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la plus fâcheuse du monde. Il y a je ne sais combien que j'enrage du peu de liberté qu'il me donne ; et j'ai cent fois souhaité qu'il me mariât, pour sortir promptement de la contrainte où j'étois avec lui, et me voir en état de faire ce que je voudrai. Dieu merci, vous êtes venu heureusement pour cela; et je me prépare désormais à me donner du divertissement, et à réparer comme il faut le temps que j'ai perdu. Comme vous êtes un fort galant homme, et que vous savez comme il faut vivre, je crois que nous ferons le meilleur ménage du monde ensemble, et que vous ne serez point de ces maris incommodes qui veulent que leurs femmes vivent comme des loups-garous. Je vous avoue que je ne m'accommoderois pas de cela, et que la solitude me désespere. J'aime le jeu, les visites, les assemblées, les cadeaux et les promenades, en un mot toutes les choses de plaisir; et vous devez être ravi d'avoir une femme de mon humeur. Nous n'aurons jamais aucun démêlé ensemble: et je ne vous contraindrai point dans vos actions, comme j'espere que, de votre côté, vous ne me contraindrez point dans les miennes; car, pour moi, je tiens qu'il faut avoir une complaisance mutuelle, et qu'on ne se doit point marier pour se faire enrager l'un l'autre. Enfin nous vivrons, étant mariés, comme deux personnes qui savent leur monde : aucun soupçon jaloux ne nous troublera la cervelle ; et c'est assez que vous serez assuré de ma fidélité, comme je serai persuadée de la vôtre. Mais qu'avezvous? je vous vois tout changé de visage.

SGANARELLE.

Ce sont quelques vapeurs qui me viennent de monter à la tête.

de

DORIMENE.

C'est un mal aujourd'hui qui attaque beaucoup gens; mais notre mariage vous dissipera tout cela.

Adieu : il me tarde déja que je n'aie des habits raisonnables pour quitter vite ces guenilles. Je m'en vais de ce pas achever d'acheter toutes les choses qu'il me faut, et je vous envoierai les marchands.

SCENE V.

GERONIMO, SGANARELLE.

GERONIMO.

Ah! seigneur Sganarelle, je suis ravi de vous trouver encore ici; et j'ai rencontré un orfevre qui, sur le bruit que vous cherchiez quelque beau diamant en bague pour faire un présent à votre épousc, m'a fort prié de vous venir parler pour lui, et de vous dire qu'il en a un à vendre, le plus parfait du monde.

SGANARELLE.

Mon dieu! cela n'est pas pressé.

GERONIMO.

Comment! que veut dire cela? Où est l'ardeur que vous montriez tout-à-l'heure?

SGANARELLE.

Il m'est venu, depuis un moment, de petits scrupules sur le mariage. Avant que de passer plus avant, je voudrois bien agiter à fond cette matiere, et que l'on m'expliquât un songe que j'ai fait cette nuit, et qui vient tout-à-l'heure de me revenir dans l'esprit. Vous savez que les songes sont comme des miroirs où l'on découvre quelquefois tout ce qui nous doit arriver. Il me sembloit que j'étois dans un vaisseau, sur une mer bien agitée, et que...

GERONIMO.

Seigneur Sganarelle, j'ai maintenant quelque petite affaire qui m'empêche de vous ouir. Je n'entends rien du tout aux songes; et, quant au raisonnement du mariage, vous avez deux savants, deux philosophes vos voisins, qui sont gens à vous débiter tout ce qu'on

peut dire sur ce sujet. Comme ils sont de sectes différentes, vous pouvez examiner leurs diverses opinions là-dessus. Pour moi, je me contente de ce que je vous ai dit tantôt, et demeure votre serviteur.

SCANARELLE, seul.

Il a raison : il faut que je cousulte un peu ces genslà sur l'incertitude où je suis.

SCENE VI.

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PANCRACE, SGANARELLE. PANCRACE, se tournant du côté par où il est entré, et sans voir Sganarelle.

Allez, vous êtes un impertinent, mon ami, un homme ignare de toute bonne discipline, bannissable de la république des lettres.

SGANARELLE.

Ah! bon. En voici un fort à propos.

PANCRACE, de méme, sans voir Sganarelle. Oui, je te soutiendrai par vives raisons, je te montrerai par Aristote, le philosophe des philosophes, que tu es un ignorant, un ignorantissime, ignoran tifiant et ignorantifié, par tous les cas et modes imagi. 'nables.

SGANARELLE, à part.

Il a pris querelle contre quelqu'un. (à Pancrace.) Seigneur...

PANGRACE, de méme, sans voir Sganarelle. Tu te veux mêler de raisonner, et tu ne sais pas seulement les éléments de la raison.

SGANARELLE, à part.

La colere l'empêche de me voir. (à Pancrace.) Seigneur...

PANGRACE, de même, sans voir Sganarelle. C'est une proposition condamnable dans toutes les terres de la philosophie.

SCANARELLE, à part.

Il faut qu'on l'ait fort irrité. (àPancrace.) Je... PANCRACE, de même, sans voir Sganarelle. Toto cælo, totá via aberras.

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Sais-tu bien ce que tu as fait ? un syllogisme in balordo.

Je vous...

8 GANARELLE.

PANCRACE, de même.

La majeure en est inepte, la mineure impertinente, et la conclusion ridicule.

Je...

S GANARELLE.

PANCRACE, de méme.

Je creverois plutôt que d'avouer ce que tu dis; et je soutiendrai mon opinion jusqu'à la derniere goutte de mon encre.

Puis-je...?

SGANABELLE.

PANCRACE, de méme.

Oui, je défendrai 'cette proposition, pugnis et calcibus, unguibus et rostro.

SGANARELLE.

Seigneur Aristote, pent-on savoir ce qui vous met si fort en colere?

PAN CRACE.

Un sujet le plus juste du monde.

SGANARELLE.

Et quoi encore?

PANCRACF.

Un ignorant m'a voulu soutenir une proposition erronée, une proposition épouvantable, effroyable, exécrable.

SGANARELLE.

Puis-je demander ce que c'est ?

PANGRACE.

Ah! seigneur Sganarelle, tout est renversé aujourd'hui, et le monde est tombé dans une corruption générale une licence épouvantable regne partout; et les magistrats qui sont établis pour maintenir l'ordre dans cet état devrɔient mourir de honte en souffrant un scandale aussi intolérable que celui dont je veux parler.

SGANARELLE.

Quoi done?

PANCRACE.

N'est-ce pas une chose horrible, une chose qui crie vengeance au ciel, que d'endurer qu'on dise publiquement, la forme d'un chapeau ?

Comment?

SGANARFLLE.

PANCRACF.

Je soutiens qu'il faut dire la figure d'un chapeau, et non pas la forme: d'autant qu'il y a cette différence entre la forme et la figure, que la forme est la disposition extérieure des corps qui sont animés ; et la figure, la disposition extérieure des corps qui sont inanimés et puisque le chapeau est un corps ìnanimé, il faut dire la figure d'un chapeau, et non pas la formie. (se retournant encore du côté par où il est entré) Qui, ignorant que vous êtes, c'est ainsi qu'il faut

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