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ternative fatale qui opprime la liberté n'y sont pas remplies. Cela est vrai plus encore dans le vol d'objets étrangers aux besoins qu'il s'agit de satisfaire, puisque pour être ramenés à cet usage ils supposent un échange, et par suite des relations avec les autres hommes, qui excluent l'idée de cette alternative urgente et sans autre issue. De pareils faits bien établis pourront diminuer sans doute la culpabilité individuelle; mais, à moins de circonstances tout à fait exceptionnelles, on ne saurait poser en règle qu'ils doivent la faire disparaître (1).

365. Le principe qu'il n'y a pas culpabilité lorsqu'il y a eu oppression complète de la liberté de l'agent est aussi au nombre de ces vérités de justice qui n'ont pas besoin d'être proclamées par la loi positive, et que le juge de la culpabilité doit observer, même en l'absence de tout texte. Il faut appliquer ici les observations que nous avons faites ci-dessus (n° 298 et 331).

366. De même ce que nous avons dit de la présomption quant aux aliénations mentales (n° 329) s'applique aux divers cas que nous venons de parcourir : la défense est tenue de prouver le fait de contrainte qu'elle invoque, puisque c'est un fait exceptionnel.

367. C'est une obligation, le péril passé, de prévenir l'autorité publique et la partie lésée de l'extrémité à laquelle on a été réduit et du mal qu'on a été obligé de faire pour en sortir, surtout s'il s'agit d'un mal considérable, comme de blessures ou de mort. Le défaut de déclaration ne rendrait pas le fait imputable, mais il pourrait être érigé par la loi, dans les circonstances graves, en délit sui generis.

2o Suivant la législation positive et la jurisprudence.

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368. Plusieurs des observations déjà faites par nous au sujet des aliénations mentales sont applicables au cas de contrainte. L'ancienne jurisprudence générale, à défaut de texte suffisant dans les ordonnances, construisait sa doctrine théorique sur ceux

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(1) On cite dans cette question divers textes du droit canon, et notamment les deux suivants: Discipulos, cum per segetes transeundo vellerent spicas, et ederent, ipsius Christi vox innocentes vocat, qui coacti fame hoc fecerunt. (Decreti 3a pars, De consecratione, distinctio 5, c. 26.) —‹ Si quis, propter necessitatem famis aut nuditatis, furatus fuerit cibaria, vestem, vel pecus, pœniteat hebdomadas tres et si reddiderit, non cogatur jejunare. (Decret. Gregor., liv. 5, tit. 18, De furtis, c. 3.) LA CAROLINE ou Code criminel de Charles-Quint, art. 166, disait : Si quelqu'un, pressé par une véritable famine, que lui, sa femme et ses enfants pourroient souffrir, venoit à voler des nourritures, et que le vol fût considérable et connu, les juges, comme il vient d'être dit, consulteront sur ce qu'ils auront à statuer. Un tel voleur, quoique relâché sans punition, n'aura aucun recours contre l'accusateur pour raison de ses poursuites. - Aussi les codes récents de l'Allemagne ont-ils mis textuellement, pour la plupart, l'extrême misère ou le besoin pressant au nombre des circonstances qui diminuent la culpabilité. (Cod. pén. d'Autriche, fre part., art. 39; Cod. pén. de Wurtemberg, art. 110, 2o et 3o; Cod. pén. de Hanovre, art. 94, 2o et 3°.)

du droit romain, qu'elle empruntait indifféremment soit aux matières civiles, soit aux délits privés, fort peu au véritable droit pénal public (1).

369. Mais dans l'application pratique, un caractère particulier de cette ancienne jurisprudence, c'est que, lorsqu'il s'agissait d'homicide, cet homicide eût-il été commis par nécessité ou causē raisonnable reconnue par la loi civile, c'est-à-dire par le droit romain, comme suffisante pour innocenter, toujours néanmoins il fallait que l'homicidiaire se retirât par-devant le souverain prince pour en obtenir grâce ou rémission; car le juge n'aurait pu se dispenser de prononcer la peine (2).

370. Sous les lois de la Constituante et sous le Code pénal de 1791, comme sous celui de brumaire an IV, qui ne s'en sont pas expliqués, la question de contrainte rentre, en matière de police municipale et de police correctionnelle dans les pouvoirs généraux du juge chargé de décider si l'inculpé est coupable ou non; et devant le jury, suivant la procédure d'alors, dans les questions intentionnelles (ci-dess. n° 337).

371. Le Code pénal de 1810, dans l'article 64, après avoir dit qu'il n'y a ni crime ni délit lorsque le prévenu était en état de démence au temps de l'action, ajoute : « ou lorsqu'il a été contraint » par une force à laquelle il n'a pu résister. »

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(1) DIG., 4, 2, Quod metus causa gestum erit, 6 Fr. Gaïus, et 9 Fr. Ulp. DIG., 4, 6, Ex quibus causis majores in integrum restituuntur, 2 Fr. Callistrat., et 3 Fr. Ulp. COD., 2, 4, De transactionibus, 13, constit. Dioclet. et Max. COD., 2, 20, De his quæ vi metusve causa gesta sunt, 9, constit. Dioclet. et Max. Et quant à l'esclave agissant par ordre du maître, voir notamment DIG., 50, 17, De regulis juris, 157, pr. Fr. Ulp.

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(2) Telle était la disposition de l'ordonnance de François Ier, de 1539, art. 168 Nous defendons à tous Gardes des Sceaux de nos Chancelleries et Cours souveraines, de ne bailler aucunes graces ou remissions, fors celles de Justice, c'est à scavoir aux homicidiaires qui auroient esté contraints faire les homicides pour le salut et défense de leurs personnes, et autres cas où il est dit par la loy que les delinquants se peuuent ou doiuent retirer par deuers le Souverain Prince pour en auoir grace. » Voir la Pratique judiciaire d'IMBErt, liv. 3, ch. 17, p. 675, et la note page 676, qui résume ainsi cette pratique : «Un juge ne peut dissimuler, en l'accusation d'homicide, de condamner le convaincu, bien qu'il trouve que l'homicide ait esté commis par nécessité ou cause raisonnable, et que la loy civile l'ait pardonné : car toujours il faut rémission du Roy. » Imbert, parlant de la légitime défense, ajoute que ces lettres de rémission lui semblent superflues parce que le droict commun, naturel et civil, permettant la defense à vn chacun, il n'est point mestier d'obtenir benefice du Prince. » Sur quoi l'annotateur le reprend en ces termes : « Imbert s'est fort mesconté (mécompté) en ce lieu; parce que sans les lettres de grâce ou rémission, les pauvres parties pourroient être mises en grande involution de procès :

tandis que par le moyen de ces lettres, toutes les procédures sont retranchées, les parties adverses n'insistant pas contre l'entérinement des lettres si elles contiennent vérité, de peur de se mettre inutilement en frais. — Il faut savoir, à cet égard, que les lettres n'étaient concédées qu'en supposant vrais les faits sur lesquels elles étaient motivécs; de telle sorte que la partie adverse, en prouvant la fausseté de ces faits, pouvait empêcher l'entérinement des lettres.

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372. Ces expressions : « il n'y a ni crime ni délit, >> doivent se traduire ici par le prévenu n'est pas coupable, et la conséquence doit en être l'acquittement (ci-dess. no 339).

373. Notre Code n'a point distingué si la contrainte provient de l'action d'un autre homme, ou des forces en jeu dans quelque phénomène naturel; si le mal imminent menace le corps ou seulement la fortune; s'il est suspendu sur nous-mêmes ou sur quelque personne qui nous soit chère le Code exige seulement que le prévenu ait été contraint par une force à laquelle il n'a pu résister. C'est là ce que doit apprécier dans chaque cause le juge de la culpabilité; et la latitude laissée par le texte législatif permet d'appliquer entièrement dans cette appréciation les principes rationnels qu'indique la science (ci-dess. n° 355 et suiv.).

374. On trouve bien au Code civil des articles spéciaux sur les conditions de la violence de nature à faire annuler les obligations pour vice de consentement (Cod. Nap., art. 1111 à 1115), articles dans lesquels le législateur s'explique formellement sur le mal menaçant la fortune (art. 1112), sur les violences exercées contre une personne à laquelle nous serions attachés par des liens dont la loi détermine la nature et le degré (les conjoints, descendants ou ascendants, art. 1113), sur la crainte révérentielle (art. 1114). Mais nous ferons observer qu'autre est la question civile et autre la question pénale, parce que autre doit être la contrainte suffisante pour nous déterminer, sans culpabilité de notre part, à commettre un crime ou un délit, et autre la contrainte suffisante pour nous déterminer seulement à contracter une obligation. Il faut donc laisser ces articles de la loi civile dans les matières pour lesquelles ils ont été faits, et ne résoudre la question de la culpabilité pénale que par les principes propres au droit pénal.

375. Le Code pénal n'ayant aucune disposition sur les cas où la contrainte, sans être suffisante pour faire disparaître entièrement la culpabilitė, vient néanmoins l'atténuer, c'est aux remèdes généraux fournis par la latitude entre le maximum et le minimum, ou par la déclaration de circonstances atténuantes, que le juge doit recourir (ci-dessus n° 346).

376. Enfin, bien que l'article 64 ne parle que de crime et de délit, nous n'hésiterons pas à appliquer les mêmes solutions au cas de contraventions de simple police, puisqu'il s'agit des conditions mêmes constitutives de l'imputabilité ou de la culpabilité pénale. Seulement il faut remarquer que s'il s'agissait de ces sortes de délits ou de contraventions dans lesquelles la simple négligence est punie, et que l'inculpé fût en faute antérieurement à la contrainte ou dans les faits mêmes qui ont amené cette contrainte, la eulpabilité pourrait rester à sa charge, précisément à cause de cette négligence ou de cette imprudence antérieure, et dans la mesure de cette faute.

§ 5. De l'intention.

1° Suivant la science rationnelle.

377. Nous savons quel rôle joue, en matière de délit, l'intention, c'est-à-dire le fait d'avoir dirigé, d'avoir tendu son action ou son inaction vers la production du résultat préjudiciable constitutif du délit (no 249 et suiv.).

378. Cette intention peut se rencontrer ou être absente aussi bien dans les délits qui consistent à faire que dans ceux qui consistent à ne pas faire. Le prévenu a blessé quelqu'un; préposé à la garde d'un prisonnier, il l'a laissé s'évader; commandé pour un service public, il y a manqué : tous ces cas peuvent avoir eu lieu de sa part avec ou sans intention de délit, suivant qu'il s'est proposé pour but, dans son action ou dans son inaction, l'accomplissement du délit qui en est résulté, ou qu'il ne l'a pas eu en vue. On emploie, dans le langage vulgaire, diverses locutions pour désigner cette intention du délit on dit que le prévenu a commis l'action ou l'inaction à dessein, volontairement, méchamment, sciemment, et autres semblables expressions. Le terme consacré par les anciens criminalistes était celui de dol (dolus malus); terme emprunté au droit romain, mais ici peu convenable, parce qu'il se trouve dépaysé, détourné qu'il est des affaires civiles, où il figure en un autre sens. Le plus simple et en même temps le plus exact pour la science rationnelle est celui d'intention.

379. Il ne faut pas confondre avec l'intention de commettre le délit le motif qui détermine l'agent à le commettre, ou, en d'autres termes, le but plus éloigné, la fin qu'il se propose d'atteindre en le commettant. De même qu'on peut faire de bounes actions par des motifs intéressés, par dissimulation, par astuce, de même les motifs qui poussent, qui déterminent au délit peuvent être plus ou moins honteux, plus ou moins condamnables, plus ou moins dignes d'excuse; on a vu commettre des actes coupables, même de grands crimes, tels que l'assassinat, par l'égarement ou la surexcitation de sentiments généreux, pour atteindre une fin dėsirable et honorable qu'on se propose. Bien que ces considérations ne restent pas sans influence sur la mesure de la culpabilité individuelle et puissent en nuancer les degrés, elles ne sauraient faire disparaître la culpabilité absolue. Le crime est toujours crime, et, pas plus en droit pénal qu'en morale « la fin justifie le moyen » n'est une maxime qui soit admissible (ci-dessus no 333).

380. Nous avons expliqué déjà (no 252 et suiv.) comment l'intention n'est pas au nombre des éléments constitutifs de l'imputabilité, mais entre seulement comme une condition fort importante dans la mesure de la culpabilité. On a l'habitude de dire néanmoins communément qu'il n'y a pas de délit sans intention, que c'est l'intention qui fait le délit. Ces propositions, partout reproduites, dans les ouvrages des criminalistes, dans les exposés des lois, dans les

motifs des arrêts, comme dans les dictons traditionnels du Palais, sont inexactes pour être absolues. Il y a en elles une équivoque qui tient encore à la confusion des termes du droit civil avec ceux du droit pénal. L'ancienne jurisprudence qualifiait de délit, en droit civil, tout fait préjudiciable au droit d'autrui commis avec intention de nuire, tandis qu'elle appelait seulement quasi-délit le fait préjudiciable au droit d'autrui commis sans intention, et telle est encore l'acception reçue en notre jurisprudence civile moderne. En ce sens, il est parfaitement vrai de dire qu'il n'y a pas de délit sans intention, que c'est l'intention qui fait le délit, et qu'en l'absence d'intention il n'y a que quasi-délit, puisque telle est la définition même. Pour le droit civil, d'accord: mais le délit pénal n'est pas le délit civil. Des faits préjudiciables commis avec intention peuvent n'être punis d'aucune peine publique, comme des faits préjudiciables commis sans intention peuvent l'être au contraire. Vous employez le mot dans un sens, moi je l'entends dans un autre malheureuse incertitude d'un langage scientifique mal fait et sans unité, dangereuses équivoques qui, passant des mots aux idées, faussent celles-ci au moyen de celles-là !—Equivoque à part, la proposition « qu'il n'y a pas de délit sans intention» est fausse en droit pénal, si l'on prend le mot délit pour tout fait puni de peine publique; - et la proposition que « c'est l'intention qui fait le délit » est exagérée il y a des cas, en effet, où, l'intention disparaissant, la peine publique cesse d'être appliquée, parce que la culpabilité devient trop faible pour entraîner cette conséquence; mais il y en a d'autres, et ils sont nombreux, dans lesquels le contraire a lieu, c'est-à-dire dans lesquels l'homme est punissable quoique ayant agi on s'étant abstenu d'agir sans mauvaise intention, parce qu'il est toujours responsable, non-seulement en droit civil, mais aussi en droit pénal, dans la mesure de ce qu'exigent la justice et l'intérêt social combinės, de n'avoir pas fait usage des facultés dont Dieu l'a doué, et de ne pas avoir employé ces facultés à diriger ou à retenir son activité conformément à l'accomplissement de ses devoirs.

381. Les criminalistes ont employé spécialement le nom de faute (culpa) pour désigner ce manquement à un devoir commis sans intention d'y manquer, et ils ont ainsi opposé le cas de faute au cas de dol. Mais cette opposition, tirée également du langage du droit civil et restée en usage encore aujourd'hui, n'est cependant pas bien exacte. En réalité il y a faute toutes les fois que nous avons failli à un devoir, que ce soit sans intention et à plus forte raison avec intention d'y faillir, et c'est précisément ce que nous exprimons dans notre langue française, où nous avons consacré comme termes techniques, en droit pénal et pour tous les cas, les mots coupable, culpabilité, sans distinguer s'il s'agit de délits non intentionnels ou de délits intentionnels.

382. Ce qu'il y a de vrai cependant, c'est que, toutes autres

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