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lègues, effrayés d'ailleurs par les clameurs des spéculateurs de la cité. Une escadre fut envoyée sur les côtes de Naples; des navires siciliens furent capturés.

De son côté, le roi de Naples ordonna des représailles; les ports de la Sicile furent mis en état de défense; une partie de l'armée de terre passa le détroit; on mit embargo sur les vaisseaux anglais; les hostilités commençaient. Telle était la situation des choses au 1er mars.

Mais ce n'était là, pour ainsi dire, qu'une querelle de voisins. Il s'en poursuivait une autre aux extrémités du monde oriental, et l'Angleterre, contre ses habitudes, semblait vouloir se précipiter dans l'inconnu. Il ne s'agissait de rien moins que d'une guerre avec la Chine.

Il faudrait entrer dans de nombreux détails pour raconter par quelle série de mutuelles provocations les deux États en étaient arrivés à une rupture ouverte. Le résultat le plus certain de ces longues querelles était une mesure prohibitive, juste en principe, mais désastreuse principalement pour la compagnie des Indes et en seconde ligne pour toute l'Angleterre. Depuis un grand nombre d'années, la compagnie des Indes avait le monopole du commerce de l'opium, et l'usage de cette substance narcotique s'était répandu à un tel point parmi les raffinés de la population chinoise, que le montant annuel des importations pour ce seul article s'élevait à 120 millions de francs. Aussi, cette prodigieuse consommation était-elle suivie des plus funestes résultats. Une effrayante mortalité décimait les imprudents fumeurs qui passaient rapidement des extases de l'ivresse à un trépas anticipé. Les marchands anglais versaient le poison dans les entrailles de la nation et recevaient des trésors en échange d'une denrée meurtrière. Le mal prit enfin une telle propor

tion, que le gouvernement chinois s'en émut sérieusement; par un décret impérial, le commerce de l'opium fut frappé d'une prohibition absolue. C'était une mesure de conservation sociale et de haute moralité; mais c'était la ruine du commerce indo-britannique, et l'Angleterre n'a pas coutume de subordonner aux questions de morale les intérêts de son négoce. La prohibition d'ailleurs de l'opium agissait par contre-coup sur les autres marchandises et notamment sur le thé devenu pour l'Angleterre non-seulement un objet de consommation ordinaire, mais de première nécessité. Les 120 millions de la vente annuelle de l'opium étaient consacrés à l'acquisition du thé, et les pertes résultant de la suppression du premier commerce devaient augmenter d'autant le prix de revient du second, en supposant même que dans l'état des choses les relations commerciales pussent être continuées. Le décret impérial frappait donc d'un seul coup toutes les familles de l'Angleterre, arrêtait la circulation de capitaux considérables, et portait une perturbation générale dans toutes les transactions de la compagnie des Indes.

Bientôt, en effet, la querelle s'envenimant de jour en jour, de nouveaux décrets complétèrent la rupture en interdisant à jamais tout commerce avec les Anglais. Contre la Chine, il n'y avait pas de représailles possibles; la guerre devenait nécessaire, surtout pour le gouvernement anglais, essentiellement guidé par la politique d'intérêt. La guerre fut done résolue. Quelles qu'en fussent les incertitudes, quels qu'en fussent les dangers inconnus ou les mystères impénétrables, il n'y avait plus à reculer. On ne pouvait accepter la ruine de la puissance marchande qui dominait le trône du grand Mogol.

En résumé, la situation du cabinet britannique était

compromise par une foule de questions en litige. Rupture avec le Portugal, collision avec Naples, guerre avec la Chine, discussions avec les États-Unis, et par-dessus tout les graves complications de la question d'Orient tels étaient les redoutables problèmes qu'il avait à résoudre à l'extérieur; et, au dedans, les éternelles agitations de l'Irlande, les mouvements des chartistes et les agressions chaque jour plus vives des tories. Avec un rival ainsi engagé, le cabinet du 1er mars avait de son côté tous les avantages, et il semblait assez probable que, dans la question d'Orient, la France pourrait désormais dominer et commander, à moins que l'on ne descendit volontairement au rang de ces puissances qui se traitent sans façon, comme le Portugal, la Sicile ou la Chine.

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Le traité de la Tafna avait eu pour effet de fortifier auprès des Arabes l'ascendant d'Abd-el-Kader, de créer contre la domination française une puissante unité, de changer les insurrections partielles en une guerre régulière, et les tribus éparses en une armée compacte. Après de secrets préparatifs longuement médités, laborieusement accumulés, l'émir avait jeté le masque. La guerre sainte, la guerre contre l'infidèle était partout prêchée et l'enthousiasme des Arabes répondait à l'appel de leur chef religieux et militaire, que le roi des Français avait traité d'égal à égal.

Subitement attaqués sur plusieurs points à la fois, les établissements français s'étaient promptement dégagés pour reprendre à leur tour une offensive énergique; après de brillantes escarmouches, la défaite des kalifahs de Médéah

et de Milianah avait marqué les derniers jours de l'année 1839; et l'année suivante s'était ouverte par une de ces luttes héroïques qui rappelaient les souvenirs de la république et de l'empire.

Ce fut une des premières nouvelles qui se répandirent dans la capitale au lendemain de l'avénement du 1er mars. De tous côtés, la fortune semblait sourire à M. Thiers.

A une lieue de la mer, presque en face des rivages de Malaga, s'élève une petite ville mauresque, bâtie sur le versant occidental d'un ravin profond : c'est Mostaganem, autrefois chef-lieu d'une petite province tributaire d'Oran. Elle compte une population indigène d'environ quatre mille âmes. Sur le versant oriental du ravin et à portée de fusil de Mostaganem se trouve une ville crénelée, Matimore, exclusivement occupée par de l'artillerie et quelques détachements d'infanterie. La garnison française se montait à environ trois ou quatre cents hommes dans les deux villes qui communiquent entre elles par un pont de bois. Au-dessous, courant vers le sud, le ravin forme une plaine longue et étroite, parsemée de riches jardins où s'épanouissent, avec toute la vigueur des végétations tropicales, des bosquets d'orangers, de garoubiers, de figuiers et d'oliviers. Tout à coup ces jardins s'élèvent brusquement, se poursuivent sur les flancs et le sommet d'une colline qui domine la mer, et se trouvent alors entrecoupés de chétives maisons liées entre elles par des murs mitoyens. C'est le village de Mazagran, abandonné de ses habitants depuis la reprise des hostilités. Cette place est sans fortifications, mais les murs liés ensemble forment une enceinte n'ayant pour ouverture qu'une seule porte donnant sur la campagne. Les maisons sont des cahutes construites en pierres

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