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CHAPITRE XII.

Intervention de l'Angleterre dans les troubles d'Espagne.

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Caractère d'Espartero. — Linage.

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- Loi

luttes et défaite des carlistes. Son influence sur le général. — Question des ayuntamientos. municipale votée par les cortès. Mécontentements populaires. Les reines se rendent à Barcelone. Espartero va à leur rencontre. Il demande à la régente de refuser sa sanction à la loi. Sa demande est repoussée. — Espartero fait avancer ses troupes.— La reine sanctionne la loi. - Proposition de quelques généraux pour arrêter Soulèvement de Barcelone. Changement de ministère. Les reines se retirent à Valence Révolution de Valence. Abdication de Marie-Christine.

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Espartero. Faiblesse de Marie-Christine.

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Aux échecs que subissait à l'extérieur le cabinet du 1er mars, il faut ajouter les mésaventures de la régente d'Espagne et l'affaiblissement de l'influence française dans la Péninsule.

Les événements que nous avons à raconter tiennent à tant de causes différentes, que nous avons besoin de quelques explications préliminaires.

Un fait néanmoins domine tous les autres : c'est l'intervention active de la diplomatie anglaise dans tous les troubles. Soit qu'ils naissent de l'esprit révolutionnaire ou pro

gressiste, soit qu'ils prennent leur origine dans la susceptibilité ombrageuse des municipalités, soit qu'ils proviennent de la vanité ambitieuse d'Espartero, l'Angleterre s'empare avec habileté de tous les éléments, les fait agir tour à tour, souvent ensemble, accordant ainsi les contraires, et trouvant le moyen de donner aux idées les plus opposées une direction commune qui doit conduire à une seule fin, le triomphe de ses intérêts personnels.

Depuis longtemps déjà l'Angleterre surveillait d'un œil jaloux les progrès de l'industrie catalane, qui faisait concurrence à ses produits; depuis longtemps elle poursuivait de ses ardentes sollicitations le cabinet de Madrid, afin d'en obtenir un traité de commerce qui devait lui livrer tous les marchés de la Péninsule, anéantir les concurrents de Barcelone et lui assurer en Espagne la même suzeraineté commerciale que lui donnait en Portugal le traité de Méthuen. Mais la régente n'avait jamais voulu écouter les propositions intéressées des agents britanniques, et l'appui qu'elle trouvait aux Tuileries donnait à ses refus un caractère de constance et d'énergie. Désespérant désormais de vaincre une résistance opiniâtre, le cabinet de Saint-James ne s'attacha plus qu'à renverser les obstacles qui s'opposaient à ses projets. Ces obstacles étaient en première ligne l'influence française en Espagne et la régente Marie-Christine. Dès lors, tous les mécontentements, toutes les ambitions rencontrèrent des auxiliaires dans les agents britanniques, assez habiles d'ailleurs pour tirer parti des justes sujets de plaintes. C'est ainsi que les amis sincères du progrès, les véritables patriotes, qui voulaient arracher l'Espagne à son immobilité séculaire, étaient aussi bien accueillis. que les ambitieux et les intrigants qui ne travaillaient qu'à

leur propre fortune. Il fallait à l'Angleterre un bouleversement, n'importe dans quel sens politique, pourvu que des chances fussent ouvertes à ses appétits commerciaux.

Si don Carlos lui-même eût un peu rétabli sa fortune, on n'eût pas hésité sans doute à lui faire quelques propositions; mais ses affaires étaient désespérées. Dès le mois de janvier, le général Espartero, chargé du triple commandement des armées du nord, d'Aragon et de Catalogne, portait de rudes coups aux chefs carlistes, incapables de résister à une habile concentration de forces. Toute la puissance de Cabrera s'appuyait sur la possession de quelques places fortes, en particulier de Ségura, Castellote, Cantavieja et Morella. Ségura, assiégée le 22 février, ne tint pas au delà de quatre jours; la prise de cette ville chassait les carlistes du Bas-Aragon; Castellote capitula le 26 mars; le fort de Villaluengo tombait entre les mains d'Ayerbe le 8 avril; enfin, le 10 du même mois, Diego Léon s'emparait de Penarroya. Quelques jours après, le brigadier Zurbano mettait en pleine déroute, à Benik, le 1er bataillon d'Aragon; à Muel, Ayerbe battait le 5o bataillon de Valence, et le général O'Donnel entrait, le 12 mai, dans Cantavieja.

La prise de Morella porta le dernier coup à la puissance de Cabrera. Poussé de retraite en retraite jusqu'à Berga, où il ne put se maintenir, ce hardi aventurier avait enfin désespéré d'une cause à laquelle il devait sa célébrité. Le 7 juillet, il se réfugia en France avec les derniers débris de la faction d'Aragon, comptant encore 8,000 hommes.

Quelques jours avant, le 28 juin, un autre chef fameux, Balmaseda, battu et poursuivi par le général Concha, avait aussi pris refuge sur notre territoire. Enfin, Palacios, battu sur les hauteurs de las Hormedillas par le même général

Concha, entraînait avec lui les derniers restes d'une faction agonisante. Don Carlos ne comptait plus un seul défenseur sérieux. Ce n'était pas de ce côté que les Anglais pouvaient tenter une diversion.

Mais il y avait sous leur main le général victorieux, qui devenait par ses succès mêmes un puissant instrument d'intrigue; et le caractère de ce personnage était parfaitement adapté au rôle qu'on lui destinait. Ambitieux sans initiative, mais prêt à tout accepter dans les occasions offertes à son ambition, ne mettant la main sur rien, mais prenant volontiers de la main des autres, vain et médiocre, envieux et irrésolu, sans volonté, sans portée politique, sans talents militaires, il était cependant devenu le premier homme de l'État, le premier pouvoir, le seul pouvoir. Et pour cela, il n'avait eu qu'à se laisser faire, à se regarder tout doucement porter sur les hauteurs où le poussaient toutes les ambitions subalternes qui voulaient l'exploiter, toutes les passions jalouses qui voulaient se faire un appui de son nom. Chacun lui avait fait des concessions; tous les pouvoirs semblaient abdiquer devant lui: royauté, ministres, parlement; de sorte que, par l'abnégation de toutes les autres volontés, sans efforts de sa part, il était parvenu à ce degré suprême de puissance que le génie n'atteint qu'après des luttes héroïques. Environné d'hommages, il devait naturellement les croire mérités; quand tous s'abaissaient devant lui, il devait se croire plus grand que tous, et, l'exagération des mots répondant à l'exagération des choses, pour avoir triomphé de quelques bandes en guenilles et pris quelques bicoques avec une armée considérable, il avait accepté, sans conscience du ridicule, le titre emphatique de duc de la Victoire. Un tel homme, dans une telle situation, était

un admirable instrument pour la diplomatie britannique. Il y avait chez lui, toutefois, une vanité trop prononcée pour se faire volontairement l'intermédiaire d'une intrigue au profit d'autrui. Aussi les agents anglais se gardèrent-ils bien d'agir directement sur lui.

Mais auprès d'Espartero se trouvait un homme moins fait aux vains scrupules, et d'autant plus facile à la séduction, que de récentes blessures faites à son amour-propre l'exaltaient d'une haine furieuse contre la France et les Français. Cet homme était le général Linage, aide de camp d'Espartero, son favori, son conseil, son dominateur. Le cabinet du 12 mai avait, par un sentiment de courtoisie, fait offre au duc de la Victoire de six croix de la Légion-d'Honneur pour ceux de ses officiers qu'il désignerait. Sur la liste présentée par Espartero figurait nécessairement le nom de Linage. Mais pendant que s'échangeaient les correspondances, Linage avait publié une brochure contenant des attaques violentes contre le gouvernement de la reine. Le retentissement qu'eut en Espagne cette publication fit penser au ministère français qu'il ne serait pas dans les convenances d'offrir une récompense publique à l'officier qui venait de blesser la régente. Le nom de Linage ne fut pas compris dans les promotions; il en conçut un profond ressentiment, et le duc, épousant avec ardeur les colères de son favori, montra dès lors, dans tous ses rapports avec la France, une aigreur mal dissimulée.

Linage, en effet, avait pris sur son général un tel ascendant, que, dans l'opinion de tous, sa cause et sa personne se confondaient et s'identifiaient avec la cause et la personne d'Espartero. Celui-ci, de son côté, comme tous les gens faibles qui ont fait une position à un favori, s'imaginait

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