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EURYALE.

C'est qu'on a obligation à ceux qui nous aiment, et que je serois fâché d'être ingrat.

LA PRINCESS E.

Si bien donc que, pour fuir l'ingratitude, vous aimeriez qui vous aimeroit:

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EURYALE.

Moi, madame? point du tout. Je dis bien que je serois fàché d'être ingrat; mais je me résoudrois plutôt de l'être que d'aimer.

LA PRINCESSE.

Telle personne vous aimeroit peut-être, que voire

cœur...

EURYALE.

Non, madame, rien n'est capable de toucher mon cœur. Ma liberté est la seule maîtresse à qui je consacre mes vœux; et quand le ciel emploieroit ses soins à composer une beauté parfaite, quand il assembleroit en elle tous les dons les plus merveilleux et du corps et de l'ame, enfin quand il exposeroit à mes yeux un miracle d'esprit, d'adresse et de beauté, et que cette personne m'aimeroit avec toutes les tendresses imaginables; je vous l'avoue franchement, je ne l'aimerois pas.

LA PRINCESSE, à part.

A-t-on jamais rien vu de tel!

MORON, à la princesse.

Peste soit du petit brutal! J'aurois bien envie de lui bailler un coup de poing.

LA PRINCESSE, à part.

Cet orgueil me confond; et j'ai un tel dépit, que je

ne me sens pas.

MORON, bas, au prince.

Bon! Courage, seigneur! Voilà qui va le mieux du monde.

EURYALE, bas, à Moron.

Ah! Moron, je n'en puis plus, et je me suis fait des efforts étranges.

LA PRINCESSE, à Euryale.

C'est avoir une insensibilité bien grande, que de parler comme vous faites.

EURYA LE.

Le ciel ne m'a pas fait d'une autre humeur. Mais, madame, j'interromps votre promenade, et mon respect doit m'avertir que vous aimez la solitude.

SCENE V.

LA PRINCESSE, MORON.

MORON.

Il ne vous en doit rien, madame, en dureté de

cœur.

LA PRINCESSE.

Je donnerois volontiers tout ce que j'ai au monde pour avoir l'avantage d'en triompher.

Je le crois.

MORON.

LA PRINCESSE.

Ne pourrois-tu, Moron, me servir dans un tel dessein?

MORON.

Vous savez bien, madame, que je suis tout à votre service.

LA PRINCESSE.

Parle-lui de moi daus tes entretiens, vante-lui adroitement ma personne et les avantages de ma naissance, et tâche d'ébranler ses sentiments par la douceur de quelque espoir. Je te permets de dire tout ce que tu voudras pour tâcher à me l'engager.

Laissez-moi faire.

ΜΟΝΟΝ,

LA PRINCESSE.

C'est une chose qui me tient au cœur. Je souhaite ardemment qu'il m'aime.

MORON.

Il est bien fait, oui, ce petit pendard-là; il a bon air, bonne physionomie; et je crois qu'il seroit assez le fait d'une jeune princesse.

LA PRINCESSE.

Enfin tu peux tout espérer de mei, si tu trouves moyen d'enflammer pour moi son cœur.

MORON.

Il n'y a rien qui ne se puisse faire. Mais, madame, s'il venoit à vous aimer, que feriez-vous, s'il vous plait ?

LA PRINCESSE.

Ah! ce seroit lors que je prendrois plaisir à triompher pleinement de sa vanité, à punir son mépris par mes froideurs, et à exercer sur lui toutes les cruautés que je pourrois imaginer.

MORON.

Il ne se rendra jamais.

LA PRINCESSE.

Ah! Moron, il faut faire en sorte qu'il se ronde.

MORON.

Non, il n'en fera rien. Je le connois; ma peine seroit inutile.

LA PRINCESSE.

Si faut-il pourtant tenter toute chose, et éprouver si son ame est entièrement insensible. Allons, je veux lui parler, et suivre une pensée qui vient de me venir.

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TROISIEME INTERMEDE.

SCENE I.

PHILIS, TIR CIS.

PHILIS.

VIENS, Tircis; laissons-les aller; et me dis au pra ton martyre de la façon que tu sais faire. Il y a longtemps que tes yeux me parlent; mais je suis plus aise d'ouïr ta voix.

TIRCIS chante.

Tu m'écoutes, hélas ! dans ma triste langueur : Mais je n'en suis pas mieux, ô beauté sans pareille; Et je touche ton oreille

Sans que je touche ton cœur.

PHILIS.

Va, va, c'est déja quelque chose que de toucues l'oreille; et le temps amene tout. Chante-moi cependant quelque plainte nouvelle que tu aies composée pour moi.

SCENE II.

MORON, PHILIS, TIRCIS.

MORON.

Ah! ah! je vous y prends, cruelle: vous vous écartez des autres pour ouïr mon rival!

PHILIS.

Oui, je m'écarte pour cela. Je te le dis encore, je me plais avec lui; et l'on écoute volontiers les amants lorsqu'ils se plaignent aussi agréablement qu'il fait. Que ne chantes-tu comme lui? je prendrois plaisir à t'écouter.

MORON.

Si je ne sais chanter, je sais faire autre chose; et quand...

PHILIS.

Tais-toi, je veux l'entendre. Dis, Tircis, ce que tu voudras.

Ah! cruelle...

MORON.

PHILIS.

Silence, dis-je, ou je me mettrai en colere.
TIRCIS chante.

Arbres épais, et vous, prés émaillés,
La beauté dont l'hiver vous avoit dépouillés
Par le printemps vous est rendue;
Vous reprenez tous vos appas:
Mais mon ame ne reprend pas
La joie, hélas! que j'ai perdue.

MORON.

Morbleu! que n'ai-je de la voix! Ah! nature marâtrs, pourquoi ne m'as-tu pas donné de quoi chanter comme à un autre?

PHILIS.

En vérité, Tireis, il ne se peut rien de plus agréa ble, et tu l'emportes sur tous les rivaux que tu as.

MORON.

Mais pourquoi est-ce que je ne puis pas chanter? N'ai-je pas un estomac, un gosier, une langue, comme un antre? Oui, oni, allons; je veux chanter aussi, et te montrer que l'amour fait faire toutes choses. Voici une chanson que j'ai faite pour toi.

PHILIS.

Oui! dis. Je veux bien t'écouter pour la rareté du fait.

MORON.

Courage, Moron ! Il n'y a qu'à avoir de la hardiesse. (Il chante.)

Ton extrême rigueur

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