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coupable, ce n'est pas telle ou telle faculté de l'intelligence, mais bien la faculté la plus haute, la raison morale, la conception du juste ou de l'injuste; que cette faculté elle-même suit des gradations et se présente avec des nuances successives dans son développement: tel, en effet, apercevra déjà la violation de droit qui existe dans les violences contre les personnes, qui n'appréciera pas encore aussi nettement celle contenue dans les atteintes à la propriété, moins encore celle des atteintes contre la foi publique, fausse monnaie, faux billets de banque et les divers genres de faux; en dernier lieu, enfin, celles qui tiennent plus intimement à l'organisation générale de l'état social, aux droits et aux devoirs politiques. D'où il suit que ce qu'il faut pour constituer la culpabilité, c'est la conception du juste et de l'injuste, non pas en général, mais spécialement, dans le fait particulier objet de la poursuite : voilà ce qui est compris dans le mot de discernement; et la question doit être résolue, non pas sur un indice isolé, sur une épreuve après coup, mais par tout l'ensemble des faits et de l'étude de l'agent, d'après une conviction consciencieuse : le doute doit profiter à l'inculpé.

290. La solution présente deux hypothèses : ou le mineur de seize ans a agi sans discernement, ou il a agi avec discernement; la première de ces hypothèses est réglée par l'article 66, et la seconde par les articles 67 et 69 du Code pénal.

291. S'il est décidé que le mineur de seize ans a agi sans discernement, il sera acquitté, porte l'article 66: en effet, puisqu'il n'y a pas de discernement, il n'y a pas d'imputabilité ou du moins de culpabilité pénale. Il faudra tirer de cette disposition les conséquences de droit qui se tirent de tout acquittement.

292. Néanmoins, certaines mesures particulières sont autorisées par le même article en ces termes : « Mais il sera, selon les cir» constances, remis à ses parents ou conduit dans une maison de >> correction pour y être élevé et détenu pendant tel nombre d'années » que le jugement déterminera, et qui toutefois ne pourra excéder » l'époque où il aura accompli sa vingtième année.» Ces mesures, qui ont été imitées depuis dans plusieurs codes étrangers, nous viennent du Code pénal de 1791 (tit. V, art. 2). Elles sont remises à l'appréciation du juge chargé de faire l'application de la loi. Il ne faut pas les considérer comme faisant contradiction avec l'acquittement qui est prononcé.

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293. En effet, si les parents, ou même, à leur défaut et sur leur consentement exprès ou présumé, si quelque ami, quelque personne charitable, quelque établissement d'apprentissage ou d'éducation professionnelle qui demandent à se charger du mineur sont jugés offrir de suffisantes garanties pour la bonne direction de ce mineur, il leur sera remis. Ce n'est que lorsque ces garanties manquent et que la gravité des faits paraît d'ailleurs l'exiger, qu'il y a lieu d'ordonner la détention autorisée par l'article 66. Cette déten

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tion n'est point infligée à titre de peine publique, puisqu'il y a acquittement. L'article dit que le mineur sera conduit dans une maison pour y être élevé : c'est donc une mesure de prévision, d'éducation bienfaisante, avec une certaine contrainte dont le caractère a déjà été déterminé par nous suivant la science rationnelle (n° 271 et 272).

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294. Tel étant l'esprit de la loi, il serait de toute nécessité que la manière d'organiser ce genre de détention y répondît. Malheureusement, suivant la législation de 1791, peu avancée encore sur ce point, cette détention devait être subie dans une maison de correction: or, sous ce titre et dans le même établissement, le législateur d'alors avait confondu les détentions des mineurs par décision du tribunal de famille, celles des mineurs de seize ans. acquittés, et celles de tous les condamnés correctionnellement, en se bornant à ordonner une séparation par quartiers (1) confusion qui a passé dans le texte (art. 40 et 66) et dans la pratique du Code pénal de 1810. Ce mode d'exécution si imparfait a produit pendant longtemps des injustices et des effets déplorables. Quelques établissements fondés par des efforts particuliers ou par des départements ont eu pour but d'entrer dans une meilleure application de la loi; et finalement, une disposition générale, dont nous aurons à traiter ultérieurement, la loi du 5 août 1850, sur l'éducation et le patronage des jeunes détenus, a décrété, sinon en réalisation immédiate, du moins en principe, l'établissement de colonies pénitentiaires, où les jeunes détenus acquittés comme ayant agi sans discernement doivent recevoir une éducation morale, religieuse et professionnelle (art. 1 et 3 de la loi).

295. Bien que la détention dont il s'agit ne fût autorisée par le Code pénal de 1791 qu'à l'égard du mineur accusé de crime (cidess. n° 283); bien que l'article 66 du Code pénal actuel, emprunté à celui de la Constituante, porte encore lui-même le mot accusé, et qu'aucun autre texte ne dise que cette détention puisse être étendue au cas de simples délits correctionnels, cependant l'affirmative est hors de doute et constamment appliquée dans la pratique; elle se fonde sur le rapprochement de l'article 69 avec l'article 66, et surtout sur ce que cette détention n'est pas une peine.

296. Dans la seconde hypothèse, c'est-à-dire si le mineur de seize ans est déclaré avoir agi avec discernement, il y a imputabilité pénale, mais culpabilité moindre que chez l'homme fait. L'article 67 pour le cas de crime, et l'article 69 pour le cas de

(1) Il y aura des maisons de correction destinées : 1o aux jeunes gens au-dessous de l'âge de vingt et un ans, qui devront y être renfermés conformément aux articles 15, 16 et 17 du titre 10 du décret sur l'organisation judiciaire (du 16 août 1790, c'est-à-dire par arrêté des familles); 20 aux personnes condamnées par voie de police correctionnelle. (Loi du 19 juillet 1791 sur la police municipale et sur la police correctionnelle, tit 2, art. 2 et suiv.)

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simple délit, ont établi, en conséquence, une diminution de pénalité que nous indiquerons plus tard en traitant des peines.

297. Notez ici deux choses: 1° qu'il y a punition, peine publique; d'où la conséquence que les mesures et notamment la détention organisées pour ce cas doivent, sous peine d'injustice, différer de celles qui ont lieu en cas d'acquittement (ci-dessus, no 271); 2o que néanmoins elles sont destinées à de jeunes délinquants; d'où la conséquence qu'elles doivent différer aussi de celles applicables aux hommes faits, et s'approprier aux possibilités d'amendement et de bonne direction que présente le jeune âge. Il ne suffit pas de diminuer la peine, il faut en modifier l'organisation (ci-dessus, no 270).-Ni le Code pénal de 1791, ni celui de 1810, qui ont confondu dans une même maison de correction, celle destinée à l'emprisonnement ordinaire, les mineurs acquittés avec les mineurs condamnés, en les soumettant ensemble au même régime, n'ont satisfait aux deux distinctions que nous venons de signaler. Nous aurons à voir, en étudiant la loi du 5 août 1850. sur les jeunes détenus, jusqu'à quel point, au moyen de ses colonies pénitentiaires et de ses colonies correctionnelles pour les jeunes détenus acquittés ou condamnés, elle aura porté remède à ces vices législatifs.

298. Le principe qu'il ne saurait y avoir d'imputabilité pénale contre celui qui, à raison de son âge, était encore hors d'état de discerner le mal moral contenu dans l'acte qui lui est reproché, est un principe tellement absolu, tellement essentiel du droit pénal, qu'il s'étend à tous les délits, de quelque nature qu'ils soient, sans exception, et que, ne fût-il pas exprimé par la loi, il n'en devrait pas moins exercer son empire dans le jugement des affaires, le devoir du juge étant de déclarer non coupable celui qui se trouverait en semblable situation. Mais on conçoit qu'il n'en est pas de même du chiffre de l'âge, par exemple celui de seize ans dans notre législation, ni des mesures autorisées par l'article 66 à l'égard du mineur acquitté, ni de la diminution de peine formulée dans les articles 67 et 69 à l'égard des mineurs condamnés, parce que ces dispositions ne sont que des créations variables du droit positif, dénuées d'autorité en dehors de la loi qui les a établies d'où la question de savoir si elles doivent se restreindre aux crimes et aux délits prévus par le Code pénal, ou s'il faut les étendre à tous les crimes ou délits, même à ceux régis par des lois spéciales? La généralité des termes de ces articles, et cette considération qu'à défaut on tombe dans l'absence de toute règle positive sur un point aussi important, nous font ranger à l'avis de cette extension, avis consacré par la jurisprudence la plus récente. Mais faut-il en dire autant pour les simples contraventions de police? Malgré un ou deux arrêts de la Cour de cassation qui semblent incliner vers l'affirmative, nous nous prononçons fermement en sens contraire. Le Code ne parle, dans les articles 66, 67 et 69,

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que de crimes et de délits; les contraventions de simple police sont traitées à part, dans un livre spécial. Sans doute, si le juge de simple police reconnaît que l'inculpé, à cause de son jeune âge, a agi sans discernement, il devra, ici comme dans tous les autres cas, le déclarer non coupable et l'acquitter, en vertu du principe essentiel et absolu du droit pénal par nous signalé, mais nous contestons qu'il puisse, à la suite de cet acquittement, ordonner la détention dont il s'agit dans l'article 66; ni qu'il soit obligé, en cas de condamnation, de diminuer la peine conformément à l'article 69. Indépendamment des raisons de texte données ci-des

sus, le peu de gravité de la contravention de simple police et de la peine qui y est attachée s'oppose à l'un et à l'autre de ces résultats. 299. L'expression de discernement suppose, dans la personne de l'agent, la lumière naissante des facultés morales: on se demande si cette lumière a été suffisante pour que l'agent ait discerné, ait vu clairement le juste ou l'injuste de ses actes. C'est donc une expression parfaitement appropriée au jeune âge; dans notre législation elle est technique pour le mineur de seize ans. Mais au delà elle serait insuffisante, et il faut cesser de l'employer; la question alors est différente, ainsi que nous allons l'expliquer dans le chapitre suivant.

300. Le Code ne s'est pas borné, à l'égard du mineur de seize ans, à des modifications de pénalité; l'article 68 ordonne aussi dans certains cas, à son égard, une modification de juridiction dont nous parlerons en traitant de la compétence des juridictions.

301. Si l'on consulte nos statistiques criminelles pour se rendre compte de l'importance d'application que peuvent avoir les dispositions de notre code relatives aux mineurs de seize ans, on verra que cette importance, d'après le chiffre annuel de ces sortes d'affaires, commande une sérieuse attention. En prenant dans ces statistiques la moyenne des six dernières années qui aient paru (1851 à 1856), on trouve qu'il y a eu annuellement 9,333 mineurs de seize ans objets de poursuites pénales devant les Cours d'assises et devant les tribunaux de police correctionnelle, compte compris de toutes les sortes d'infractions poursuivies devant ces derniers tribunaux. Cette moyenne est supérieure de beaucoup à celle dès années précédentes; le chiffre jusqu'en 1854 inclusivement a suivi une marche notablement ascendante; à partir de 1855 il commence à décroître (1). Sur ce nombre total, la moyenne des mineurs envoyés par application de l'article 66 du Code pénal, pour être élevés par voie de correction, après avoir été acquittés comme ayant agi sans discernement, a été de 2,511 par an, durant les mêmes six dernières années. On remarque dans ces chiffres, de même que dans les précédents, une marche as

(1) Les trois derniers chiffres sont les suivants : 1854, 11,026; 1855, 9,662; 1856, 8,151.

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cendante jusqu'à l'année 1854 inclusivement; et une diminution qui commence à partir de 1855 (1). Les femmes ne comptent dans ces chiffres que pour un peu plus d'un cinquième (1,817 mineures de seize ans poursuivies chaque année, contre 7,516 mineurs). Quant aux causes de ces poursuites, les crimes y comptent pour moins d'un quinzième (603 mineurs poursuivis pour crimes, contre 8,730 pour délits), la plupart contre les propriétés, notamment des vols qualifiés et quelques incendies; un moindre nombre contre les personnes, parmi lesquels des attentats à la pudeur avec ou sans violence. Dans les délits, les vols sont les plus fréquents; puis graduellement viennent les délits contre les eaux et forêts, les délits de chasse, le vagabondage, la mendicité, les infractions aux lois de douane, les coups et blessures, les outrages publics à la pudeur, les délits ruraux. C'est dans le cours de la quatorzième, de la quinzième et de la seizième année d'âge que se placent la majeure partie de ces poursuites, le nombre allant en augmentant à mesure qu'on avance vers la limite supérieure de seize ans accomplis. La limite inférieure se montre ordinairement dans la huitième et dans la neuvième année; cependant, la septième quelquefois; nous trouvons même dans la statistique de 1847 l'exemple d'un enfant, et dans celle de 1854 l'exemple de trois enfants n'ayant pas encore six ans révolus, mis en accusation pour crime (2). Nous ignorons les circonstances particulières de ces affaires; mais, à un tel âge, une telle poursuite, que notre loi ne rend pas impossible, puisqu'elle l'abandonne à

(1) Les trois derniers chiffres sont les suivants : 1854, 3,369; 1855, 2,443 ; 1856, 2,180.

Nous ne trouvons pas dans les Statistiques criminelles, des renseignements suffisants pour présenter d'une manière exacte et conforme aux dispositions du Code le résultat des poursuites quant au chiffre total des mineurs de seize ans poursuivis : ce'a vient de ce que dans ces statistiques (tableau LXXVII), par une confusion qu'un criminaliste ne saurait admettre, parce qu'elle est opposée au texte et à l'esprit de notre loi, les mineurs acquittés, mais envoyés pour être élevés par voie de correction, ont été rangés, sous un même chiffre, parmi les condamnés à l'emprisonnement. Cependant la distinction ayant été faite à l'égard des crimes jugés par les cours d'assises (tableau XV), et à l'égard des infractions de police correctionnelle classées par ces statistiques sous la qualification de Délits communs on ne voit pas bien d'après quelle base (tableaux LXXIV et LXXVII combinés) nous pouvons, par rapport à cet ensemble de poursuites, offrir le résultat que voici : Moyennes annuelles durant les six années 1851 à 1856 mineurs ainsi poursuivis, 7,089 par an; sur lesquels 2,175 condamnés, et 4,914 acquittés soit comme ayant agi sans discernement, soit pour autre cause; parmi ces derniers 2,411 en liberté, et plus de la moitié, 2,503, envoyés pour être élevés par voie de correction.

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(2) Sur ces divers chiffres relatifs aux mineurs de seize ans, voir, dans les Statistiques criminelles, les tableaux XIII et XV (à l'égard des crimes jugés en cours d'assises) et les tableaux LXXIV, LXXVI et LXXVII (à l'égard des poursuites devant les tribunaux de police correctionnelle). Dans les statistiques antérieures à 1854, il y a quelques variations quant à ces derniers numéros des tableaux; mais les tableaux existent.

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