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l'appréciation individuelle des magistrats (ci-dessus, no 263 et 279), nous semble tout à fait anormale. Les cas de vagabondage, de mendicité, sont de nature à présenter souvent de tout jeunes enfants qui s'y trouvent compromis; mais c'est par voie de bienfaisance et de charité, et non par voie répressive, qu'il faut procéder à leur égard.

En ce qui touche la vieillesse, les statistiques nous montrent qu'elle n'est aux yeux du jury, suivant en cela instinctivement les principes rationnels, qu'une cause de sévérité de plus (ci-dessus, n° 273); car c'est parmi les accusés âgés de plus de soixante ans que le nombre des déclarations de culpabilité, comparé à celui des acquittements, est le plus grand (1).

§ 3. Altérations des facultés de l'âme quant à leur influence sur les conditions de l'imputabilité et de la culpabilité.

1° Suivant la science rationnelle.

302. Le développement graduel des facultés de l'âme, dont nous venons de traiter, ne se produit pas toujours en l'homme régulièrement, ou bien, une fois produit, ne se maintient pas toujours intact. La loi assignée à chaque être dans la création semble dévier quelquefois de son cours ordinaire. Sous l'empire de causes tenant elles-mêmes à des lois plus générales bien qu'ignorées, des irrégularités, des accidents se présentent. Par combien de points les facultés de l'âme ne sont-elles pas susceptibles d'avorter, de s'affaiblir ou de se désordonner! Combien de variété dans les causes, dans les effets, dans le degré de semblables altérations!

Le criminaliste ne peut plus se borner ici aux enseignements de la psychologie et de la physiologie, qui font leur étude l'une de l'âme, et l'autre de la vie à l'état normal; il lui faut recourir à ceux de la médecine légale ou judiciaire, qui étudie dans l'homme les défectuosités ou les altérations dont il peut être frappé.

303. Est-ce à dire que la loi pénale doive entrer dans les détails, énumérer les diverses altérations mentales, au risque d'en omettre plusieurs, suivre en cela la médecine légale, s'égarer ou se mettre en la bonne voie avec elle, donnant un caractère légal à des termes techniques variables et différemment entendus? Non, évidemment. Le législateur ne peut procéder ainsi. Il doit poser une règle générale, prise au point de vue exclusif du droit, qui puisse comprendre tous les cas. Ce sera ensuite à la jurisprudence à en faire, dans chaque cause, l'application.

304. Cette règle générale est facile à asseoir: il suffit de se reporter au rôle que joue dans les conditions de l'imputabilité et de la culpabilité chacune des facultés de l'âme dont nous avons déjà

(1) Voir Statistique criminelle pour 1856, p. XVI, et quant aux années antérieures le tableau correspondant, en chaque rapport.

donné l'analyse, et, suivant l'effet produit par la maladie mentale sur l'une ou sur l'autre de ces facultés, de tirer la conclusion.

305. Toutes ces sortes de maladies, en effet, n'atteignent pas de la même manière le moral humain. Si on les observe avec sagacité et avec le secours de l'analyse, on parvient à distinguer que c'est tantôt la raison morale, ou, en d'autres termes, la connaissance du juste et de l'injuste, tantôt la liberté, quelquefois les autres parties de l'intelligence, ou bien la sensibilité, qui se trouvent principalement affectées, soit ensemble, soit séparément : quoique, à vrai dire, il y ait toujours inévitablement plus d'un lien psychologique de l'une à l'autre, parce que le scalpel de la science ne peut pas faire que le moral de l'homme cesse d'être un tout.

306. Si donc, par suite d'une quelconque de ces affections mentales, l'agent s'est trouvé entièrement privé, dans son acte, soit de la raison morale, soit de la liberté, il n'y a pas d'imputabilité.

Si ces deux facultés, sans être détruites, ont été amoindries dans leur exercice, ou bien s'il n'y a eu d'affectées principalement que les autres parties de l'intelligence, ou même la sensibilité, agent provocateur de notre activité, l'imputabilité reste, mais la culpabilité diminue; et cette diminution offrira du plus ou du moins, selon le degré de l'altération:

307. Enfin il est même possible, dans ce dernier cas, que, les conditions de l'imputabilité subsistant toujours, la culpabilité s'abaisse tellement qu'elle ne comporte plus l'application d'une peine publique, et qu'il ne reste à la charge de l'agent d'autre obligation que celle de réparer le préjudice par lui causé. Il y a alors culpabilité civile et non culpabilité pénale.

308. On voit par là que ce qu'il importe de savoir pour l'application du droit, ce n'est pas précisément si l'agent avait, au moment de l'acte, telle ou telle maladie mentale, mais plutôt quel a été l'effet produit par la maladie sur ses facultés. L'agent a-t-il agi ayant sa raison morale, ou, en termes plus simples, la connaissance du bien et du mal? A-t-il agi ayant sa liberté morale? Ces deux facultés, quoique existant en lui, n'ont-elles pas été, l'une ou l'autre, amoindries dans l'exercice qu'il a pu en faire? N'y avait-il pas dans les autres parties de son intelligence, ou bien dans sa sensibilité? Et quelles étaient la nature et l'étendue de ces affaiblissements ou de ces désordres? Voilà les questions de fait à poser et à résoudre, afin d'en déduire les conséquences de droit.

quelque affaiblissement ou quelque désord &

309. On voit aussi qu'il ne suffirait pas de faire cet examen par rapport à la tenue, à la conduite de l'agent en général; il faut le faire particulièrement, dans l'acte même objet des poursuites, et par rapport à cet acte sans oublier l'observation déjà émise au sujet de l'âge (no 289), qu'il y a des delits plus ou moins simples les uns que les autres, dans lesquels la violation du droit a pu être plus ou moins facilement appréciable par l'agent.

310. Mais pour être à même de répondre, dans chaque cas particulier, à ces diverses questions, on conçoit qu'il faille un ensemble de connaissances expérimentales et une habitude d'observation qui ne s'acquièrent que dans une pratique spéciale. De telle sorte que, bien que ce soit au juge de la culpabilité à prononcer en définitive suivant sa propre conviction, ce juge, le plus souvent, a besoin, pour former cette conviction, de recourir aux lumières des gens de l'art. C'est ici, c'est-à-dire dans la jurisprudence pratique, que la médecine judiciaire intervient en auxiliaire presque obligé. C'est ici, c'est-à-dire comme moyens d'arriver à l'appréciation en fait de l'état de l'agent dans chaque affaire, que se placent avec profit les travaux de la science médicale sur les différentes maladies mentales, la distinction de ces maladies en classifications diverses, les observations générales dont chacune de ces classifications peut être susceptible: sauf à réduire toujours, pour le juge, la conclusion aux points que nous avons signalés : à savoir, l'état soit de la raison morale, soit de la liberté, soit des autres parties de l'intelligence, soit de la sensibilité de l'agent, dans l'acte poursuivi.

En somme, le principe de droit, en semblable matière, est simple et bien arrêté : ce qu'il y a de douteux et de difficile à vérifier, dans chaque cause, c'est le point de fait.

311. Les médecins légistes font observer que, parmi les défectuosités ou les perturbations affectant les facultés de l'âme, les unes sont innées, congéniales, c'est-à-dire apportées par l'homme dès sa naissance, tandis que d'autres ne surviennent qu'après coup. Innées ou postérieurement survenues, la distinction est utile sans doute pour la constatation et pour l'appréciation en fait de ces affections; mais elle ne change rien au principe de droit sur l'imputabilité et sur la culpabilité.

312. Ils font également cette distinction, que les unes constituent, par elles-mêmes, un état principal, une sorte particulière de maladie, tandis que d'autres, comme par exemple le délire occasionné par certaines fièvres, ne sont que le résultat accessoire, l'indice, le symptôme de quelque autre maladie ou affection principale. Mais, importante en fait, cette distinction ne change rien non plus au principe de droit, puisqu'il suffit que l'absence ou la perturbation des facultés ait existé au moment de l'acte pour qu'elle produise son effet en ce qui concerne la question d'imputabilité et de culpabilité.

313. Enfin nous en dirons autant de cette autre observation médicale, que parmi les affections mentales il en est qui se présentent avec le caractère de l'absence, de l'affaiblissement, de l'atonie des facultés, tandis que d'autres offrent celui d'une perturbation, d'un dérangement, d'un désordre: impuissance dans un cas, perversion dans l'autre sauf les différences de fait, quant à notre question de droit la conclusion est la même.

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314. La langue de la médecine judiciaire ne paraît pas encore bien arrêtée, bien concordante entre les auteurs, quant à la dénomination de ces diverses affections. Les mots de folie, d'aliénation mentale, ont une certaine généralité peu déterminée. Mais si nous entrons dans les distinctions de détail, nous mettrons à part, dès l'abord, comme peu susceptibles de difficultés au point de vue du droit, les quatre cas principaux que la médecine qualifie des noms d'idiotie (ou idiotisme), imbécillité, démence ou manie. En fajsant observer, toutefois, qu'il faut bien se garder d'entendre ces expressions ainsi employées comme elles peuvent être entendues vulgairement dans la conversation ou même dans quelques textes de loi. Elles ont, en médecine légale, une valeur technique et

consacrée.

Les deux premières, l'idiotisme et l'imbécillité, désignent un état d'avortement des facultés intellectuelles et morales, total dans l'idiotisme, moins complet et susceptible de degrés divers dans l'imbécillité. La troisième, la démence, désigne un état d'épuisement ou d'affaiblissement plus ou moins étendu de ces mêmes facultés. Qui dit avortement dit un état inné : l'idiot, l'imbécile ont toujours été tels. Qui dit épuisement, affaiblissement, dit un état survenu après coup : l'homme en démence a joui de ses facultés ; mais des maladies énervantes, des excès qui épuisent, ou d'autres causes analogues, quelquefois le seul effet de la vieillesse, les ont annihilées ou presque éteintes en lui. Ce sont trois affections mentales qui procèdent par impuissance, par atonie. On voit que le mot démence, dans cette acception médicale, est bien loin d'avoir le sens général dans lequel nous sommes habitués à l'employer communément.

Quant à la quatrième de ces expressions, la manie, elle désigne un état général de désordre, de perturbation des facultés, étendu à toute sorte d'objets, procédant non par atonie, par affaiblissement, mais par excitation, par perversion délire variable, multitude d'idées fausses et incohérentes, illusions des sens, hallucinations, et quelquefois raisonnement apparent, assis et conduit avec beaucoup de suite sur ces bases mensongères ou extravagantes.

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315. Nous disons qu'en droit ces quatre cas principaux ne souffrent pas de difficulté, et ne demandent pas qu'on y insiste dans l'idiotisme, dans la démence complète, dans la manie, il n'y a pas d'imputabilité. Quant à l'imbécillité et quant à la démence incomplète, comme elles peuvent offrir du plus ou du moins, la conséquence de droit n'est pas absolue, elle dépendra de l'étendue de l'altération des facultés il sera possible, à la rigueur, suivant le degré de ces affections et suivant les circonstances, qu'on doive juger que dans tel cas donné l'imputabilité reste; mais la culpabilité en sera toujours cousidérablement diminuée, ou même réduite aux seules conséquences civiles pour la réparation du dommage. 316. Nous n'insisterons pas non plus sur les cas de délire,

:

d'absence de la raison, d'entraînements irrésistibles, et quelquefois d'actes machinaux produits occasionnellement dans certaines maladies, telles que la rage, la fièvre cérébrale, l'épilepsie, la catalepsie, l'hypocondrie et autres semblables. Le fait constaté, s'il y a eu absence soit de la raison morale, soit de la liberté, il n'y a pas d'imputabilité. — Mais il pourrait se faire que, sans aller jusque-là, la maladie n'eût occasionné qu'une irritabilité, qu'une susceptibilité extrêmes, désordre qui porterait principalement non sur la raison morale ni sur la liberté, mais sur la sensibilité, et qui dès lors laisserait subsister l'imputabilité, en se bornant à diminuer la culpabilité.

317. La grossesse se range dans la catégorie de ces états anormaux qui peuvent amener occasionnellement un dérangement des facultés, quelques sollicitations instinctives, quelques penchants difficiles à combattre vers des actes susceptibles d'être incriminés. La conséquence de droit est toujours la même : pas d'imputabilité s'il y a eu absence soit de la raison morale, soit de la liberté ; diminution de la culpabilité si ces facultés n'ont été qu'amoindries dans leur exercice par le désordre, par la perversion de la sensibilité. Néanmoins, tout en constatant qu'il s'en est vu des exemples, les médecins légistes s'accordent à reconnaître qu'on doit se montrer fort difficile pour admettre la réalité de ces prétendues sollicitations irrésistibles produites par l'état de grossesse, à moins que d'autres indices d'aliénation ou de désordre mental ne viennent s'y joindre.

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318. Les quatre cas suivants, la monomanie, le somnambulisme, l'ivresse et le surdi-mutisme, présentent, quant à la question de droit elle-même, matière à un peu plus d'hésitation, et doivent attirer particulièrement l'attention du criminaliste.

319. Il peut se faire que le désordre, la perversion des facultés, au lieu d'être général, comme dans la manie, ne paraisse exister que relativement à certains points ou à un seul, ne se manifeste qu'à l'occasion de quelques idées dominantes ou même d'une seule ; de telle sorte qu'en dehors de ce point ou de cette idée, il semble que l'homme conserve et exerce régulièrement la plénitude de ses facultés il est dit alors monomane, et cette sorte d'aliénation mentale, monomanie. On sent déjà combien augmente, en pareille situation, pour le médecin légiste et pour le juge, la difficulté de vérifier le désordre réel des facultés et la part que ce désordre a pu avoir dans l'acte poursuivi. Toutefois ce ne sont là que des difficultés dans l'appréciation de fait; car supposez constatées la monomanie et son influence dans l'acte poursuivi, la conclusion légale ira de soi. Mais s'il arrive que l'idée dominante et exclusive soit précisément celle du crime lui-même, et que, hors ce crime, toutes les facultés paraissent fonctionner à l'état normal; s'il arrive que, poussé comme par une force intérieure, par des visions, par des hallucinations, vers le meurtre, vers l'incendie, vers le vol à com

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