ennemi. Mais ces dispositions ne sont nullement aujourd'hui une règle commune du droit international. On ne saurait non plus invoquer aujourd'hui les dispositions du Consulat de la mer, lesquelles d'ailleurs ne s'occupent que de la recousse d'un navire repris sur l'ennemi par le belligérant. Les clauses éparses relatives au droit de recousse qu'on rencontre dans plusieurs conventions publiques, ne suffisent pas pour former un corps de doctrine complet.2 La jurisprudence des diverses puissances maritimes est loin d'être fixée: elle se guide ordinairement par des convenances politiques plutôt que par des principes juridiques.

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Les publicistes dont l'autorité est souvent invoquée dans les décisions des tribunaux des prises, partent généralement du point de vue suivant: Les belligérants acquièrent le domaine des navires ennemis ou neutres et de leurs cargaisons, dès qu'ils ont été saisis par suite de contraventions aux lois de la neutralité. Mais ils sont loin d'être d'accord entre eux, lorsqu'il s'agit de déterminer si le seul fait de la saisie, ou du moins une possession de vingt-quatre heures, suffit, ou bien si le navire saisi doit être conduit „inter praesidia," ou si enfin il faut un jugement de condamnation régulièrement prononcé par un tribunal des prises? Nous avons déjà vu que les principes, d'après lesquels il est statué sur la légitimité ou l'illégitimité d'une prise, sont tout aussi contestés.

Ainsi on cherche vainement dans cette matière une règle commune. Néanmoins la vérité a été proclamée ici, timidement d'abord, car elle heurte les opinions reçues, par Linguet* et

1) Cons. de la mer art. 287. V. de Martens § 56.

2) Ces traités sont cités par de Martens § 61. 63. 65. 67. 69. 71 suiv. Le traité de février 1814 entre l'Espagne et l'Angleterre, dans les Nouveaux Supplém. II, 640. Sur les questions de savoir si les clauses: „traitement des nations les plus favorisées, ou: semblable à celui des propres sujets" confère également un privilége en matière de recousse. V. Martens § 57 et 58.

3) La jurisprudence française s'est prononcée récemment en faveur du relâchement d'un navire neutre qui a été recous. Sirey, Recueil. I, 2, 201.

4) Annales, t. VI, p. 104.

Jouffroy,' et en dernier lieu par de Martens. En voici les conclusions:

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,,Les lois de la guerre n'accordent d'une manière absolue à aucun belligérant un droit de propriété soit sur les navires soit sur les cargaisons capturés, sans distinguer s'ils appartiennent à l'ennemi ou à une puissance neutre. Le domaine subsiste tout entier au profit du propriétaire originaire. Ce droit, la recousse ne saurait le lui enlever, mais elle lui impose seulement l'obligation d'une indemnité due au repreneur, lors de la restitution des biens recous. Les belligérants peuvent sans doute stipuler librement dans le traité de paix définitif que toute recousse des navires et des cargaisons capturés, faite postérieurement au traité, serait considérée comme non valable. Mais les puissances neutres et auxiliaires n'en conservent pas moins le droit de réclamer la restitution des biens qui leur ont été enlevės, partout où ces biens se trouvent."

En présence de ces règles si nettes, la controverse n'est pas possible et elle doit se taire. Leur adoption contribuerait surtout à faire tomber le système de spoliation qui jusqu'à présent a prévalu dans les guerres maritimes. Il ne faut pas qu'une prise s'effectue avec un caractère irrévocable, exclusif de toute restitution ultérieure lors de la conclusion de la paix même, du moins à l'égard des nations neutres. Le temps viendra aussi où ce principe à son tour deviendra une vérité, malgré les prédictions sinistres de William Scott et des juges qui lui ressemblent. Pour eux toute demande de restitution des biens conquis pendant la guerre aux propriétaires légitimes, est taxée de pure chimère d'une époque antediluvienne.3

1) Pag. 332 suiv.

2) Loc. cit. § 45.

3) V. de Martens, Erzählungen. I, p. 292.

LIVRE TROISIÈME.

DES FORMES DU COMMERCE INTERNATIONAL

OU

DE LA PRATIQUE DES ÉTATS DANS LEURS RELATIONS

RÉCIPROQUES

EN TEMPS DE PAIX ET EN TEMPS DE GUERRE.

INTRODUCTION.

§ 193. La mission du droit international, ainsi que nous l'avons expliqué au commencement, est,de rapprocher les peuples et de faciliter leurs relations réciproques. Les lois intérieures des divers États règlent les conditions du commerce international des particuliers dans un but exclusivement privé. A l'égard des relations essentiellement libres d'État à État, des souverains et de leurs représentants, soit pendant la paix, soit en temps de guerre, il existe un certain nombre de formes dont l'ensemble compose d'une part le cérémonial public, et d'autre part le droit diplomatique. Les règles relatives à ce dernier sont également connues dans la pratique française sous le nom de "protocole diplomatique" (§ 201 ci-après). Nous allons nous occuper de ces deux branches importantes du droit public.

Chapitre Ier.

RÈGLES GÉNÉRALES DU CÉRÉMONIAL DANS LES RELATIONS RÉCIPROQUES DES NATIONS ET DES SOUVERAINS.

§ 194. Le droit au respect que les États se doivent mutuellement, impose à la vérité aux souverains l'obligation de s'abstenir, dans leurs relations personnelles et dans leur correspondance, de toutes les formes blessantes au point de vue

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