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SGANARELLE, bas, à don Juan. Je n'ai rien à répondre. Vous vous moquez de

votre serviteur.

DON JUAN.

Veux-tu répondre? te dis-je.

SGANARELLE.

Madame...

DONE ELVIRE.

Quoi?

SGANARELLE, se tournant vers son maître. Monsieur...

Si...

DON JUAN, en le menaçant.

SGANARELLE.

Madame, les conquérants, Alexandre, et les autres mondes, sont cause de notre départ. Voilà, monsieur, tout ce que je puis dire.

DONE ELVIRE.

Vous plaît-il, don Juan, nous éclaircir ces beaux mysteres?

DON JUAN.

Madame, à vous dire la vérité...

DONE ELVIRE.

Ah! que vous savez mal vons défendre pour un homme de cour et qui doit être accoutumé à ces sortes de choses! J'ai pitié de vous voir la confusion que vous avez. Que ne vous armez-vous le front d'une noble effronterie ? Que ne me jurez-vous que vous êtes toujours dans les mêmes sentiments pour moi, que vous m'aimez toujours avec une ardeur sans égale, et que rien n'est capable de vous détacher de moi que la mort? Que ne me dites-vous que des affaires de la derniere conséquence vous ont obligé à partir sans m'en donner avis; qu'il faut que, malgré vous, vous demeuriez ici quelque temps, et que je n'ai qu'à m'en retourner d'où je viens, assurée que vous

suivrez męs pas le plutôt qu'il vous sera possible; qu'il est certain que vous brûlez de me rejoindre, et qu'éloigné de moi vous souffrez ce que souffre un corps qui est séparé de son ame? Voilà comme il faut vous défendre, et non pas être interdit comme vous êtes.

DON JUAN.

Je vous avoue, madame, que je n'ai point le talent de dissimuler, et que je porte un cœur sincere. Je ne vous dirai point que je suis toujours dans les mêmes sentiments pour vous, et que je brûle de vous rejoindre, puisqu'enfin il est assuré que je ne suis parti que pour vous fuir, non point par les raisons que vous pouvez vous figurer, mais par un pur motif de conscience, et pour ne croire pas qu'avec vous davantage je puisse vivre sans péché. Il m'est venu des scrupules, madame, et j'ai ouvert les yeux de l'ame sur ce que je faisois. J'ai fait réflexion que, pour vous épouser, je vous ai dérobée à la clôture d'un couvent, que vous avez rompu des vœux qui vous engageoient autre part, et que le ciel est fort jaloux de ces sortes de choses. Le repentir m'a pris, et j'ai craint le courroux céleste. J'ai cru que notre mariage n'étoit qu'un adultere déguisé, qu'il nous attireroit quelque disgrace d'en-haut, et qu'enfin je devois tâcher de vous oublier et vous donner un moyen de retourner à vos premieres chaînes. Voudriez-vous, madame, vous opposer à une si sainte pensée, et que j'allasse, en vous retenant, me mettre le ciel sur les bras; que par...?

DONE ELVIRE.

Ah! scélérat, c'est maintenant que je te connois tout entier; et, pour mon malheur, je te connois lorsqu'il n'en est plus temps, et qu'une telle connoissance ne peut plus me servir qu'à me désespérer: mais sache que ton crime ne demeurera pas impuni,

et que le même ciel dont tu te joues me saura venger de ta perfidie.

Madame...

DON JUAN.

DONE ELVIRE.

Il suffit, je n'en veux pas ouir davantage, et je m'accuse même d'en avoir trop entendu. C'est une lâcheté que de se faire expliquer trop sa honte; et, sur de tels sujets, un noble cœur au premier mot doit prendre son parti. N'attends pas que j'éclate ici en reproches et en injures; non, non, je n'ai point un courroux à s'exhaler en paroles vaines, et toute sa chaleur se réserve pour sa vengeance. Je te le dis encore, le ciel te punira, perfide, de l'outrage que tu me fais; et, si le ciel n'a rien que tu puisses apprehender, appréhende du moins la colere d'une femme offensée.

SCENE IV.

DON JUAN, SGANARELLE.

SCANARELLE, à part.

Si le remords le pouvoit prendre!

DON JUAN, après un moment de réflexion.

Allons songer

amoureuse.

à l'exécution de notre entreprise

SGANARELLE, seul.

Ah! quel abominable maître me vois-je obligé de servir!

FIN DU PREMIER ACTE.

ACTE SECOND.

SCENE I.

CHARLOTTE, PIERROT.

CHARLOTTE.

NOTRE dinse! Piarrot, tu t'es trouvé là bien à point!

PIERROT.

Parguienne! il ne s'en est pas fallu l'époisseur d'une éplingue qu'ils ne se sayant nayés tous deux.

CHARLOTTE,

C'est donc le coup de vent d'à matin qui les avoit renvarsés dans la mar?

PIERROT.

Aga, quien, Charlotte, je m'en vas te conter tout fin drait comme cela est venu : car, comme dit l'autre, je les ai le premier avisés, avisés le premier je les ai. Enfin donc, j'étions sur le bord de la mar, moi et le gros Lucas, et je nous amusions à batifoler avec des mottes de tarre que je nous jesquions à la tête; car, comme tu sais bian, le gros Lucas aime à batifoler, et moi, par fouas, je batifole iton. En batifolant donc, pisque batifoler y a, j'ai apparcu de tout loin queuque chose qui grouilloit dans gliau, et qui venoit comme envars nous par secousse. Je voyois cela fixiblement; pis tout d'un coup je voyois que je ne voyois plus rian. Hé! Lucas, c'ai-je fait, je pense que vlà deux hommes qui nagiant là-bas. Voire, ce m'a-t-il fait, t'as été au trépassement d'un chat, t'as la vue trouble. Par sanguienne! c'ai-je fait, je n'ai point la vue trouble, ce sont des hommes. Point du tout, ce m'a

t-il fait; t'as la barlue. Veux-tu gager, c'ai-je fait, que je n'ai point la barlue, c'ai-je fait, et que ce sont deux hommes, c'ai-je fait, qui nagiant droit ici, c'aije fait? Morguienne! ce m'a-t-il fait, je gage que non. Oh çà, c'ai-je fait, veux-tu gager dix sous que si? Je le veux bian, ce m'a-t-il fait; et pour te montrer, vlá argent sur jeu, ce m'a-t-il fait. Moi, je n'ai point été ni fou ni étourdi, j'ai bravement bouté à tarre quatre pieces tapées, et cinq sous en doubles, jerniguienne! aussi hardiment que si j'avois avalé un varre de vin; car je sis hasardeux, moi, et je vas à la débandade. Je savois bian ce que je faisois pourtant. Queuque gniais... Enfin donc je n'avons pas putôt eu gagé, que j'avons vu les deux hommes tout à plain qui nous faisiant signe de les aller quérir; et moi de tirer les enjeux, Allons, Lucas, c'ai-je dit, tu vois bian qu'ils nous appelont; allons vîte à leu secours. Non, ce m'a-t-il dit, ils m'ont fait pardre. Oh donc, tanquia qu'à la parfin, pour le faire court, je l'ai tant sarmonné, que je nous sommes boutés dans une barque; et pis j'avons tant fait cahin caha, que je les avons tirés de gliau; et pis je les avons menés cheux nous auprès du feu; et pis ils se sant dépouillés tout nuds pour se sécher; et pis il y en est venu encore deux de la même bande qui s'équiant sauvés tout seuls; et pis Mathurine est arrivée là, à qui l'en a fait les doux yeux. Vlà justement, Charlotte, comme tout ça s'est fait.

CHARLOTTE,

Ne m'as-tu pas dit, Piarrot, qu'il y en a un qu'est bian pu mieux fait que les autres ?

PIERROT.

Qui, c'est le maître. Il faut que ce soit queuque gros monsieu, car il a du d'or à son habit tout depis le haut jusqu'en bas, et ceux qui le servont sont des monsieux eux-mêmes; et stapandant, tout gras

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