Images de page
PDF
ePub

SCENE II.

LA PRINCESSE, MORON.

LA PRINCESS E.

Ah! Moron, je n'en puis plus; et ce coup, que je n'attendois pas, triomphe absolument de toute ma fermeté.

MORON.

Il est vrai que le coup est surprenant, et j'avois cru d'abord que votre stratagême avoit fait son effet.

LA PRINCESSE.

Ah! ce m'est un dépit à me désespérer, qu'une autre ait l'avantage de soumettre ce cœur que je voulois soumettre.

SCENE III.

LA PRINCESSE, AGLANTE, MORON.

LA PRINCESSE.

Princesse, j'ai à vous prier d'une chose qu'il faut absolument que vous m'accordiez. Le prince d'Ithaque vous aime, et veut vous demander au prince mon pere.

AGLANTE.

Le prince d'Ithaque, madame!

LA PRINCESSE.

Oui. Il vient de m'en assurer lui-même, et m'a demandé mon suffrage pour vous obtenir; mais je vous conjure de rejeter cette proposition, et de ne point prêter l'oreille à tout ce qu'il pourra vous dire.

AGLANTE.

Mais, madame, s'il étoit vrai que ce prince m'aimât effectivement, pourquoi, n'ayant aucun dessein

de vous engager,

ne voudriez-vous pas souffrir...?

LA PRINCESSE.

Non, Aglante, je vous le demande; faites-moi ce plaisir, je vous prie; et trouvez bon que, n'ayant pu avoir l'avantage de le soumettre, je lui dérobe la joie de vous obtenir.

AGLANTE.

Madame, il faut vous obéir; mais je croirois que la conquête d'un tel cœur ne seroit pas une victoire à dédaigner.

LA PRINCESSE.

Non, non, il n'aura pas la joie de me braver entiè

rement.

SCENE IV.

LA PRINCESSE, ARISTOMENE, AGLANTE,

MORON.

ARISTO MENE.

[ocr errors]

Madame, je viens à vos pieds rendre grace l'amour de mes heureux destins, et vous témoigner avec transport le ressentiment où je suis des bontés surprenantes dont vous daignez favoriser le plus soumis de vos captifs.

Comment?

LA PRINCESSE.

ARISTO MENE.

Le prince d'Itaque, madame, vient de m'assurer tout-à-l'heure que votre cœur avoit eu la bonté de s'expliquer en ma faveur sur ce célebre choix qu'attend toute la Grece.

LA PRINCESSE.

Il vous a dit qu'il tenoit cela de ma bouche?

[blocks in formation]

LA PRINCESSE.

C'est un étourdi; et vous êtes un peu trop crédule, prince, d'ajouter foi si promptement à ce qu'il vous a dit. Une pareille nouvelle mériteroit bien, ce me semble, qu'on en doutât un peu de temps; et c'est tout ce que vous pourriez faire de la croire, si je vous l'avois dite moi-même.

ARISTOMENE.

Madame, si j'ai été trop prompt à me persuader...

LA PRINCESSE.

De grace, prince, brisons là ce discours; et, si vous voulez m'obliger, souffrez que je puisse jouir de deux moments de solitude.

SCENE V.

LA PRINCESSE, AGLANTE, MORON.

LA PRINCESSE.

Ah! qu'en cette aventure le ciel me traite avec une rigueur étrange! Au moins, princesse, souvenezvous de la priere que je vous ai faite.

AGLANTE.

Je vous l'ai dit déja, madame, il faut vous obéir.

SCENE VI.

LA PRINCESSE, MORON.

MORON.

Mais, madame, s'il vous aimoit, vous n'en youdriez point; et cependant vous ne voulez pas qu'il soit à une autre. C'est faire justement comme le chien du jardinier.

LA PRINCESSE.

Non, je ne puis souffrir qu'il soit heureux avec

ane autre; et, si la chose étoit, je crois que j'en mourrois de déplaisir.

MORON.

Ma foi, madame, avouons la dette: vous voudriez qu'il fût à vous; et dans toutes vos actions il est aisé de voir que vous aimez un peu ce jeune prince.

LA PRINCESSE.

Moi, je l'aime! O ciel! je l'aime! Avez-vous l'insolence de prononcer ces paroles? Sortez de ma vue, impudent, et ne vous présentez jamais devant moi.

Madame...

MORON.

LA PRINCESSE.

Retirez-vous d'ici, vous dis-je, ou je vous en ferai retirer d'une autre maniere.

MORON, bas, à part.

Ma foi, son cœur en a sa provision, et... ( Il rencontre un regard de la princesse, qui l'oblige à se retirer.)

SCENE VII.

LA PRINCESSE, seule.

De quelle émotion inconnue sens-je mon cœur atteint? et quelle inquiétude secrete est venue troubler tout d'un coup la tranquillité de mon ame? Ne seroit-ce point aussi ce qu'on vient de me dire? et, sans en rien savoir, n'aimerois-je point ce jeune prince? Ah! si cela étoit, je serois personne à me désespérer. Mais il est impossible que cela soit, et je vois bien que je ne puis pas l'aimer. Quoi! je serois capable de cette lâcheté ! J'ai vu toute la terre à mes pieds avec la plus grande insensibilité du monde; les respects, les hommages et les soumissions, n'ont jamais pu toucher mon ame: et la fierté et le dédain en

auroient triomphé! J'ai méprisé tous ceux qui m'out aimée; et j'aimerois le seul qui me méprise! Non, non, je sais bien que je ne l'aime pas. Il n'y a pas de raison à cela. Mais si ce n'est pas de l'amour que ce que je sens maintenant, qu'est-ce donc que ce peut être? et d'où vient ce poison qui me court par toutes les veines, et ne me laisse point en repos avec moimême? Sors de mon cœur, qui que ta sois, ennemi qui te caches; attaque-moi visiblement, et deviens à mes yeux la plus affreuse bête de tous nos bois, afin que mon dard et mes fleches me puissent défaire de toi.

FIN DU QUATRIEME ACTE.

« PrécédentContinuer »