Images de page
PDF
ePub
[graphic][subsumed][merged small][merged small][subsumed]
[ocr errors]

se faisait le champion ardent de la légitimité, et à ce titre il confondait dans une haine aveugle Louis-Philippe et le peuple français.

Cependant, ni le dépit de lord Palmerston, ni les ressentiments du czar n'entraînaient l'un ou l'autre à des entreprises irréfléchies. Pour se satisfaire, ils attendaient l'occasion et combinaient savamment leurs intérêts avec leurs antipathies. Or, jamais circonstance ne se présenta plus favorable que cette discussion sans fin sur la question d'Orient. La France opposait des obstacles à l'Angleterre, en Égypte; à la Russie, aux Dardanelles : l'Angleterre et la Russie ne pouvaient-elles s'unir contre cette puissance incommode qui se posait en arbitre des faibles, et contre ce roi depuis si longtemps l'objet de leurs rancunes? Pouvait-il s'offrir au czar un moment plus opportun pour briser cette alliance anglaise qui avait été le plus solide appui du trône de juillet, pour isoler du monde monarchique la France révolutionnaire? Voilà ce que comprit l'empereur Nicolas; voilà ce qu'il poursuivit avec une infatigable activité, prodigue de promesses, de prévenances et même de concessions. Aux premiers jours de sa mission, M. de Brunow demande que chacune des puissances intervienne isolément, la Russie à Constantinople; l'Angleterre en Égypte. Le cabinet britannique refuse d'admettre ce dangereux partage: aussitôt le czar fait taire ses prétentions et accepte une action commune dans les eaux du Bosphore. Plus tard, les Anglais veulent se présenter seuls sur les côtes de Syrie, et ne permettent pas qu'un soldat russe se montre sur le territoire. Le czar laisse faire; il semble s'effacer, mais c'est lui qui a pris l'initiative de la coalition, et c'est lui qui en dirige tous les

ressorts. Lord Palmerston est son docile instrument; non pas certes un instrument désintéressé, car sa conduite est parfaitement d'accord avec la politique britannique.

Remarquons tout d'abord que, pour voiler les haines et les ambitions, la coalition se produisait à l'aide d'un grossier mensonge, annonçant qu'elle venait maintenir l'intégrité de l'empire ottoman. Parmi les puissances contractantes, il n'y en avait pas une qui n'eût porté des atteintes à l'intégrité et qui ne se préparât à en porter de plus profondes encore. Le principe d'intégrité était au moment où on le proclamait la plus cruelle des illusions. Depuis dix ans, la régence d'Alger était perdue pour la Turquie; la Grèce lui avait échappé; l'Egypte était indépendante, la Syrie conquise; l'Arabie était en révolte permanente, l'Anatolie n'attendait qu'Ibrahim pour s'unir à lui; la Russie pressait étroitement la Porte du côté de l'Arménie, tandis que, de l'autre, elle exerçait sur la Moldavie et la Valachie, sous le nom de patronage, une véritable souveraineté; la Bosnie était presque autrichienne; la Servie et l'Albanie n'obéissaient que de nom.

La formule hypocrite inscrite au drapeau de la coalition ne pouvait donc tromper personne; car la pensée véritable était un nouveau démembrement. Il n'est pas inutile d'interroger cette pensée dans ce qu'elle avait de plus réel, et de signaler les intérêts considérables qui dirigèrent l'Angleterre comme la Russie dans cette ténébreuse négociation. Car lord Palmerston ne fut pas un étourdi, ainsi qu'on a voulu le représenter, sacrifiant le repos de son pays à des succès d'amour-propre. Il n'y eut d'étourderie, dans toute cette affaire, qu'au sein du gouvernement français.

D'abord, quant à la Russie, la signature du traité de Londres n'était point pour elle, comme pour l'Angleterre, un revirement de système, ni l'adoption d'un nouveau plan de conduite. Depuis 1830, elle se montrait hostile à la France, l'acte du 15 juillet était dans le même sentiment; et, matériellement, il était la conséquence logique, rigou reuse, nécessaire, de tous ses antécédents.

Pour juger quelle doit être la politique extérieure de la Russie, il suffit de jeter les yeux sur la carte de l'empire. Si l'on contemple les magnifiques fleuves qui le coupent du nord au sud dans toute sa longueur, et qui, à la faveur d'une habile, canalisation, joignent par le Bug et la Vistule la Baltique à la Méditerranée, le Don, le Dniéper, le Dniester, le Pruth, le Danube, car le Danube est devenu un fleuve russe, on les voit tous allant tomber dans la mer Noire et venant aboutir à un seul et même débouché, les Dardanelles. Cette circonstance géographique eût suffi, cût-elle été scule, pour guider la Russie dans son développement extérieur; elle devait nécessairement suivre le cours de ces grands canaux naturels, et s'avancer sur la route qu'ils lui ouvrent dans toutes les directions.

Aussi, lorsqu'elle s'efforce de prendre rang parmi les puissances politiques, ses regards aussitôt se portent vers le midi. Pierre le Grand fait le premier pas dans cette voie par la prise d'Azof et la fondation de Taganrog; ses successeurs le suivent en agrandissant successivement la brèche ouverte. Catherine II s'empare de la Crimée, étend sa domination sur le littoral de la mer Noire et refoule les Turcs sur le Danube, en même temps qu'elle les attaque dans la Méditerranée par le soulèvement de leurs provinces méridionales. On a dit, et le fait est

« PrécédentContinuer »