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1. On ne donne pas une notion exacte du droit en général, quand on le définit : « Ce qui est prescrit par l'autorité législative (quod jussum est), » définition matérialiste, dans laquelle on prend le fait pour le droit.

2. Ni quand on le définit : « Ce qui est bon et juste, ou bon et équitable (quod semper æquum et bonum est, suivant Paul); ou l'art du bon et du juste, l'art du bon et de l'équitable (ars boni et æqui, suivant Ulpien) apparence de définition spiritualiste, qui ne consiste réellement qu'à mettre un mot à la place d'un autre; car qu'est-ce que le bon, qu'est-ce que le juste, qu'est-ce que l'équitable?

3. L'étude philologique de la dénomination employée, jus en latin, droit en français (quæstio nominis), ne fournit pas une notion plus satisfaisante: soit que prenant le mot latin jus, on n'y voie qu'un sens matériel (quod jussum est); soit qu'on y cherche

une origine toute spirituelle, et qu'avec Vico on le fasse dériver de Jovis, Jupiter, ou, avec saint Augustin, de la voix de Dieu qui parle et enseigne aux hommes (fatur et jubet, d'où fas et jus) ce qu'il leur est permis, ce qu'il leur est commandé ou défendu de faire; soit, enfin, que s'attachant à l'expression française droit, on y fasse remarquer l'idée d'une figure de géométrie, celle de la ligne droite, c'est-à-dire de la ligne la plus courte, de la ligne non arbitraire d'un point à un autre, et de la règle ou de l'instrument qui sert à tracer cette ligne.

Les sciences, comme la littérature, parlent souvent par images, par métaphores; mais sous ces métaphores il faut savoir ce qu'il y a réellement; il faut arriver, simplement et sans figure, à une notion exacte et précise. Or pour obtenir celle du droit, il est nécessaire de remonter à celle de loi. L'une marchera à la suite de l'autre.

4. Si, dans le monde des objets matériels qui nous entourent, nous voyons un phénomène physique s'accomplir une pierre tomber vers la terre, une búlle de savon s'élever dans l'air, une planche flotter à la surface de l'eau, et l'eau courir, en suivant sa pente, du ruisseau au fleuve et du fleuve à la mer; si, au contact de certaines nuées, l'éclair jaillit, puis le tonnerre roule; si le jour succède à la nuit, et la nuit au jour; ou que le cortège varié de chaque saison ait une fois passé graduellement devant nous : témoins de ces faits et de mille autres encore, nous arrêteronsnous au fait isolé, au phénomène déterminé qui s'est accompli sous nos yeux, ou bien notre esprit ne s'élancera-t-il pas au delà? Penserons-nous que chacun de ces phénomènes est un accident, un hasard, une éventualité; et que, les mêmes données se reproduisant, il ne se reproduira plus ou arrivera d'une tout autre manière? Telle certainement ne sera pas notre pensée. Le phénomène une fois observé, nous nous attendons au même retour si les mêmes conditions se réalisent. Nous portons en nous la conviction intime qu'il y a dans l'accomplissement de ce phénomène une série de forces en jeu, un enchaînement de causes et d'effets successifs, d'où, en définitive, une nécessité que tel résultat se produise; ou, en d'autres termes, ce que nous appelons une loi. Une loi, dans l'ordre physique, n'est autre chose en effet qu'une nécessité de mouvement ou de repos, de transformations ou de modifications; ou, pour tout réduire à des expressions plus générales, une nécessité d'action ou d'inaction des corps les uns à l'égard des autres. L'esprit de l'homme, en présence de tout phénomène, est travaillé du besoin de découvrir et de préciser quelle est la nécessité immédiate, c'est-à-dire la loi la plus proche sous l'empire de laquelle le fait a eu lieu; de remonter de celle-ci à celle qui la précède; et se poussant de plus en plus dans un enchaînement de nécessités ou lois successives dont l'une le conduit à l'autre, de marcher sans cesse de degré en degré vers l'idéal d'une loi

générale, principe générateur de toutes les autres. Un des modes de raisonnement les plus naturels à l'homme, une des conclusions de logique les plus usitées, sans étude et pour ainsi dire par instinct, ne repose que sur la croyance innée à l'existence de ces lois; « cela s'est passé ainsi, donc cela se passera encore de même, » ou l'induction : tel est, on peut le dire, le principal fondement de nos connaissances. Ne percevoir que le phénomène, en s'arrêtant à la sensation de l'effet produit, est d'une nature bornée, d'une organisation brute; s'inquiéter de la cause au moins la plus voisine et chercher à s'en rendre compte appartient aux esprits même les plus vulgaires; mais plus l'intelligence est élevée, plus elle embrasse en abstraction la série graduelle des lois; plus elle est possédée du besoin de parvenir à les connaitre; plus elle tend à satisfaire ce besoin.-La connaissance, ou, pour mieux dire, le souvenir des phénomènes, comme purs phénomènes, quelque nombreux qu'ils soient, n'est qu'un acte de mémoire, qu'une chose de fait; c'est la connaissance des lois qui seule constitue la science.

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5. Qui dit loi dit nécessité, et qui dit nécessité dit contrainte moyen de contrainte d'où résultent les lois de l'ordre matériel gît dans les forces mêmes de la création. Ni les objets qui y sont soumis ne peuvent s'y soustraire, ni l'homme par ses efforts ne les peut empêcher; les obstacles qu'il semble mettre à l'accomplissement de ces lois n'en provoquent, au contraire, que l'accomplissement même c'est le paratonnerre qui garantit la maison parce qu'il sert au fluide électrique à aller se décharger dans la terre; toute l'industrie, tout le pouvoir de l'homme se borne à fournir l'occasion à la loi de fonctionner; à disposer les choses de telle sorte que la loi dont il veut profiter entre en application et produise son effet. Le propre des lois physiques est d'être permanentes, invariables et inviolables.

6. A mesure qu'on passe de la matière inerte et non organisée aux êtres construits de manière à former chacun une individualité distincte, pourvus d'organes remplissant certaines fonctions et dont le fonctionnement produit le phénomène qu'on appelle la vie, on trouve à côté des nécessités ou lois purement physiques, auxquelles restent toujours soumis les éléments matériels dont se composent ces êtres, un ensemble de nécessités d'actions ou d'inactions d'un ordre plus élevé. Il s'agit, en effet, ici des actions ou inactions qui constituent le fonctionnement même des divers organes, en rapport soit avec les corps intérieurs ou extérieurs, soit l'un avec l'autre. Ces nécessités d'actions ou d'inactions organiques, d'où résultent les mille phénomènes de la vie, naissance, accroissement, décadence progressive, finalement désorganisation et retour à la matière inerte, portent le nom de lois physiologiques. Le moyen de contrainte pour ces sortes de nécessités ou de lois gît encore dans les forces mêmes de la création. Plus mystérieux, plus impéné

trable à nos investigations, le principe spécial qui y préside n'en exerce pas moins sa domination. Permanentes, et, dans leur prodigieuse variété, toujours semblables à elles-mêmes, les lois physiologiques sont également inviolables. Nous les subissons sans pouvoir nous y soustraire ni y soustraire les êtres qui nous environnent. Dans les obstacles mêmes ou dans les destructions que nous semblons y apporter, nous ne faisons qu'en provoquer ou qu'en procurer l'accomplissement.

7. Si nous nous élevons toujours davantage, si nous nous prenons à considérer l'homme dans l'exercice de son activité : à côté de ces phénomènes d'action ou d'inaction dont il n'est pas le maître, qui ne sont que le résultat des nécessités ou lois soit physiques soit physiologiques auxquelles il est soumis sans pouvoir s'y soustraire, nous trouverons le principe d'une autre activité dont il dispose; une force qui est en lui, par laquelle il se sent la liberté de décider que telle action sera faite ou ne sera pas faite, avec la puissance de mettre en jeu ou de contraindre au repos les instruments de son corps, intérieurs ou extérieurs, nécessaires à l'exécution. C'est là véritablement l'activité de l'homme; car dans l'autre, à parler juste, il est moins agent que patient : « Non agit, sed agitur. Cette activité, il est appelé à l'exercer dans tout le cours et dans toutes les relations de sa vie; soit que vous le supposiez en rapport avec l'idée de Dieu, soit avec les autres êtres de toute nature, soit avec ses semblables, soit avec lui-même, toujours la question de l'action ou de l'inaction se présente dans ces divers rapports. Mais si les actions ou les inactions de cette

sorte ne sont soumises en lui à aucune nécessité, à aucune contrainte physique, cela veut-il dire qu'il soit maître de toute façon de s'y résoudre et de les exécuter dans un sens ou dans l'autre indifféremment? C'est ici que l'homme se sépare, sans transition, sans analogie aucune, de tous les autres êtres animés ici-bas. C'est ici qu'apparaît, dans son plus haut privilége, la supériorité de sa création. L'homme a en lui une faculté éminente, la raison, qui lui indique qu'il est des actes qu'il doit faire, d'autres dont il doit s'abstenir, et qui lui signale ces actes en toute occasion. Maître matériellement, il est asservi rationnellement; à côté de la liberté de fait dont il est doué, il y a pour lui des nécessités métaphysiques d'action ou d'inaction : ces nécessités sont ce qu'on nomme, en d'autres termes, les lois de la conduite de l'homme, ou bien, en prenant l'épithète dans son acception la plus large, les lois morales. Il s'agit de savoir où gît, pour ces sortes de nécessités, le moyen de contrainte.

8. Si nous étudions sous ce point de vue les diverses actions ou inactions de l'homme dans toutes les relations qu'embrasse le cours de sa vie, nous reconnaîtrons qu'il en est pour lesquelles le moyen de contrainte réside uniquement en nous; nul hors de nous, ici-bas, ne peut ni ne doit pouvoir nous les imposer; aucune force

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